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tome 4, Epilogue tome 4, Epilogue

Décembre 1933

Le jour de l’an, qu’y-a-t-il de plus répétitif, de plus interchangeable ? On se saoule, on prend des résolutions bidons, on prétend que tout va changer. Et bien ce réveillon là contenait un véritable changement. Dans ce petit bar juste en face du commissariat le détective Zarelli en compagnie de quelques collègues, buvait une bière. Et dire qu’il s’était privé de cette sensation rafraichissante depuis plus de dix ans. Tout ça parce qu’il ne voulait pas enrichir le camp d’adverse ne serait-ce que d’un dollar.

A présent ce n’était plus le cas. La prohibition avait tiré sa révérence en cette fin d’année grâce au nouveau président Franklin Roosevelt, un homme bien avisé.

Alors que le policier savourait sa boisson, le barman crut nécessaire de gâcher cet instant.

« Ça a été une bonne année pour vous hein ? »

Il se voulait probablement amical. Par conséquent Zarelli lui adressa un sourire complice tout en s’imaginant lui fracasser sa bouteille sur le crâne, puis lui enfoncer le tesson au travers de la gorge. Cet idiot croyait que la fin de la contrebande d’alcool avait entrainé celle de la pègre.

Zarelli se souvint alors d’un autre jour de l’an celui de 1919. Ce soir là il était encore un patrol officer et de service. Le service en question s’était révélé pénible. Beaucoup de gens s’agrippaient aux bars, et réclamaient toujours un dernier verre. Car il le serait littéralement étant donné que la prohibition entrait en vigueur le 16 janvier de l’année suivante.

Un riverain excédé par les bruits balança alors :

« Profitez bien les poivrots. Le mois prochain c’est fini ! »

Une ère de moralité, la fin du gangstérisme, qu’est-ce que les gens pouvaient débiter comme connerie ! C’était comme la condamnation d’Al Capone en 1931. Tout le monde avait acclamé l’héroïque Eliot Ness à propos de cette victoire. Zarelli lui connaissait la vérité. La chute de Scarface on la devait à Mike Malone un infiltré pour le compte de l’IRS (l’équivalent de la brigade finançière). Seulement ce genre de héros n’était pas assez vendeur. Le service des impôts dans l’inconscient collectif, ce n’était qu’un tas de bureaucrates binoclards. Alors la presse avait préféré cette grande gueule d’Eliott Ness.

« Enfin c’est le résultat qui compte. » Songea Zarelli en s’enfilant une autre rasade d’alcool.

Il y aurait encore du boulot, c’est sûr. Au moins il pouvait s’offrir ce petit plaisir désormais.

Autre part à Chicago Travis aussi se réjouissait. Il allait jouer toute la nuit dans ce club. Quant à la fin de la prohibition il s’en moquait. Noir et artiste de surcroit toutes les conventions en faisaient d’office un drogué, un alcoolique, un décadent.... Malgré tout il continuait à se consacrer exclusivement à sa musique au détriment du moindre vice. Et depuis la chute d’Al Capone plus rien ne l’en empêchait. Fini le d’être un bouffon du roi ou un indic. Son existence ne serait plus qu’une longue symphonie désormais.

Au port de Détroit Will se montrait plus conforme aux clichés à se saouler avec ses confrères matelots. La ville ayant été également libéré de ses tyrans, le vieux marins avait reprit sa profession d’origine. De toute façon il n’excellait pas tellement dans la poissonnerie.

Quant au Purple Gang sa chute s’était produite tout comme Scarface en 1931. On nommait cet évènement le massacre de Collingwood Manor. Si le titre claquait, le déroulement lui sonnait comme une de ces petites histoires moralisatrices à l’usage des enfants. A la différence que la morale en question était inversée.

Quelques sous-fifres avaient décidés de faire cavaliers seuls. Une sacrée bande d’idiots. La suite était prévisible. Ça donna donc une tuerie parmi tant d’autres de la part de ces fous furieux du Purple Gang. Sauf qu’exceptionnellement Ray Bernstein en personne y fit preuve de clémence et épargna une de ses cibles, un certain Levine qu’il considérait comme un ami.

Cette lueur d’humanité dans son parcourt jonché de cadavres lui fut fatale. Le rescapé raconta tout à la police. Finalement Ray et ses deux complices écopèrent de la perpétuité. Cette affaire où tombait l’un des frères Bernstein sonna le glas du gang. Parce qu’elle mettait fin à son impunité mythique.

Au vue de la haine qu’il leur vouait Will aurait dû se réjouir. Étrangement son enivrement n’était pas joyeux mais aigre. Il buvait mécaniquement jusqu’à atteindre le stade où on ne pense plus à rien. La prohibition lui avait prit son bateau, son fric, et des amis. Quant à ses vieux jours ils les consacreraient à se casser le dos sur le fleuve juste de le but de se nourrir.

Alors oui il fêtait la fin de cette garce. Dommage qu’elle soit si tardive.

Bien qu’il en y ait également laissé des plûmes, Vito était loin d’être aussi aigri. On pouvait même le qualifier de satisfait. Il buvait en compagnie de quelques bons clients dans son magasin. Son établissement était l’unique des environs, à savoir un coin retiré à l’ouest du New Jersey. Vito y réapprovisionnait en tout. Certes il était loin de son rêve initial. En contre-partie il ne risquait plus de tuer ou d’être tuer.

Sa survie il ne la devait pas à sa détermination ou à son intelligence. Non seul le hasard l’avait sauvé. Vito ne voulait plus de ça : dépendre d’un coup de dé. Ainsi il était devenu l’opposé de ce qu’il était auparavant : un être repu et sans ambition.

Parmi les quelques personnes inaugurant la partie bar de son établissement se trouvait Ned. Jamais il n’avait gardé un prénom si longtemps. Le plus étonnant de sa part restait tout de même son association.

Ayant tout laissé derrière lui Vito avait besoin de se refaire. En revanche Ned lui ne courait pas après le profit. Il désirait juste conserver son indépendance. Qu’est-ce qui l’avait donc poussé à accepter ce partenariat ? Un baratin alléchant ? L’envie d’un peu de compagnie ? ...

En tous cas leur duo fonctionna bien. Ils se relayaient au volant et couvraient ainsi de longues distances rapidement. Vito négociait habillement le prix des livraisons. Bref l’argent rentrait. Avec sa part Vito s’installa. Ned ayant apprécié leur collaboration la prolongea en le fournissant en marchandises de contrebande à l’occasion.

Ces deux hommes faisaient figure de devins. L’un comme l’autre ils s’étaient éloignés du trafic d’alcool avant sa disparition. Sans être au sommet, ils s’en tiraient donc convenablement.

A New York dans un restaurant du Lower East Side une clientèle aux manières particulières réveillonnait. Ces hommes parlaient fort, et arrachaient directement les plats des serveurs en leur disant : « Donnes-moi çà. »

C’est parmi eux que se trouvait le grand vainqueur : Red Head.

Luciano avait réalisé son rêve : fédérer la pègre. Mais pas comme Masseria. Lui il voulait une structure organisée, rentable, et dénuée de rivalités stupides. Parmi les multiples projets de ce nouveau groupe il y avait la création d’une force de frappe commune afin d’éviter les « dérapages » lorsqu’un meurtre s’avérait nécessaire. Sal du fait de ces états de service auprès de Lepke y avait probablement une place réservée. Il était vraiment devenu un bigshot.

Pourtant il était loin de respirer la bonne humeur. Déjà on l’avait placé à coté de Simon un gros lourd au ricanement insupportable et toujours à agripper les gens. Ensuite il y avait ce souvenir, qui le hantait depuis trois ans. Vito était fiable. Jamais quelqu’un à New York ne saurait pour cet instant de faiblesse.

A vrai dire ce n’était pas les conséquences de sa clémence, qui contrariaient Sal mais son origine. Pourquoi avait-il tiré en l’air dans ce sous-sol ? Il lui manquait quelque chose. Lors de ses précédents meurtres, il ressentait de la colère envers ses cibles. Car c’étaient des ennemis, des obstacles. Or il ne percevait pas Vito son ami de cette façon.

Et si ce schéma se reproduisait, si un jour Red Head devait descendre une vieille connaissance ?

De son coté Simon revenait à la charge avec son haleine fétide, son rire gras, et ses mains poisseuses. L’esprit préoccupé de Sal allait-il flancher ? Un sale coup finirait-il par partir ? Les amis de Simon réclameraient-ils justice ?

La première grande nuit beuverie collective et légale des États-Unis promettait d’être longue.


Texte publié par Jules Famas, 13 octobre 2019 à 22h48
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