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tome 4, Chapitre 3 tome 4, Chapitre 3

New York juillet 1930

C’était un petit hôtel de deux étages situé dans la partie ingrate de Brooklyn. Le bâtiment était terne sans être décrépit. L’enseigne faisait encore bonne figure. Curieusement elle n’était pas allumée, bien que l’obscurité en cette fin d’après-midi commence à pointer le bout de son nez.

On était donc en présence d’un établissement occupé voir entretenu, et visiblement pas à la recherche de clients. Un homme ne semblait pas avoir saisit ce paradoxe, puisqu’il entra. Il retira poliment son chapeau en l’honneur de pas grand chose. La décoration n’était pas médiocre, mais inexistante. Ces longs murs nus aboutissaient au comptoir destiné à la réception. Le comptoir lui aussi était étrangement vide. Il y manquait la sonnette. Aucune clé n’était présente sur le tableau. D’une certaine manière le réceptionniste était également absent.

Avachi sur le comptoir, les manches de sa chemise relevée, la cravate défaite, et le regard fixant le néant, il ne donnait pas l’impression d’être en plein travail, ni tout simplement en vivant. L’arrivée d’un client potentiel lui fit à peine tourner la tête. Un spectacle désagréable soit-dit en passant. Avec sa face écrasée et ses grosses joues il ressemblait à l’un des chiens les plus laids du monde : le bulldog.

La vue de cet homme au physique pourtant pas particulièrement impressionnant fit passer le chien de salon en chien de garde. Il se releva, et descendit ses mains du comptoir.

« Vous voulez quoi ? » Balança-t-il avec de la tension dans la voix.

En opposition le visiteur répondit négligemment :

« Une fille. »

Ces deux mots furent comme une formule magique. Le bulldog se rendormit brusquement, et se contenta d’un mouvement du menton comme indication au client de passer. Peu perturbé par ces changements d’attitude, le visiteur avança tranquillement. L’autre extrémité du couloir débouchait sur un petit salon à l’éclairage faiblard. Sans doute les responsables cherchaient à obtenir un effet tamisé.

A cela s’ajoutait des rideaux fermés pour des raisons évidentes d’anonymat, des fumées de cigarettes, et toutes ces personnes rassemblées dans un espace restreint. Au final cet atmosphère suffoquant et trouble incitait à vite faire son choix. Peut-être était-ce voulu ? Allez savoir.

Hormis les prostitués seules trois personnes demeuraient dans la pièce. Un homme se tenait à droite des deux canapés servant de présentoir. Un autre se trouvait plus en retrait au fond de la pièce. Leurs regards vadrouillant indiquaient clairement leur fonction de sentinelles. Sans descendre au niveau du réceptionniste on sentait un certain relâchement chez eux.

On pouvait même entrevoir une crosse émerger d’un des pantalons. Quant au troisième larron il glandait... pardon supervisait dans un coin. Il s’agissait donc du chef. Vito éprouva un pincement au cœur en le voyant. Car ce patron d’un lupanar de seconde zone et mal secondé, il l’enviait.

Comment Vito en était-il arrivé là ? La pègre connaissait des aléas importants depuis l’arrivée de la prohibition, tel que l’assassinat d’un caïd supposé indétrônable nommé Frankie Yale.

Apparemment le responsable était ce foutu Al Capone toujours à étaler sa gueule dans les journaux. Pourtant avec un visage pareil il aurait mieux fait de s’abstenir. A vrai dire Vito n’avait pas tellement suivi l’affaire. C’était les retombées, qui importaient. A ce sujet les vétérans du gang se chargèrent de dépecer le cadavre. N’en faisant pas partit Vito se retrouva à devoir repartir à zéro.

Il avait commit une erreur en persistant à demeurer dans le gang de Yale. Et désormais elle ne le lâchait plus, un peu comme Capone avec ses cicatrices. Un instant de faiblesse et on se se retrouvait marqué à vie.

Vito se détourna vite du proxénète et des pensées allant avec. Il ne fallait pas oublier les raisons de sa venue. Les femmes présentes ne l’inspiraient pas énormément. Pour des raisons disons d’abattage elles ne portaient rien de mieux que des chemises de nuit auxquels s’ajoutaient des maquillages outrançiés. Et comme si ça ne suffisait pas elles étaient toutes brunes ou auburns.

Sa famille rêvant de le voir épouser une authentique italienne, Vito par esprit de rébellion était attiré par des physiques aux antipodes des méditerranéennes, c’est-à-dire des grandes blondes. Faute de mieux il jeta son dévolu sur une petite maigre ayant au moins le mérite de la sobriété. Contrairement à ses consœurs elle ne se cambrait pas exagérément, ni ne n’affichait un sourire voulu aguicheur.

Vito remit vingt dollars à l’un des hommes de main, puis suivit la femme jusqu’aux chambres plus haut. En fait il s’agissait plus de guider que de suivre. C’est tout juste si la prostituée ne dut pas le tenir par la main tant il était lent et hésitant. Il faisait penser à ces jeunes venus perdre leur pucelage.

Au premier étage la prostituée repéra rapidement une porte avec la clé sur la serrure. Cela signifiait, qu’elle n’était pas occupée. Alors elle entra avec son client, verrouilla derrière, et alluma la lumière du plafonnier. Bien entendu les volets étaient déjà fermés.

Contrairement à ce qu’on pouvait s’attendre le lit était propre et ses draps parfaitement tirés. Cette vision à la fois décalée et mensongère d’une certaine manière mit Vito mal à l’aise. Il se reporta sur sa « location ». Ce qui n’arrangea pas son état d’esprit. A présent en la regardant plus attentivement et sous un éclairage différent, il réalisa que c’était une gamine d’environ dix-sept ans. Son sourire forcé cachait difficilement un certain mal à l’aise.

Vito connaissait la combine. On faisait miroiter à une pauvre campagnarde naïve un emploi quelconque dans une ville, puis une fois sur place venait le dressage. Il fallait entendre par-là menaces, coups, viols... tout ce qui était nécessaire afin qu’elle fasse le trottoir.

Même s’il trouvait cela excessif, Vito ne se sentait pas le droit de juger surtout après le meurtre du concierge. Et puis le monde avait toujours été dur. Ce n’était pas nouveau. Toutefois cette adolescente le mettait mal à l’aise. D’ailleurs elle aussi le sentit.

« Il y a un problème ? » Demanda-t-elle craintive. « Je ne vous plais pas ? »

La perspective de laisser un client mécontent la faisait paniquer. Vito décida donc de faire un petit effort. Il la mit à genou évitant ainsi de voir son visage juvénile. Elle était maladroite, et lui pas tellement motivé. Ses mains se crispèrent sur les cheveux de l’adolescente. Une sorte de fierté mal placée le poussa à continuer. Puis l’éjaculation finit par venir, mais comme un simple réflexe mécanique et non un véritable plaisir.

L’adolescente se releva en tremblant. Elle avait bien perçu, qu’il n’était pas satisfait. Ce qui rendait parfois certains clients violents. Lorsqu’il leva la main droite, elle eut un mouvement de recul, puis vit le billet. Bien qu’étonnée elle le prit.

« Reste ici encore dix minutes. » Dit-il froidement avant de partir.

Même si elle ne comprenait pas, l’adolescente avait apprit à ne pas contrarier les hommes, et répliqua par un hochement de tête. Une fois Vito sortit elle regarda le billet avec émotion. Parce qu’il lui appartenait. Depuis combien de temps n’avait-elle pas détenu quelque chose ? Même son propre corps elle n’en disposait plus.

Vito quitta rapidement l’établissement. Il était toujours mal à l’aise. Qu’est-ce qu’il lui prenait de faire des cadeaux ? Qu’y a-t-il de plus stupide qu’un cadeau, un vrai cadeau totalement désintéressé comme dans le cas présent ?

A quelques mètres de là au détour d’une rue attendaient deux voitures : des limousines bien alignées l’une derrière l’autre. L’une des porte-arrières s’ouvrit à l’approche de Vito, qui y pencha immédiatement la tête à l’intérieur. A l’autre bout de la banquette se trouvait un paradoxe. Les quelques cheveux restant au niveau des tempes indiquait un âge avancé. Ce qui n’empêchait pas son propriétaire d’afficher un visage débordant d’énergie. Son embonpoint tirant son veston suggérait la négligence, ses épaules carrées elles la discipline.

« Alors ? » Dit-il avec un fort accent sicilien.

L’accent en question était justement la raison de la participation de Vito. Lui n’était pas repérable du fait de ses origines napolitaines. Il commença alors à faire consciencieusement son exposé.

« Le réceptionniste planque un truc sous son comptoir : une arme ou un bouton d’alarme. Dans le salon il y a deux hommes de main et le patron. J’ai repéré une sortie de secours à l’arrière du bâtiment. Elle n’est pas gardée mais doit sans doute être verrouillée. »

« Et bien c’est partit. » Conclut le paradoxe en se redressant brusquement.

« En piste. » Ajouta-t-il une fois à l’extérieur du véhicule à l’attention de ses subordonnés.

Quatre hommes sortirent des voitures simultanément. Leur gravité contrastait avec l’air amusé du leader. Alors qu’il ouvrait le coffre, ils s’alignèrent sagement derrière lui. Le paradoxe leur balança négligemment des armes de poing comme s’il s’agissait de friandises. Une fois la manoeuvre achevée il brandit un fusil, qu’il gratifia d’un bisou au niveau de la crosse.

« On est de sortie ma belle. » Lui dit-il

Cette arme n’en méritait pourtant pas tant. C’était une carabine winchester, qui se distinguait un peu par sa fonction militaire. L’année de sa création remontant à 1895, ce modèle commençait tout de même à dater.

« Alfonso et Rocco vous attaquez par le cul de la manière habituelle. Les autres vous me suivez. » Annonça-il toujours nonchalant. « Vito tu veux te joindre à la fête ? »

Jouer du flingue n’était pas l’aspect le plus intéressant de sa branche du point de vue de Vito. D’un autre coté rester en arrière ternirait sa réputation. Et c’était bien tout ce qui lui restait depuis la disparition de son organisation. Par conséquent il accepta la proposition à contrecoeur et surtout en prenant quelques précautions. Concrètement il se plaça en queue de cortège.

Quant au paradoxe il ouvrit la marche avec toute la subtilité qu’on pouvait s’attendre de sa part. Il vira la porte d’entrée d’un coup de pied, puis fit le feu sur le réceptionniste surpris sans même viser. Ce tir bâclé lui suffit à atteindre la tête. Il était comme ces vieux menuisiers travaillant d’instinct et n’ayant même plus besoin de prendre des mesures. Alors que ses subordonnés du fait de l’étroitesse du couloir attendaient sagement l’éventualité d’intervenir, le paradoxe changea. La brute mua en prédateur guettant attentivement sa proie.

La carabine bien calée dans le creux de son épaule, il avançait lentement l’œil rivé sur l’autre extrémité du couloir. Il en émanait seulement quelques cris féminins de panique. Brusquement le paradoxe enchaina des tirs sur l’embrasure droite de l’ouverture du couloir. Suivi un cri de douleur et une apparition, celle d’un homme se tenant le visage avant de tomber par terre.

L’homme de main s’était placé juste contre le mur à coté de l’ouverture. Malheureusement pour lui l’un des éclats l’avait atteint au visage. Une petite astuce d’un vieux de la veille. Par contre ça n’expliquait pas comment le paradoxe avait détecté sa présence. Allez savoir de quels autres tours il disposait encore ?

Après avoir achevé sa seconde cible Le paradoxe avança lentement comme un chien de chasse à l’affut. Soudain un cri ou plus exactement un appel retentit :

« Tout est OK. »

Le paradoxe reconnut immédiatement la voix d’Alfonso, et redevint un être avachi et négligent. Il s’avança le fusil vaguement pointé vers le bas toujours suivi par sa troupe. Dans le salon l’attendaient quelques femmes recroquevillés ça et là ainsi que le patron et son homme de main restant tous deux tenus en joue par Alfonso et Rocco. La tactique de diversion avait fonctionné à merveille.

Vito remarqua au passage l’absence de l’adolescente. Au moins il était parvenu à lui épargner ce spectacle. Un spectacle plutôt étrange à vrai dire. Ces hommes et ces femmes étaient désormais totalement à la merci de leurs assaillants, des hommes que tuer ne gênaient pas, voir amusaient. Malgré tout ces otages restaient inactifs, ils ne suppliaient même pas. Toutefois leurs regards révélaient clairement de la peur. Ils étaient eux aussi des membres des bas fonds. Ils avaient donc consciences, qu’ils ne disposaient plus de leurs vies dans cet instant. Alors ils attendaient résignés.

Le paradoxe ne se fit pas prier.

« Bon je vais vous la faire courte. Maintenant vous ne bossez plus pour Maranzano mais pour Masseria. »

La guerre s’était finalement révélée inévitable. La tactique d’intimidation de Masseria avait bien commencé avec l’élimination à Détroit du parrain d’une autre famille du mouvement castellammarais. Cola Shiro le capo de New York n’émit même pas l’ombre d’une protestation face à cette offense. Le sentant à point Masseria exigea de lui une part de ses bénéfices. Cette campagne de terreur connut alors son premier revers ou plutôt elle fonctionna trop bien.

Shiro terrifié disparut de lui-même à moins que ses lieutenants déçus par son attitude s’en soient chargés. Un certain Salvatore Maranzano prit alors les commandes, et décida de rendre les coups. Enfin quelqu’un osait s’opposer au terrible Joe the boss. Leur affrontement semblait voulut par une quelconque identité supérieure tellement tous les différenciait. Si Masseria faisait penser au beauf de Cabu la moustache en moins, Maranzano lui était un érudit parlant même le latin.

Quant à Vito il fallait bien qu’il se refasse. Le défunt gang de Yale disposait de connections avec la famille Masseria. Depuis de la livraison de Long Island et l’élimination de Bill, Vito était considéré comme un homme de main convenable et plutôt subtil. Ce dernier point assez rare lui permit de devenir une sorte d’éclaireur au sein de cette guerre.

Songeur Vito regarda le champ de bataille. Six hommes pour prendre un bordel de seconde zone, c’était totalement disproportionné. Sauf que le clan de Masseria pouvait se le permettre. Ayant des affaires à Brooklyn la famille Maranzano n’était pas non plus une inconnue aux yeux de Vito. Il connaissait son sens de l’organisation et sa fortune essentiellement issue de la vente de produits nécessaire aux distilleries.

Malgré ses deux indéniables atouts les castellammarais devraient au final céder face à la masse adverse. C’était une évidence. Pourtant Vito ne se réjouissait pas tellement d’être dans le camp des futurs vainqueurs. De son point de vue ils n’y en auraient pas vraiment. Tout ce qui en ressortirait se serait du gâchis. Sauf si on se montrait plus malin que les autres.


Texte publié par Jules Famas, 5 septembre 2019 à 19h40
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