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tome 3, Chapitre 8 tome 3, Chapitre 8

Chicago novembre 1927

Une fois sa voiture garée dans un coin discret, il fit le reste du chemin à pied dans l’obscurité. Toutes ces précautions se firent presque sans réfléchir. La discrétion était le maitre mot durant sa jeunesse. Quand on était pauvre et italien, il valait mieux éviter de se faire remarquer.

Il fallait faire comme son père un simple vendeur de tomates. Lorsque le wiseguy (littéralement le gars malin, désignant un membre du crime organisé) venait se servir ouvertement dans sa charrette à bras, il faisait semblant de ne pas le voir. Tout comme il masquait son ressentiment en lui donnant une part de ses maigres bénéfices.

A vrai dire dans son milieu on courbait l’échine lors de beaucoup d’autres occasions en allant à l’usine ou à l’école, en sortant du quartier réservé à la communauté...

Seuls les wiseguy n’avaient pas honte d’exister, et marchaient toujours fièrement au milieu de la rue. Une autre exception subsistait : les policiers. Eux aussi s’affichaient sans le moindre complexe. Parmi ces deux exemples lequel offrait le meilleur choix ?

En pur produit de Chicago il se sentait presque en pays étranger devant cette petite maison isolée. Cette nuit dénuée du moindre son et éclairage renforçait cette impression. Qu’importe il avait déjà fait bien plus dur. Il procéda à une petite inspection avant de passer à l’intrusion. L’enjeu était trop gros pour se permettre la moindre négligence.

********************************

Même lorsque ses mains cessèrent de trembler avec les premières notes, Travis ne fut soulagé qu’un temps, celui de sa prestation où il pouvait s’oublier un peu. Une rencontre avec Scarface ne pouvait pas être sans conséquence. Des changements importants se profilaient.

Et pourtant Travis avait eu tort. Un déménagement pas bien loin à Cicéro, une autre place dans un speasy plus prestigieux où Capone avait ses habitudes. Le seul changement méritant le qualificatif de notable, n’était même pas lié au kidnapping d’anniversaire : la mort de Ryan.

En fait ce décès n’attrista pas tellement Travis. Vue l’état de santé de Ryan, c’était prévisible. Et puis pouvait-on le considérer encore comme vivant ces derniers temps ? Quoiqu’il en soit Travis se voyait débarrassé d’une gêne.

Un autre changement était à signaler que Travis lui-même percevait à peine : son logement. Désormais il vivait en périphérie de la ville dans une petite maison en bois. Cette bâtisse rustique et disposant de seulement deux pièces surpassait tout de même de loin son ancien taudis à Chicago. En guise d’exemple même si les toilettes étaient à l’extérieur au moins Travis n’avait à les partager avec personne d’autre. Dommage qu’à ses yeux tout cela n’ait toujours aucune importance.

Travis rentrait chez lui un peu plus tard que d’habitude. L’aube pointait le bout de son nez. Cette lumière naturelle et désormais étrangère lui fut désagréable. C’était comme une nuée de moustique : agaçant et impossible à repousser complètement. Il rentra vite à l’intérieur espérant gagner en obscurité. Hélas une surprise l’y attendait, un homme plus précisément. Non content de s’être introduit dans la maison pendant la nuit il s’était installé dans un fauteuil.

Pas d’insulte, ni de menace, ni de cri de stupeur. Travis se contenta à sa vue de dire :

« Détective Zarelli »

Même sujet à un mélange de surprise et de crainte, il n’oubliait pas la hiérarchie à la fois sociale et raciale. Par conséquent il demeurait respectueux. Le policier lui au contraire se montrait familier voir insultant.

« Salut le bouffon du roi. »

Il avait trouvé ce surnom à l’usage de Travis du fait de sa relation avec Capone, et aimait en user. Comment était-il remonté jusqu’à lui ? Cette question n’effleura même pas l’esprit du musicien, qui vivait toujours dans l’instant.

Zarelli voyait en Travis l’indic idéal. Il était souvent à proximité de Scarface tout en restant insignifiant et par conséquent n’attisant pas la méfiance. Le tout était de le convaincre. Personne d’à peu près censé n’aurait accepté d’espionner un homme comme Capone sauf à la rigueur contre une énorme rétribution à la clé. Le policier préféra la menace. C’était plus économique.

Malheureusement cette stratégie comportait aussi certains défauts. Face à la pression Travis disparut de la ville. Du fait de ses relations avec Scarface, Cicéro comptait parmi les planques potentielles. Seulement Zarelli ne se voyait pas enquêter dans ce territoire ennemi. De plus il n’y disposait que d’un seul contact : Moore un autre policier bien trop usé pour prendre des risques. Sans crier gare le vieux détective sortit soudain de sa torpeur, et lui dénicha les renseignements désirés. Zarelli était bien trop enthousiaste pour s’interroger sur les raisons de ce revirement.

L’angoisse de Travis s’intensifia, lorsqu’il vit l’arme trainant négligemment sur les genoux du policier. Il faut reconnaitre, qu’il était difficile de louper un colt positive special. Ce révolver au long canon était tout sauf discret. D’ailleurs pourquoi l’aurait-il été ? Ses utilisateurs de base les policiers en uniforme, n’avaient pas à la dissimuler. Au contraire cet outil lié à leur autorité, devait être vu.

Contrairement à ce que beaucoup de ses confrères croyaient, Zarelli ne le gardait pas par nostalgie du temps où il était patrol officer. En fait son choix reposait sur l’impression qui suivait généralement l’apparition de cet engin si imposant, comme celle à présent sur le visage de Travis.

« Il était noir, monsieur le juge. » Dit le policier tout en empoignant la crosse. « Je me suis sentis menacé et j’ai tiré. »

Une enquête non officielle puisque hors de sa juridiction, une violation de domicile, et voilà que s’ajoutait une menace de mort au tableau. Zarelli allait très loin. Pourtant il n’était comme certains de ses confrères pensant qu’il fallait parfois enfreindre la loi pour mieux la défendre.

Le détective lui ne songeait ni à la loi ni à ce qu’elle représentait. Son raisonnement était bien plus primaire. De ce qu’il avait vu lors de sa jeunesse à Little Italy la police et la pègre étaient deux armées se disputant le contrôle des rues. Ne voulant pas être réduit au rôle de butin, il avait donc rejoint l’un des deux camps. Quant au choix de la faction, Zarelli prit la moins pire selon ses souvenirs. Les gangsters rackettaient son père et non les policiers. L’argument était un peu léger. Au fond le camp était secondaire. Ce qui comptait vraiment était d’en avoir un et de s’y consacrer.

De son coté Travis ne voulait pas mourir. Son existence lui convenait, puisqu’il jouait. Il savait que le policier ne bluffait pas. Les autorités ne feraient pas grand cas de son assassinat. Un seul recourt restait au jazzman. Par conséquent il se rua dessus.

« Capone m’apprécie. » Répliqua-t-il d’une voix tremblante en espérant que son unique atout fonctionne.

La simple mention du caid fit bondir Zarelli de son siège. Il perdit au passage son air provocateur au profit d’un autre bien plus colérique.

« Je suis flic. Je sais effacer mes traces. »

Voilà ce qu’aurait dû logiquement dire le détective. Sauf que sa haine envers Scarface l’emporta. L’homme en lui-même n’était pas à l’origine de son ressentiment. A vrai dire il ne l’avait même jamais rencontré. Tout reposait sur son statut. Il était présenté comme le roi de la ville même par la presse. Capone était donc la cible prioritaire, celle méritant tous les sacrifices et les excès.

Par conséquent il l’attaqua par personne interposée.

« Ce gros porc ne peut pas enfreindre toutes les règles. Je suis blanc. Et t’es un putain de nègre. Jamais il te vengera de moi. Tout le monde lui tournerait le dos après ça, même ses propres hommes. »

Le pire est que ce raisonnement improvisé tenait la route. D’ailleurs Travis le comprit immédiatement. Ainsi s’il acceptait de faire la taupe au vue de ses maigres connaissances dans le domaine criminel, le musicien se ferait probablement repérer puis tuer. Seulement s’il refusait, il mourrait tout de suite.

Travis préféra donc retarder l’échéance.

« Qu’est-ce que vous voulez ? »

Cette phrase contenait toute la tristesse du monde. Il réclamait juste une petit place, juste le droit de jouer un peu. Était-ce trop demander ?

Face à ce spectacle Zarelli n’éprouva aucun remord. En devenant détective de son point de vue il était passé d’homme de troupe à espion. Et un bon espion devait accepter de faire le sale boulot. C’était même sa fonction première.

« Pour commencer des noms. » Dit-il en rengainant vue que l’affrontement venait de s’achever. « Les noms que prononce régulièrement Capone en compagnie de sa cour. »

« Caruso. »

« Tu te fous de moi ! »

Travis qui avait sortit cela sans réfléchir, se concentra un peu plus.

« Bugs .... Morgan. »

« George Moran dit Bugs. » Corriga Zarelli. « Qui d’autre ? »

Il n’était pas satisfait. Bugs Moran était l’unique survivant du quatuor à la tête des northsiders, les principaux rivaux de Scarface, donc rien de bien nouveau. Zarelli avait déjà étudié cette possibilité. Ils étaient trop affaiblis avec leurs dernières pertes pour être à l’origine d’une reprise des hostilités.

Quelques noms sans grande importance suivirent jusqu'à l'apparition d'une véritable piste.

« Joe Aiello. »

Comment n’y avait-il pas déjà pensé ! Joe Aiello dirigeait une famille mafieuse. Jusqu’ici discrète cette organisation avait été relativement épargné par la guerre des gangs précédente. Suite à l’élimination des frères Genna, la famille Aiello s’était emparé de Little Italy sans trop de difficulté. Bref Zarelli détenait un candidat potentiel à la recrudescence des combats.

« Et bien tu vas me travailler celui-là. »

« Comment ? »

La question ne sous-entendait presque aucune crainte. Travis avait finit par dépasser ce stade. Il acceptait donc cette tâche et les dangers inhérents avec une résignation désarmante. A vrai dire sa condition l’y avait bien préparé. N’était-il pas un sous-homme dont l’existence et la volonté valaient si peu ?


Texte publié par Jules Famas, 3 août 2019 à 17h23
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