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tome 4, Chapitre 7 tome 4, Chapitre 7

New York février 1932

Son allure se situait entre la marche et la course. Le col de son manteau était relevé, et sa tête rentrée dans les épaules. Aussi grossier que soit ce procédé, il fonctionna. Personne ne paraissait le repérer. Allez comprendre ? Sans doute une bizarrerie new-yorkaise.

Le fugitif pénétra dans une pharmacie. A peine l’employé au comptoir le regarda, qu’il se retourna. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’était sujet à de la paranoïa.

Parfois le surnom d’un truand suffisait à le résumer. Dans son cas tout reposait sur l’origine de son sobriquet. Habituellement il provenait du milieu. Sauf que présentement c’était la presse, qui l’avait baptisé Mad dog, et diffusait sa photo partout. Or qu’est-ce que faisait-on d’un chien enragé ? On l’abattait.

Mad dog autrefois Vincent Coll agrippa le téléphone, puis referma la porte vitrée de la cabine. Qu’est-ce que faisait un téléphone public dans une pharmacie ? Au début du vingtième siècle les bars constituaient un lieu de vie incontournable aux États-Unis. On y tenait des réunions, y recevait son courrier, et bien sûr y téléphonait. Avec la prohibition ce temps était révolu. Par conséquent d’autres commerces assuraient ces tâches.

Une femme plutôt âgée entra à son tour dans cette boutique et prit en pitié ce pauvre gamin cherchant de la monnaie sur lui. Effectivement le visage de Mad Dog était presque imberbe et lisse, le tout surmonté par quelques cheveux frisés rabattus maladroitement en arrière. Si Mad dog en apparence incarnait la jeunesse, en réalité il n’était qu’un vestige récalcitrant.

Déjà il comptait parmi les irlandais, c’est-à-dire les grands outsiders de la pègre new yorkaise. Ensuite alors que les grands truands batissaient des réseaux complexes, et s’arrangeaient avec les politiciens, lui il se contentait de flinguer à tout va.

Mad Dog ne paraissait pas avoir conscience de ses limites pourtant si évidentes. Car il entra en conflit avec Dutch Schultz le seigneur et maitre du Bronx. L’affaire semblait pliée. Sauf que l’irlandais fit preuve d’une résistance insoupçonnée.

Il en résulta dix-huit mois de conflit, et trente gangsters morts. A vrai dire cette guerre ne gênait pas grand monde. Elle procurait des photos bien sanglantes à la presse. Les policiers ravis comptaient les morts. Les gros caïds attendaient d’être débarrassé d’au moins un de ces indécrottables individualistes sans le moindre effort.

Puis au court d’une fusillade Coll et ses hommes tuèrent accidentellement un enfant, et en blessèrent deux autres. L’opinion publique bouleversée poussa enfin la police à réagir. C’est ainsi que cet homme à l’air empoté était devenu l’ennemi numéro un. Ignorant ce lourd passé la femme s’approcha dans l’intention de l’aider. Dans sa situation une main tendue était inespérée. Dommage que Mad Dog venait juste de dénicher quelques pièces au fond de sa poche.

Il balança sa trouvaille avec rage dans la feinte de l’appareil. Il y aurait bien ajouté quelques coups au passage. Toutefois Mad Dog parvenait encore à se contrôler. La plupart de ses hommes étaient morts dont son frère. Il était l’homme le plus haï de New York. Et malgré tout il ne tenait bon.

Il existait forcément un moyen de se refaire quelque part comme un braquage, un kidnapping, ou un contrat de meurtre. Tandis que Mad Dog fournissait à la standardiste un numéro peut-être porteur d’espoir, une voiture se gara devant la pharmacie. Une berline noire ! Autant inscrire de dessus « gangster incorporated ». Histoire d’alourdir le tableau deux hommes vêtus de pardessus en sortirent, alors qu’un troisième restait au volant. Personne ne remarqua toujours rien. A croire que les new-yorkais étaient tous devenus aveugles. A moins qu’ils voyaient uniquement, ce qui les arrangeaient.

L’un des hommes se posta à l’entrée du magasin. L’autre y pénétra, et une fois sa cible repérée, ouvrit son manteau. Un nouveau cliché fit son apparition : une thompson. Recroquevillé dans la cabine Mad Dog n’eut pas le temps de la remarquer. Cela aurait-il changé quelque chose ?

Sal mit quelques instants à contrôler son arme. Par chance la distance était courte. Et vue le nombre de balles crachées forcément plusieurs firent mouches. Pourtant le tireur ne s’arrêta pas là. A croire que la mitrailleuse avait prit les commandes. Le chargeur s’épuisa. Le silence retomba. Les restes du fameux Mad Dog mélangés aux débris de verre présentaient un aspect scintillant assez curieux.

Ce spectacle provoqua un ricanement nerveux chez Red Head. Puis le professionnalisme revint. Il fila jusqu’à la voiture avec son confrère. Le trio laissa derrière lui une histoire banale : celle d’un gangster ayant visé trop haut et payé le prix. En fait il s’y cachait autre chose. Cet acte clôturait la fin de la guerre des castellammarais. Le plus étrange est qu’il s’agissait de sa troisième conclusion.

Tout d’abord les morts s’étaient enchainées chez Masseria et pas n’importe lesquelles : Al Mineo, Steve Ferrigno, et Joe Catania. Par contre aucune perte importante n’était à déplorer dans l’autre camp. Sentant venir la défaite Luciano s’arrangea en sous-main avec Maranzano, et frappa de l’intérieur notamment dans le mont-de-piété de Vito à l’aide de son nouvel allié Lepke. Au final Luciano fit abattre ce chef, qu’il n’avait jamais apprécié de toute façon. Ensuite vint la trêve avec ses embrassades et ses serments de fidélité.

Seulement cette guerre si couteuse avait engendré du mécontentement de la part de la jeune génération. Luciano se trouva vite à sa tête, et évinça par le meurtre Maranzano. Le conflit s’achevait enfin. Sauf que Maranzano avait lui aussi prit des libertés avec les accords de paix. Percevant à juste titre le brillant Luciano comme une menace, il avait engagé un tueur à gage extérieur à la mafia afin de respecter officiellement la trêve. Et ce tueur était suffisamment taré pour exécuter le contrat malgré la mort du commanditaire.

En tous cas Luciano préféra ne pas prendre le risque. Ce qui aboutit à ce carnage dans la pharmacie. Ainsi Red Head porta la touche finale à l’un des plus grands bouleversement du banditisme américain.

Présentement cette pensée lui passait au-dessus. Il était trop occupé à faire une sorte de calin à sa mitrailleuse. Quelle sensation ! Rien à voir avec le springfield M1903. Là on sentait de la puissance. Cette scène d’amour atypique fut interrompue par le chauffeur. Lui n’avait pas encore achevé sa tâche et par conséquent demeurait sur le qui-vive.

« Un taxi nous suit ! »

Cette déclaration réveilla les deux hommes de main. Sal distingua rapidement parmi les voitures derrière le fameux taxi, qui effectivement paraissait suivre la limousine. Malgré la distance Red Head parvint à distinguer la tenue noire du conducteur ainsi que sa caquette de même couleur. Aucun chauffeur de taxi ne s’habillait de cette manière. C’était un flic ! Il en était persuadé. Qu’est-ce qu’il faisait au volant d’un taxi ? Qu’importe. Le principal demeurait la menace qu’il incarnait.

En fait ce policier patrouillait à pied lorsqu’il entendit les coups de feu, et réquisitionna le véhicule. Ayant épuisé le chargeur de sa thompson Sal dégaina son bon vieux lüger. Ensuite il attendit sagement que cet emmerdeur se rapproche.

Brusquement la limousine prit un virage, puis un autre, et encore un autre. Le taxi ne parvint pas à suivre. Red Head baissa alors son pistolet l’air déçu. Pourtant le travail était parfait. Juste le mort désigné sans aucun dommage collatéral. Qu’est-ce qui pouvait bien manquer à Sal ainsi ?


Texte publié par Jules Famas, 5 octobre 2019 à 18h09
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