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tome 4, Chapitre 4 tome 4, Chapitre 4

Chicago octobre 1930

Valentina tricotait. Son mari Victorio buvait son café tout en lisant le journal. Une scène classique du quotidien conjugal. Quelqu’un la perturba en entrant sans même frapper à la porte. Heureusement une petite clochette pallia à cet oubli.

Victorio se leva pour aller à la rencontre de l’étranger. Car il s’agissait forcément d’un étranger. Il était capable d’identifier ses habitués par leurs horaires ou juste leurs démarches. En fait l’intrus n’était pas si étranger après examen. Ce petit homme de type méditéranéen avait sa place à Little Italy contrairement aux noirs, aux juifs, aux irlandais....

Par conséquent Victorio l’accueillit dans sa demeure et épicerie. Il y avait bien longtemps qu’il ne faisait plus la différence entre les deux.

Ce client était vêtu convenablement d’un trois-pièces mais il émanait de lui une odeur de renfermé. Ses yeux étaient plissés en permanence comme si la lumière le dérangeait. Le plus curieux demeuraient son dandinement et ses expressions ne dépassant pas plus d’un mot ou deux comme « saucisson », « cinq pommes ». A croire qu’il était pressé. Nous étions pourtant en fin de matinée, c’est-à-dire bien après le début des journées de travail auxquelles il n’était donc plus possible d’être en retard.

Un sous étant un sous Victorio passa outre et une fois les articles rassemblés amena son client insolite en caisse. Valentina le gratifia d’un sourire factice au passage. Il ne fallait pas s’attendre de plus de sa part, lorsqu’elle se trouvait en plein tricotage.

Puis vint une faute de parcourt. La situation était pourtant on ne peut plus clair : l’un achetait, l’autre vendait. Alors que venait faire cette phrase :

« Vous n’êtes pas de New York ? »

« Oui. » Répondit par réflexe le client légèrement troublé par cette demande.

C'est alors que Valentina prit la parole.

« Mais qu’est-ce que t’as avec tes new-yorkais ! Qu'est-ce que ça tu peux faire qu'ils viennent de là ou d’ailleurs ? »

Ainsi débuta une scène de comédie à l’italienne bien clichée. Au lieu de profiter du spectacle le client s’éclipsa avec les provisions. Le simple fait d’être prit à partit paraissait le déranger. A vrai dire tout le dérangeait apparemment à afficher cet air renfrogné. Soit faire les courses n’était pas l’activité la plus enrichissante du monde. Mais le client surjouait un peu.

Midi approchait, l’heure sacrée par excellence. Les odeurs d’ails, de tomates, et bien d’autres émergeaient des fenêtres de Little Italy. Le temps s’arrêtait. Les familles, les collègues de travail, les amis se réunissaient autours d’une table. Le client avec son expression à la fois aigrie et pressée n’avait-il ni parent, ni relation d’aucune sorte ? Il est vrai, qu’il se trouvait dans une autre ville que la sienne. D’un autre coté toutes ses victuailles ne pouvaient pas se limiter à sa consommation personnelle.

Il arriva rapidement devant un hôtel de moyenne gamme, monta deux étages, puis s’arrêta devant une porte. Aucun son n’en émanait. Il n’était pas placé le fameux carton à crochet « ne pas déranger ». Malgré tout le client frappa. N’obtenant aucune réaction, il essaya de nouveau après une courte pause sans se montrer plus bruyant ou insistant.

C’est alors qu’une voix sèche et masculine retentit.

« Qui est là ? »

« Francesco. »

Le client s’appelait ainsi, et pas Frankie. Personne ne devait le nommer de cette façon. Il ne s’américaniserait jamais. Francesco demeurerait à jamais un enfant de Sicile. C’était sa grande fierté. La porte s’ouvrit. Il déposa la nourriture de mauvaises grâces. Car un soldate c’est-à-dire un initié de la mafia, obéissait toujours aux ordres. Mais il était aussi un torpedo, un tueur d’élite. Il avait donc mieux à faire que de jouer les coursiers. Soulagé de cette tâche il se relâcha un peu, ignorant tout de l’erreur qu’il venait de commettre.

***************************************

Il fumait tranquillement sur le capot d'une voiture sûrement la sienne. Sinon il y aurait eu des conséquences. Personne ne pouvait ne serait-ce qu’effleurer la voiture d’un autre sans entrainer une réaction généralement violente.

Nous étions au beau milieu de l'après-midi et en semaine qui plus est. Cette attitude nonchalante choquait les passants. Dans cette Amérique de la chance pour tous, et de la libre entreprise flâner était mal vue. Même les riches pouvant se le permettre le faisaient discrètement par exemple dans des clubs privés ou lors de galas. Le fumeur continuait pourtant à ne recevoir aucune réprimande. Car qui disposait des moyens de paresser et le faisait sans la moindre décence ? Les gangsters bien entendu. Seuls eux passaient leur journée à la terrasse d’un café ou parlaient bruyamment des heures durant au milieu de la rue.

Certains naïfs croyaient qu’un retour de baton frapperaient forcément ces mauvaises personnes. Étrangement un évènement récent venait de leur donner raison. Joe Aiello le parrain de Little Italy s’était fait cribler de balles. Et aucune main divine ne s’était chargée de le sauver.

Le fumeur tira une longue bouffée.

Capone continuait de faire le ménage. Après l’année dernière le massacre de la saint valentin à l’encontre de ses vieux ennemis les northsiders, il s’en prenait à son nouvel adversaire. Et ce coup-ci il ne s’était pas loupé. Lors de la fameuse fête des amoureux sur les sept morts, la cible principale manquait. George Moran dit Bugs s’était pointé en retard et comme l’une des victimes lui ressemblait... A croire que cette fameuse main divine existait réellement.

Le fumeur se mit à faire des ronds de fumée, signe qu’il commençait à s’ennuyer.

Chez les forces de l’ordre l’affaire de la mort de Aiello semblait pliée. Jusqu’à ce qu’un trouble-fête suggère l’intervention de tueurs en provenance de New York. L’hypothèse était peu vraisemblable. Seulement elle provenait du détective Zarelli. Aucune rumeur, aucun ragôt, aucun murmure de Little Italy ne lui échappait.

« Tchao Marcello. »

« Bonjour, ça faisait longtemps. »

« Le boulot. C’est comme çà. Et ton petit dernier ça va ? »

« Oui sa grippe est retombée. »

« Et sinon quoi de neuf dans le quartier ? »

Voilà comment le détective Zarelli obtenait ses si précieuses informations au sein de la communauté italienne. En tous cas c’est ce que croyait ses collègues. Les cons !

Ils butaient toujours sur les us et coutumes de ces mystérieux italiens. Zarelli lui savait que ce n’était que des détails, de la poudre aux yeux. Tout le monde fonctionnait pareil. Ce qu’il avait utilisé avec Travis, il s’en servait aussi sur les habitants de Little Italy : la terreur.

L’un avait un cousin en situation irrégulière, un autre des produits de contrebande dans son magasin....

Zarelli ne songeait pas qu’aux procédés, mais aussi aux résultats. Le premier d’entre eux vint de Travis. Scarface organisait l’accueil de confrères new yorkais à Little Italy. Ce quartier était vaste tout comme la pègre new yorkaise. Au final ce tuyau était un peu trop flou. Malgré tout il intéressa le détective. D’habitude Capone n’aimait pas qu’on fourre le nez dans sa ville.

Cela suggérait une affaire très particulière. Alors le policier passa le mot à ses indics locaux. Il cherchait du new-yorkais. Un épicier de quartier lui en trouva un. Zarelli débuta sa prospection ou plutôt aurait dû. L’assassinat d’Aiello lui coupa l’herbe sous le pied.

Les tirs étaient parvenus d’une chambre d’hôtel pas loin de l’épicerie. Les occupants totalement inconnus dans le quartier avaient disparu juste après le meurtre. Pas besoin d’être Sherlock Holmes pour faire le rapprochement, ni comprendre que c’était trop tard. Toutefois il subsistait une frontière entre comprendre et admettre.

Le fumeur jeta sa cigarette, mais n’en ralluma pas une. Zarelli n’avait plus la patience nécessaire. Se fondre dans le décor et observer les environs en quête d’un éventuel indice ne donnait rien. Ayant besoin de bouger le détective se leva, et marcha au hasard des rues.

Il ne lâchait toujours pas le morceau. Pour ce meurtre à domicile, Scarface n’avait pas recouru à ses porte-flingues habituels. Sans doute auraient-ils été facilement repérables en plein territoire ennemi ? Le raisonnement tenait la route sauf toujours sur le même point. Capone détestait toute idée d’ingérence extérieure dans sa ville. Alors faire appel à de lointains new-yorkais ne correspondait pas tellement avec le personnage. Un élément manquait à Zarelli. Et ça risquait de demeurer en l’état, l’inspection de la suite de l’hôtel n’ayant fournit aucun indice exploitable.

Il croisa au bout de la rue, une call box. C’était une boite métallique fixée sur un mur ou à un poteau. Elle contenait une tablette, un crayon, et surtout un téléphone en contact direct avec le central de la police. On y accédait grâce une clé dont disposait les policiers et quelques citoyens considérés comme respectables.

En résumé ce dispositif servait après coup, une fois que le drame s’était déjà produit. Comme si l’allégorie n’était pas assez vexante, cette call box présentait d’importantes traces de rouille. Elle n’avait plus servi depuis longtemps, voir jamais. Un appareil inutile, juste bon à rassurer les passants, à leur faire croire qu’on veille à leur sécurité.

Le détective lui allongea une droite. Après le soulagement vint la douleur. Il s’était cassé une phalange dans le feu de l’action. Quelle sale journée !


Texte publié par Jules Famas, 11 septembre 2019 à 18h32
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