Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 4, Chapitre 5 tome 4, Chapitre 5

New York décembre 1930

C’était à la fois tard dans la nuit et tôt le matin. A Harlem les travailleurs nocturnes rentraient chez eux. En existaient-ils d’un autre genre ? Les noirs soit ils jouaient du jazz dans les tripos, soit ils volaient. Du moins tel était leur image chez les gens respectables. Et ces deux activités se pratiquaient généralement de nuit.

Même les gens respectables pouvaient se tromper. Ils leur auraient suffit de lever ou de baisser la tête pour comprendre leur erreur. Qui les servait à table ? Qui nettoyait leur parquet ? Justement ceux qui croisaient les fameux travailleurs nocturnes : la classe domestique du nord de Harlem.

Ils avançaient tous enveloppés dans de grands manteaux. Non seulement ses vêtements les protégeaient de la fraicheur matinale, mais en plus dissimulaient leurs uniformes. Ainsi ils retardaient le moment où ils redeviendraient des larbins, des hommes et des femmes libres d’être sous-payés, exploités, et rabaissés. Au milieu d’eux se détachait Bart. Lui il se contentait d’une simple veste. Il était également le seul que les noctambules saluaient au passage comme s’il était dès leurs, bien qu’il marche dans le sens opposé.

Donner un âge à Bart se révélait un exercice difficile. Sa silhouette épaisse indiquait une forme peu compatible avec la vieillesse. Par contre son visage était creusé par les rides et l’usure.

Bart ne sortit pas des frontières d’Harlem. Il s’arrêta devant un magasin où trois hommes et deux femmes attendaient. Vue le peu de réaction qu’il provoquait, Bart n’était pas à l’origine de cette attente. D’ailleurs il se joignit à eux.

Sur la devanture il y était inscrit : mont-de-piété, le genre de petite boutique remplie de bric et de broc. A vrai dire cette description s’accordait à bon nombre d’établissements dans les rues de Harlem, mais curieusement pas à celui-ci. Il occupait tout le rez-de-chaussée, et le sous-sol d’un lof. Les lofs étaient des immeubles industriels, qui s’étaient fortement reproduits pendant la décennie précédente. Le logement des entreprises importait plus que celui des gens, surtout s’ils avaient le mauvais goût d’être noir.

Qui à Harlem pouvait s’offrir une telle surface ? La réponse arriva peu de temps après.

« Bonjour monsieur Allegri. » Dirent en cœur les employés.

Le patron se contenta d’un simple « Bonjour » collectif avant d’ouvrir la porte d’entrée.

Bart savait ce qu’était censé être un bon nègre. Les matons lui avaient inculqués à coup de matraques durant ces années de prison. Et un bon blanc ? A vrai dire l’expression n’existait même pas. Être blanc tout court suffisait.

Bart lui s’était fait sa propre définition. Et quitte à passer pour un oncle Tom son employeur y correspondait. Pas de ton condescendant et paternaliste de l’être supérieur bienveillant, ni d’humiliations du dresseur de bête, il donnait juste froidement des indications. Si ses employés foiraient, il les viraient et sinon les payaient plutôt convenablement. En résumé Allegri était de quelqu’un de correct.

L’intérieur particulièrement encombré suggérait plus un dépôt qu’une boutique. Tous ces meubles massifs étant alignés sur les cotés on pouvait tout de même se mouvoir. C’était la spécialité de la maison. Certains les comparaient à des soldats en rang, d’autres à des pierres tombales. En ce qui concerne Bart ce mobilier usé lui rappelait le parking d’un magasin de voitures d’occasion. Aucun des modèles n’était vraiment attirant, mais comme on en avait besoin et pas tellement de moyen...

Tout dans son quotidien ramenait Bart à la pauvreté, comme une maladie chronique. Avec le temps il avait apprit à s’y faire. Il suivit les autres employés masculins à l’arrière à l’entrepôt où l’on conservait en autre les pièces ayant besoin d’un peu de rafistolage. Bart et ses collègues ouvrirent le rideau de fer du quai de chargement. Ensuite ils émirent un long soupir commun. Car ils n’en auraient pas souvent l’occasion après. Beaucoup de gens devaient venir chercher leurs achats aujourd’hui.

Le premier client de la journée arriva immédiatement après cette ouverture. Cette voiture intrigua les employés. Elle était bien trop rutilante pour le quartier et pas vraiment adeptée au transport d’un meuble. Bart lui ne se tracassa pas à ce sujet. Il savait d’avance, ce qui allait suivre, et par conséquent s’éclipsa. Si ses confrères disposaient d’un semblant d’intelligence, ils ne feraient pas d’histoire. Leur présence ralentirait tout de même les braqueurs, le temps que Bart file par l’entrée.

En fait Bart ne fuyait pas les braqueurs en tous cas pas uniquement. Le vrai problème viendrait après à savoir la police. Avec son pédigrée Bart risquait d’être soupçonné de complicité ou d’un autre prétexte propre à en faire un défouloir. Et cela n’arriverait pas. Bart en avait assez subit dans les commissariats, et à Rikers (prison de New York). Cette fois-ci les emmerdes ne le rattraperaient pas. Effectivement elles n’eurent pas à le faire, étant donné qu’elles l’attendaient le pied ferme.

Quatre complices avaient investit la partie magasin. Ils venaient juste de débarquer, puisqu’ils en étaient au stade de « personne ne bouge. »

Instinctivement Bart porta la main sur sa poche droite où il planquait son surin. Son statut d’arme de prédilection au sein d’Harlem, elle la devait à son usage simple voir primitif. C’est ce que croyaient la plupart des blancs. En fait tout reposait sur la fidélité. Dans leur large majorité les noirs n’avaient accès qu’à des pétoires bon marché, explosant au visage une fois sur deux. Une lame par contre à condition de l’entretenir convenable, répondait toujours présente.

La réaction de Bart demeura inachevée suite à différents éléments. Leurs chapeaux et les foulards ne dévoilaient que leurs yeux et la couleur de leur peau : blanche. Ils portaient tous des manteaux gris identiques et mêmes des gants. Au lieu de fusils encombrants ils brandissaient des armes de poing. Leurs mains ne tremblaient pas. Ces braqueurs n’était clairement pas des amateurs. Leur synchronisation avec la voiture au quai de chargement le confirmait.

Ce n’était pas forcément une mauvaise chose. Les pros ne canardaient pas à tort et à travers. Il subsistait donc l’espoir d’un dénouement sans violence. Juste un espoir puisque la conclusion ne reposait pas uniquement sur les épaules des braqueurs. Bart tourna la tête vers son patron. Ferait-il des histoires ?

Allegri était inquiet mais pas terrifié comme ses employés. Ce sang-froid suggérait un passé pas très propre. Là encore ce fut un soulagement pour Bart. Si le patron connaissait la musique, il éviterait les fausses notes.

« Vous deux surveillez-les. » Ordonna soudain l’un des braqueurs.

L’enthousiasme de Bart en prit un coup. De la rage débordait de cette voix. Un type en colère et armé ne donnait généralement rien de bon. La situation ne s’arrangea pas. Le colérique avec le soutien de son troisième complice entraina Bart et son patron à l’arrière.

Allegri pouvait servir. Il détenait peut-être des informations utiles. Mais Bart, le simple employé, qu’est-ce qu’ils en attendaient ?

Dans l’entrepôt les manutentionnaires étaient encore intacts et mis en joue par trois clônes des braqueurs de l’entrée. Les collègues de Bart ne causeraient pas de problèmes. Ils étaient sujets à une peur résignée et soumise. Bart remarqua également que la camion de l’entreprise servant pour les livraisons à domicile venait d’être garé en face du quai de chargement.

Décidément ces gars là connaissaient bien leur affaire. Bart en était presque admiratif. Les braqueurs poussèrent leurs otages jusqu’au monte-charge sans un semblant d’explication. Leurs armes les en dispensaient.

Quoi de plus banal qu’un sous-sol ? Juste des murs et de l’éclairage. Et bien celui-ci contenait deux particularités. Déjà il n’était rempli qu’à moitié malgré l’encombrement en haut. Et surtout le mobilier y était bien trop luxueux pour un établissement de ce genre.

Ce détail pas plus que le reste, ne ralentit pas les braqueurs.

« Foutez-moi tout ça dans l’ascenseur. » Gueula leur chef.

A qui s’adressait-il ? Sans même se concerter les noirs prirent une première fournée de meubles sous la surveillance des braqueurs, et remontèrent laissant Allegri et le meneur seul à seul.

En haut Bart se permit un léger sourire. Il s’en tirerait. Une fois la marchandise embarquée, tout serait finit. En bas les rôles s’inversèrent. Allegri prit d’une soudaine assurance, et s’approcha du braqueur. Lui recula, et baissa même légèrement son arme.

« T’es entrain de faire une connerie, Sal. » Dit le patron du mont-de-piété d’une voix compatissante. « Tout ça appartient à...»

« Je sais. » Coupa Red Head en tapant du pied.

Son tic nerveux lui était revenu face à ce coup du sort. Qu’est-ce que son vieil ami Vito foutait-là ? Et en plus il l’avait reconnu.

Un simple principe avait conduit à cette situation. Dans une guerre les soldats ne suffisent pas. Il faut aussi de la logistique, des armes, du matériel... Et justement tout cela venait à manquer dans ce conflit, qui s’éternisait.

La stratégie de Joe the boss avait connu deux déconvenues. Pendant que ses hommes s’en prenaient à des sous-fifres, les castellammarais descendirent Pietro Morello l’homme de confiance de Masseria. C’était contrariant mais acceptable. Après tout une guerre comportait forcément des morts au sein des deux armées.

C’est l’autre déconvenue, qui causa vraiment problème. Maranzano avait recourrut à une arme totalement inconnue de son adversaire : la diplomatie. Elle lui permit de faire changer de camp la famille Reina du Bronx. Face à ce coup dur Masseria répliqua par une attaque plus ciblée. Ses meilleurs tueurs chaperonnés par Al Capone pour cause d’intérêts communs, éliminèrent le parrain Joseph Aiello. Etant lui aussi natif de Castellammare del Golfo, il soutenait finançièrement Maranzano.

Malgré cette remontée du score le conflit se trouvait dans une impasse. Le rusé Maranzano demeurait introuvable. Quant à Masseria ses si impressionnants effectifs le rendaient inaccessible.

Le seul véritable gagnant de cette situation était Vito. Il put proposer un projet, qui remplirait les caisses de la famille Masseria vidée par cette absurde guerre des gangs. La combine était plutôt bien pensée. Ce clan faisait beaucoup dans les cambriolages des beaux quartier. Ce mont-de-piété permettait de dissimuler, puis découler le butin discrètement.

Après toutes ces déconvenues, et ces tueries, il détenait enfin son affaire. Et il fallait encore que le destin vienne tout foutre en l’air. Puisque Sal ne comptait pas renoncer.

Soudain l’arme de Red Head se releva accompagnée d’un léger tremblement. Il s’agissait toujours du même lüger. Il ne l’avait jamais lâché pendant toutes ces années. C’était aussi les cas de son ami italien même si leurs chemins s’étaient éloignés. Lequel des deux l’emporteraient alors ?

Malgré la tension Vito conserva son sang-froid. Ces stupides carnages lui avaient au moins apprit çà.

« Je ne te balancerais pas. »

« Je sais. » Répéta Sal d’une voix d’outre-tombe.

Vito comprit. Sal et ses hommes n’étaient pas venu uniquement dans l’intention de piller. Ils devaient aussi éliminer la tête pensante de ce petit trafic. Sinon pourquoi l’avoir amené en bas ? Ne pas honorer cet engagement revenait certainement pour son ami à se condamner lui-même. Par conséquent tôt ou tard il appuierait sur la détente.

Vito songea alors au colt 1911, qu’il portait sur lui par habitude. Et dire qu’il croyait en avoir fini avec ce genre de chose.


Texte publié par Jules Famas, 20 septembre 2019 à 19h02
© tous droits réservés.
«
»
tome 4, Chapitre 5 tome 4, Chapitre 5
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2629 histoires publiées
1177 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Audrey02
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés