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Détroit décembre 1921

Même si la comparaison semblait scabreuse, la situation rappelait à Melvin sa première masturbation. C’était si facile, si accessible, et évidemment agréable. Rien à voir avec sa voisine la petite Suzy, qu’il avait dû écouter parler tout un après-midi en échange d’un petit bisou sans la langue.

Une quinzaine d’années après il vivait une expérience similaire. Habituellement pour gagner sa vie il noircissait du papier enfermé dans un bureau toute la journée. Et voilà qu’il se baladait au grand air avec une bonne liasse de billets en prime à la fin. Tout ce qu’on exigeait de lui était de charger puis de décharger quelques caisses. Ses deux complices étaient encore mieux logés. Scott lui appréciait de sortir son vieux bateau hérité d’un oncle ou d’un grand-père. Quant à Alex il s’en tenait à ce qu’il faisait le mieux : rien.

Tout avait commencé par une conversation entre des collègues de travail entendu par Melvin.

« Alors les préparatifs de ton mariage à Belle Isle, ça avance ? »

« Oui et non, je n’ai toujours pas de quoi boire. Franchement un mariage sans de quoi picoler, quel intérêt ? »

« Pourquoi tu ne fais pas une virée à Windsor ? »

« Je n’ai pas de bateau. »

Windsor était une cité canadienne qu’un simple fleuve à l’ouest baptisé Detroit River séparait de Détroit. Melvin songea alors à son ami Scott et à son bateau, et y vit une opportunité de se faire un peu d’argent sans trop d’effort. Le bouche à oreille fit rapidement son office. Un tel voulait de la bière pour fêter la saint Patrick avec ses amis, un autre plus snob du bon vin....

La clientèle du trio ne dépassait jamais le stade du petit cercle restreint. Il faut dire que la concurrence était énorme, puisque le premier venu s’improvisait trafiquant. Ford en y implantant ses usines avait fournit à cette ville le surnom de Motor City. Avec la prohibition en venait un deuxième plus cynique : le robinet de l’Amérique.

Ce succès restreint ne gênait pas le moins du monde Melvin. Tant qu’il pouvait oublier le temps d’une soirée son assommant travail administratif et améliorer son ordinaire, il était satisfait. Et la police ? Ils enfreignaient tout de même la loi. Les policiers avaient tellement à faire sur ce point. De toute façon en dernier recourt il y avait Alex.

Le bateau regagna sa place dans le port en fin de soirée. Scott avait toujours un petit pincement au cœur en amarrant. Est-ce que son oncle ou son grand-père, qui l’emmenait parfois à la pêche, aurait apprécié cet usage de son bâtiment ? Au moins il ne restait plus en rade à servir de perchoir aux oiseaux.

La routine continua. Scott alla mettre en place la passerelle. Melvin lui prit une première caisse tout en disant à Alex : « Tu te bouges. » sachant qu’au moins trois répétitions seraient nécessaire. Soudain eut lieu une perturbation au sein de cette mécanique éprouvée.

« Amenez-vous. » Balança Scott à l’attention de ses complices sur un ton blasé suggérant un problème ou plus exactement une contrariété.

Sur le quai juste en face de leur passerelle attendaient quatre hommes. Ils étaient parfaitement alignés, portaient tous un manteau noir et un chapeau légèrement baissé sur le devant, et affichaient un air renfrogné. A croire qu’ils avaient été fabriqués en usine. Dieu ce que ces gangsters pouvaient être lourds ! Étant par défaut le chef de leur trio, Melvin s’adressa à eux en récitant platement son texte à l’instar d’un mauvais acteur. A défaut de l’inquiéter cette rencontre l’ennuyait.

« Vous êtes qui ? »

Le deuxième en partant de la droite se chargea de répondre. Avec sa chevelure frisée dépassant çà et là de son couvre-chef et son air endormi, il sentait la négligence, pas le choix idéal pour un porte-parole.

« Vos patrons. »

Et bien ce n’est pas la modestie, qui l’étouffait ! Les autres préféraient le terme partenaire et y mettaient un peu plus de forme. Alex poussa un énorme soupir. Cette fois-ci il était obligé de bosser. Car cette tâche personne d’autre ne pouvait s’en charger. En s’avançant il provoqua un début d’étonnement au sein de l’assemblée des croque-mort. Ses complices portaient des bleus de travail et des gros pulls. Lui se contentait d’un pantalon de ville, et d’une chemise froissé. D’où sortait ce touriste ! Contrairement aux apparences il était bien à sa place, et s’apprêtait à le prouver.

« Mon nom c’est Poulos, comme le commissaire de Greektown (un quartier de Détroit). »

Tallman, Licavoli, Bommarito, Lucido, Zerilli... la liste des truands s’adonnant à la contre-bande alcool était interminable à Détroit. Et justement avec tellement de rivaux potentiels aucun truand ne voulait en plus devenir une cible prioritaire de la police juste à cause d’une petite équipe de bootleggers.

C’était là que résidait toute l’utilité d’Alex. De son coté le porte-parole répondit par un hochement d’épaules dédaigneux, puis dégaina d’un geste vif un de ces gros révolvers colts, une arme de destructeur, de boucher. Une balle perfora alors le torse d’Alex. Aucune lueur sadique n’émanait du porte-parole, ni la froideur du tueur aguerri. Il était juste soulagé comme s’il avait viré un chien un peu trop collant d’un coup de pied ou écrasé une mouche. L’un de ses confrères émit un petit ricanement de voir le caquet de cet arrogant rabattu. Les autres s’en foutaient carrément. De leur coté Melvin et Scott étaient sous le choc.

« Bon les connards. » Enchaina le porte-parole sur un ton moins crispé que précédemment. « Vous allez nous filer la moitié de votre marchandise de ce soir en signe de bonne volonté. C’est compris ? »

Scott se tourna machinalement vers Melvin. C’était lui l’initiateur de leur trafic, lui qui avait recruté Alex comme protection. Melvin encaissait, et observait. Autant qu’il puisse en juger le tir était plutôt correct. Le tueur n’avait même pas rengainé. Personne à proximité ne se montrait malgré le bruit de la détonation. Mais le plus important demeurait, qu’il avait descendu sans la moindre hésitation, ni discrétion le parent d’un policier.

Melvin commençait à comprendre, qu’il ne faisait pas face à des truands ordinaires. Il répondit alors par l’affirmative à la demande d’un hochement de tête. Qu’est-ce qu’il l’attendait à présent ? Qu’est-ce qui attendait Détroit ?


Texte publié par Jules Famas, 17 février 2019 à 09h21
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