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tome 2, Chapitre 3 tome 2, Chapitre 3

Sur les routes mars 1923

La scène manquait franchement de cohérence. Que faisaient ces trois voitures et ces gens au milieu de nulle part ? En fait c’était même pire. Il s’agissait d’à côté de nulle part. Cette maison apparemment abandonnée se situait en périphérie d’une ville paumée du middle west. Quel genre de personnes pouvait donc s’y attarder ? Des gens louches bien entendu.

Par conséquent on se serait attendu à un minimum de discrétion de leurs parts. Certains n’avaient même pas rangés leurs armes. L’un d’entre eux gueulait « Main blanche » (surnom de la pègre irlandaise), tout en brandissant sa main les doigts bien écartés. Comme si le message n’était pas assez clair. Un seul demeurait modéré dans ses réactions. Évidemment personne ne songea à l’imiter.

« Hé Tom, tu ne l’as pas loupé le premier rital. » Lui dit un de ses complices, qui malgré son compliment ne parvint pas à le faire réagir.

Le dénommé Tom était d’une certaine manière sous le choc après l’attaque en cortège. Cette technique de gangster consistait à passer en voiture devant une cible, et la canarder au passage. Cela réduisait les possibilités de riposte immédiate et de poursuite.

Avant le départ Tom appréhendait cet assaut. Jusqu’alors il avait ouvert le feu uniquement sur les obstacles en travers de sa route comme des policiers, ou des caissiers peu coopératifs. Cette fois-ci il s’en était pris gratuitement à des gens, enfin du moins de son point de vue.

Dans le cas présent le lieu fut un café, un officiel. Ils en existaient encore. On y servait thé, café... Et si on citait une boisson rare comme un jus de banane avec un petit sous-entendu dans la voix, le serveur vous apportait quelque chose de plus fort et de moins légal. Les italiens tenant cet établissement pratiquaient ce type de procédé, et comble de l’impolitesse par le biais de leur propre réseau d’approvisionnement.

Le gang de Donovan décida donc d’apprendre les règles locales à ces nouveaux venus. Tom se trouvait dans la voiture de tête pendant l’attaque. Sans doute le crissement des pneus ou le vrombissement du moteur, se fit un peu trop bruyant. Car un homme à la terrasse de l’établissement, porta son regard vers le véhicule.

Ses yeux se fixèrent sur Tom. Forcément un type armé d’un fusil attire l’œil. Curieusement Tom conservait un souvenir précis de son apparence. Ses victimes avaient rarement droit à cet honneur. Il s’agissait d’un petit homme, avec une grosse moustache désuète. Il était vêtu d’une chemise large, et d’un pantalon remontant jusqu’au ventre. Il faisait penser à une caricature de paysan à l’ancienne.

A la grande surprise de Tom la première salve partit instantanément. Finalement ce n’était pas plus difficile que de descendre quelqu’un pour un tiroir-caisse. Quant à la suite à l’instar de ses successeurs dans le convoi, Tom se contenta de vider au maximum son arme durant le temps imparti sans même viser.

Un simple acte de saccage, ni plus, ni moins. Décidément il ne comprenait pas l’enthousiasme de ses confrères. Sans doute cela lui viendrait, une fois mieux intégré. Pour l’heure il s’occupait en remplissant le magasin de son remington 14A. Ce fusil à pompe possédait à la fois la puissance inhérente à sa catégorie, et la portée d’une arme de chasse. En résumé il s’agissait d’une arme passe-partout collant parfaitement aux besoins d’un vagabond comme lui.

Puis Philippe Donovan dit Young Phil vint apporter les nouvelles, suite à son coup de téléphone. En effet cette vieille bicoque disposait d’un système téléphonique. On n’en était plus à une anormalité près. L’arrivée du meneur remit un peu d’harmonie dans le tableau, puisque tout le monde suivit Tom dans son silence.

Tom ne l’aimait pas beaucoup Young Phil. C’est comme s’il avait toujours quelque chose à prouver. Un peu à l’instar de sa barbe à peine visible du fait de sa blondeur, qu’il s’acharnait tout de même à faire pousser sans doute pour faire oublier son surnom. Toutefois on ne pouvait pas lui nier une certaine malice dans le regard.

« Le shérif m’a fait son rapport. » Annonça-t-il. « On en a butés deux et blessés trois. »

Il laissa passer quelques cris de joie avant de reprendre.

« Histoire de donner le change, quelques voitures de patrouille « cherchent » les tireurs dans les alentours. On va donc devoir rester dans la planque jusqu’au soir. »

Même en annonçant ce petit désagrément, Young Phil ne perdit pas une once de son sourire. Il n’y a pas si longtemps malgré leurs sangs irlandais en commun, le shérif n’aurait jamais accepté une telle action de sa part. Auparavant la petite bande vivotait d’un peu de racket, de contrebande, et de divers petits larcins. Les autorités locale la toléraient en échange d’une part des profits, et d’intimidations auprès des votants les jours d’élection.

Puis la prohibition débarqua. Young Phil se retrouva soudainement couvert de frics. Il lui suffit d’en agiter une partie pour qu’on oublie l’avis de recherche concernant un nouveau venu en ville. Parce que l’étranger dénommé Tom disposait d’un pédigrée prometteur. Il était parvenu à sillonner l’état en laissant de multiples braquages derrière lui. Young Phil procura à ce travailleur itinérant une place de choix dans son organisation.

Tom en était reconnaissant. Surtout que son supérieur était en-dessous de la vérité. Son errance remontait à beaucoup plus loin. Les services fédéraux en étant au stade embryonnaire, passer une frontière inter-état réglait bien des problèmes, sauf le besoin de se poser. D’où la reconnaissance.

Désormais le caïd celtique avait des contacts, de l’argent, et un véritable henchman (homme de confiance et généralement tueur à gage) à son service. Rien ne pouvait plus l’arrêter. N’est-ce pas ?

***********************

Cette venue dans la maison isolée était bien différente de la précédente. Pas de cri joie, pas de foule en délire... juste trois hommes tirant des têtes d'enterrements. D'ailleurs ils en avaient assisté à un, il n'y pas si longtemps.

Curieusement Fergus arriva le dernier. Pourtant sa principale fonction consistait à se déplacer. Il ferma soigneusement la porte afin d'empêcher la chaleur de sortir, puis réalisa son absence. Le poele, ni même une lampe n'étaient allumés malgré leur tardive. Les deux hommes déjà présent se tenaient debout chacun à un coin opposé de la pièce. Et ils ne devaient pas en avoir bougé depuis leurs arrivées. Voilà qui était prometteur.

« Bon nous sommes tous là. » Déclara Danny.

« Merci pour la précision. » Rétorqua Sean cyniquement.

Danny était l’archétype du dur à cuire, celui qui se relève toujours, et par conséquent est forcément le dernier debout après la bataille. A défaut de posséder une telle détermination Sean lui était un vicieux. Le genre d’homme qui sort dont ne sait où un couteau, si la bagarre ne lui est pas favorable. Conscient de cela Danny l’amena sur un terrain plus dégagé.

« T’as quelque chose à dire, Sean ? »

« C’est plutôt à toi, qu’il faut le demander. »

« T'insinue que je suis trop stupide ? Que je ferais mieux de me taire ? »

« Je n’insinue pas, je constate. »

Même s’il arriverait forcément, leur affrontement devait être reporté. D'autres priorités primaient.

« J’ai les premières conclusions de l’incendie par le shérif. » Dit à son tour Fergus.

C'était sa façon à lui d'intervenir. A vrai dire il n'en connaissait aucune autre. Il était le chauffeur de Young Phil depuis plusieurs années, et surtout se chargeaient de transmettre les ordres et les informations. Danny et Sean les deux autres tête d’affiches du gang de Donovan eux s’occupaient de travaux plus « physiques ».

Ayant obtenu le silence Fergus poursuivit.

« Pas de trace, ni de témoin. »

Ce rapport donnait une désagréable impression de déjà-vu.

L’assassinat de Young Phil avait eu lieu le soir suivant l’attaque en convoi. Alors que sa femme l’attendait, deux coups de feu presque simultanés avaient retentit dans l’allée séparant le garage de la maison. Un tir dans le dos et un autre dans la tête une fois à terre probablement par précaution.

Les voisins n’avaient rien vu, ni avant, ni après. Le tueur était un véritable fantôme. En tous cas il ne pouvait s’agir qu’un de ces foutus ritals. La ville était trop petite pour offrir une autre éventualité. Les projectiles employés étaient les plus anonymes existant : des chevrotines. Et aucune douille ne trainait dans les environs. Et voilà que quelques jours après la salle de billard servant de point de ralliement au gang de Donovan prenait feu.

« Les ritals sont entrains de nous niquer. On doit frapper. »

Même si Danny continuait à balancer des évidences, elles n’étaient pas stupides pour autant. Effectivement se contenter de laisser faire le shérif n’était plus d’actualité.

Du point de vue de cet homme de loi les italiens surpassaient les noirs, sans être complètement des blancs pour autant. Donc qu’un demi-blanc en tue un entier, n’était pas acceptable. Surtout que le shérif n’avait été ni averti, ni acheté à ce sujet. A cela s’ajoutaient ses liens communautaires, et surtout financiers avec le gang de Donovan. Donc le shérif s’engagea à retrouver le meurtrier de Young Phil. La bande du défunt trop désorientée sur le moment le laissa faire.

Les techniques scientifiques étant inopérantes, le shérif opta pour d’autres plus archaïques. Les jours suivant l’assassinat, les forces de l’ordre les consacrèrent à martyriser les habitants du quartier italien. Les passages tabac, les menaces pour certains sur la précarité de leur droit de résidence aux États-Unis, les saccages d’appartement sous le prétexte de fouilles… Rien n’y fit. Personne ne cracha quoique ce soit.

« Un nouveau raid dans le quartier italien risque de foirer. On n'aura plus l'effet de surprise. »

Les mots de Sean ne contenaient plus de provocation, seulement du pragmatisme. Cette amélioration se révéla n’être que temporaire. Car juste après il ajouta :

« Le mieux c'est de se mettre aux matelas. »

Se mettre aux matelas consistait durant une guerre des gangs à déserter les domiciles habituels au profit de planques discrètes où on installait justement des matelas à même le sol. Voilà qu’elle était la proposition de Sean : se préparer à encaisser.

Il fallait voir les choses en face. Young Phil était le seul véritable cerveau du gang. Toutefois à force de l’assister en permanence Fergus avait acquit un certain savoir-faire. Lui détenait bien une stratégie valable. Seulement comment se faire entendre. Peu importe la pertinence de sa proposition. Il n’était qu’un suiveur, un type effacé. Les deux autres lieutenants eux en imposaient. Pour dire les choses grossièrement ils en avaient dans le froc. Et visiblement un pantalon débordant à l’entre-jambe faisait un meilleur chef qu’une cervelle pleine du point de vue du gang.

Sa fonction de messager permit à Fergus de sortir de l'impasse. A défaut d'accéder à sa direction au moins il sauverait l’organisation.

« Phil avant de mourir m'avait donné quelques instructions. »

Danny et Sean adressèrent à leur confrère un regard attentif comme il n'en avait jamais bénéficié auparavant. Le grand Young Phil imposait encore le respect par-delà la tombe.

**************************************

Pas de doute son incorporation dans le gang de Donovan commençait à changer Tom. Jusqu’ici il logeait au mieux dans de petits hôtels miteux et retirés. Là il s’était prit une chambre dans une pension du centre-ville. La discrétion cédait au profit du confort. Sans doute ce luxe même réduit lui demeurait trop inhabituel. Puisque allongé sur son lit depuis un certain temps, il ne parvenait toujours pas à dormir.

En fait sa tâche à venir le préoccupait. Car même post-mortem les ordres et attributions de Young Phil persistaient. Son second ou plutôt ancien second était venu lui présenter l’affaire il y a deux heures.

Dans l’hypothèse où le cortège ne suffisait pas à dresser les italiens, il avait prévu un plan de secours. Il prenait la forme de petites frappes rapides et ciblant judicieusement les meneurs chez les italiens. Et qui était le plus apte pour cette mission selon les instructions de feu Young Phil ? Pas un groupe trop lourd et peu discret. Il fallait quelqu’un de mobile et habitué à travailler un solo.

A la réflexion Tom se rendit compte, que cela était bel et bien dans ses cordes. A la place de d’une banque ou d’un magasin, il viserait des gens. Fergus s’arrangeait actuellement avec le shérif afin qu’il fournisse des noms, et des adresses. Ensuite viendrait la phase de repérage, et enfin d’action. Si c’était si simple pourquoi Tom cogitait-il ainsi ?

Son expérience en matière de raids discrets lui permettait de percevoir, que l’exécution de Young Phil allait au-delà de la simple revanche. L’assassin avait su où et quand frapper ainsi que comment s’enfuir. Il était évident que des repérages préliminaires avaient été faits. En fait le cortège des irlandais n’avait dû au mieux avancer la date d’application.

L’incendie suggérait lui aussi une préméditation soignée. Ce sens de l’organisation au sein du camp adverse, n’était pas très rassurant. Pourtant il fallait bien réagir. Sinon ces maudits méditerranéens frapperaient de nouveau. Et voilà comment on se retrouvait avec un Tom insomniaque. Son intervention bien que nécessaire, comportait donc de gros risques.

Par chance il existait des choses, que Tom faisait en dehors de toute réflexion. De ses périodes de traque il avait acquit différentes précautions, comme par exemple étalé un journal devant la porte d’entrée de sa chambre. Suite au bruit de froissement provoqué par l’ouverture de la porte Tom se redressa un instant avant qu’un tir ne jaillisse de l’entrebâillement.

S’il tergiversait à propos de la stratégie d’attaque, en revanche un clin d’œil suffisait à Tom dans ce genre de situation. Les plumes de son oreiller n’avaient même pas commencé à retomber, qu’il était déjà en train de tirer vers la porte avec le révolver auparavant posé sur la commode. Toujours avoir une arme à portée de main comptait aussi parmi ses précautions. Quelques cris retentirent en provenance des autres occupants de l’endroit. Par contre aucun autre coup de feu ne vint, ni de bruit de fuite à proximité de la porte.

Tom avait-il fait mouche ou son adversaire tentait-il de le feinter ? La seconde hypothèse était possible de la part de quelqu’un ayant parvenu à s’infiltrer dans cette maison et d’ouvrir la porte sans un bruit, si l’on faisait exception de ce salutaire système d’alarme artisanal. Les hommes du shérif allaient venir à la rescousse. Sauf que Tom demeurait encore un solitaire incapable d’envisager de l’aide en pleine action.

Pour lui la conclusion de l’affrontement se situait uniquement derrière cette porte. Soit il y avait un cadavre et la victoire, soit un homme bien vivant en embuscade et la mort.


Texte publié par Jules Famas, 16 mars 2019 à 10h58
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