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tome 1, Chapitre 22 tome 1, Chapitre 22

Le soleil commençait à peine à percer le ciel de quelques rayons et le coq ne chantait pas encore, pourtant Astérix était déjà réveillé depuis un long moment. Assis sur sa couche devenue froide, il demeurait plongé dans ses pensées, le regard rivé sur ses mains croisées sur ses genoux. Une part de lui-même refusait encore d’intégrer cette réalité dont il ne souhaitait pas faire partie. Après tout, pourquoi l’aurait-il voulu ? Il ne tarderait pas à quitter le confort de sa hutte pour prendre part à un long voyage et si, habituellement, la perspective de l’aventure lui donnait des frissons d’excitation, ce n’était nullement le cas cette fois-ci. Ce n’était pas tant dû au danger, auquel il ne pensait pas pour l’instant ; c’était davantage le problème de la future confrontation qui s’annonçait.

Car quelle chance avait-il de ne pas croiser Luna – pardon, Yucca – sur le chemin ? Ou même, ne serait-ce que de l’apercevoir parmi les siens ?

A présent, il se sentait confus. Comment réagirait-il si cela s’avérait être le cas ? Et comment réagirait-elle, elle, si elle venait à le voir et à le reconnaitre ? Le traiterait-elle comme un ennemi comme lui-même devrait le faire, au même titre que toutes ses semblables comme si rien ne s’était produit auparavant, comme si leur amitié n’avait jamais existé ? Il ne savait pas s’il y parviendrait à ce moment tant redouté ; il lui fallait tout un exercice de l’esprit pour seulement accoler ces deux pensées. Et donc plus que tout, il craignait que ses sentiments pour elle, plus forts qu’il ne l’aurait voulu, n’entrainent de funestes conséquences pour leur expédition – et il espérait du plus profond de lui-même réussir à garder la tête froide le moment venu –. Etre capable de l’affronter dans le pire des cas.

Le claquement sourd de la porte d’entrée en contrebas le fit à peine sursauter, cependant il eut le mérite de le tirer de ses pensées. Il se redressa puis en se frotta distraitement le visage de ses mains. Il ne s’était pas encore rasé ni n’avait entamé sa toilette, et ce constat lui tira une grimace. Ses réflexions l’avaient plongé dans un tel état d’apathie qu’il se faisait lui-même pitié et il s’en voulait d’en être réduit ainsi. Où était donc passé le fier guerrier qu’il était ? Pas encore réveillé, visiblement. Pourtant il le faudrait bien et le plus vite serait le mieux, pour tout le monde.

Il entendit une voix le héler doucement depuis la salle à manger mais il n’y répondit pas, préférant se plonger dans ses ablutions, dans l’espoir de se rendre présentable et, par la même occasion, d’effacer ses doutes et sa douleur, même s’il n’ignorait pas que ce combat était perdu d’avance. Après quelques secondes de silence suivi de chuchotements, des craquements lui indiquèrent que quelqu’un le rejoignait à l’étage. Il achevait tout juste son rasage et se rinçait les joues lorsqu’un visage inquiet émergea du plancher, suivi d’un autre ; ses parents.

Evidemment, il aurait dû se douter qu’ils passeraient le voir avant son départ. S’il ne leur en voulait pas pour cela, bien au contraire, il regrettait juste qu’ils fussent passés aussi tôt ; il aurait préféré leur présenter un meilleur aspect de lui-même, avoir eu le temps d’endosser le masque de celui qu’il était en temps normal – et non pas ce fils à moitié dévasté par la mission qui s’annonçait et surtout ce qu’elle impliquait –.

– Bonjour, grogna-t-il en guise d’accueil, la voix rendue faible et rauque par la fatigue et la lassitude.

Ses parents finirent de monter les quelques marches qui les séparaient encore de l’étage, gênés.

– Bonjour, souffla sa mère, visiblement hésitante à aller plus avant. Je – Nous ne te dérangeons pas ?

– Bien sûr que non, assura-t-il.

Il appuya ses propos d’un hochement de tête en signe de dénégation, puis il reporta son attention sur la bassine d’eau.

– C’est juste que – je suis désolé, je ne suis pas encore présentable –.

Il saisit la serviette qui reposait juste à côté de lui pour se sécher le visage, sous le regard attentif de ses parents qui n’osèrent pas parler durant quelques secondes.

– Tu n’as pas à être désolé, murmura sa mère avec douceur, nous sommes arrivés peut-être un peu trop tôt.

Astérix acquiesça en réponse et n’ajouta rien de plus. Il termina sa toilette avant de revêtir sa tunique puis le reste de sa tenue. Mais même alors qu’il en avait endossé le costume, il ne sentait toujours pas plus guerrier ni fier que quelques minutes plus tôt. Ses membres étaient toujours aussi engourdis et sa morosité pesante. Il se força cependant à faire comme s’il n’en était rien, et à défaut de leur présenter un visage souriant, ce dernier fut neutre ; et poliment, il leur proposa de descendre pour prendre le petit-déjeuner.

Même s’ils acceptèrent sans broncher, ses parents n’étaient pas dupes et comprenaient son désarroi et, surtout, la raison de celui-ci. Cependant, ce n’était plus l’heure des reproches, des mises en garde et des « je te l’avais bien dit ». Il savait déjà tout cela ; et cela ne changeait rien à la blessure lancinante qui demeurait encore en son cœur et en son esprit.

Praline se mordit les lèvres tandis qu’ils s’installaient autour de la grande table en bois dans le plus grand silence. Astérix déposa une grande miche de pain à peine entamée avec un couteau, du beurre et du lait de chèvre froid, qu’il servit dans de larges tasses en terre cuite. Ils entamèrent leur repas sans un mot. N’osant parler, les parents lancèrent régulièrement les regards à leur fils, de nouveau perdu dans ses pensées, et en échangèrent entre eux. Finalement, Astronomix n’y tint plus et toussota. Astérix mit du temps à lever la tête vers lui, après une fausse quinte de toux qui se prolongea. Le père fut désolé de ce qu’il vit ; au lieu d’être plein de vie et de gaité, il était comme vide.

– Ecoute Astérix, commença-t-il, troublé et hésitant, nous savons que tu –

– Je n’ai pas envie d’en parler, le coupa sèchement son fils avant de reporter son regard sur son bol de lait.

Comme il n’avait pas faim, le repas fut ainsi rapidement bouclé pour lui, et il en fut de même pour ses parents. L’ambiance pénible les empêchait d’en profiter. De toute façon, d’autres choses les préoccupaient davantage que leur estomac et ils auraient le temps de prendre un petit-déjeuner plus copieux plus tard dans la journée.

Astérix ne fit aucune remarque à ce sujet et se contenta de ranger les aliments dans les placards pendant que sa mère lavait le peu de vaisselle sali. Il ne s’inquiétait pas du sort de la nourriture que contenait son garde-manger ; il avait déjà dit à ses parents qu’ils pouvaient se servir et même qu’il préférait que ce fût le cas. Il ne tenait pas à retrouver des denrées périmées voire moisies à son retour.

Puis vint le temps des adieux.

Praline l’étreignit durant de longues secondes avant de reculer, l’œil ému, pour céder la place à son mari qui lui adressa une franche accolade. Ce dernier leur servit un pauvre sourire pour accompagner son « au-revoir » tout juste murmuré.

– A bientôt, Astérix, fit sa mère tandis qu’il franchissait le pas de sa porte, un baluchon à l’épaule.

Il referma le battant et après un dernier signe de la main auquel ses parents répondirent, il suivit le sillon de terre qui parcourait le village jusqu’à la plage et bientôt, ils le perdirent de vue.

Mais si habituellement, ils avaient toute confiance en leur fils et en leurs compagnons, ce n’était plus tout à fait le cas cette fois-ci, et ils ne pouvaient empêcher la crainte de sourdre dans leur esprit.

La crainte de songer que, peut-être, c’était la dernière fois qu’ils le voyaient.

**

— Vous étiez dans ce village. Ce n’était pourtant pas compliqué de le ramener, lui aussi.

Yucca cilla mais ne dit rien, alors que les reproches lui étaient adressés pour l’essentiel – elle ainsi qu’à Pilea et Calathea, venues la récupérer près du village en question –. Leur retour sur l’ile et dans la cité avait été remarquée mais plutôt silencieuse ; tous attendaient surtout de comprendre la raison pour laquelle les druidesses étaient rentrées si tôt de campagne alors que leur but n’avait pas encore été atteint. Le groupe des femmes envoyées sur le continent se tenait au centre de la grande place avec leurs prisonniers semi-conscients. Devant elle se dressaient cinq des Matriarches venues à leur rencontre. Les autres avaient dû rester à la Tour. Une foule curieuse les entourait, mélange hétéroclite de magiciennes et de civils sans magie ; les femmes y dominaient mais de nombreux hommes étaient présents.

Aucune autre druidesse n’intervint, que ce fût pour les défendre ou pour donner une version des faits approximative et accusatrice. Toutes évitèrent de regarder leurs compagnes. Personne ne s’y était intéressé, car toutes s’étaient plutôt enthousiasmées de l’arrivée du Calice dans leurs rangs. Peut-être auraient-elles dû… Panoramix était bien connu dans le milieu, c’aurait été un beau coup pour ébranler l’Ordre des druides. Le genre de coup à éviter d’ignorer.

Ce ne serait pas pour cette fois-ci en tout cas.

— Ce n’est pas comme si ce nom vous était totalement inconnu, insista Opuntia, l’une des Matriarches, avec sévérité.

Elle était très vieille et cela se voyait, tant par sa silhouette maigre presque squelettique, que par sa peau fripée et les rares cheveux blancs qui demeuraient encore sur son crâne. Une odeur douceâtre et désagréable s’élevait de son corps, mélange de son odeur corporelle et de l’eau de parfum aux fleurs dont elle s’était ointe. Tout le monde était surpris qu’elle fût encore en vie ; elle s’y accrochait désespérément. Pour tous, c’était son désir de vengeance qui lui accordait une telle volonté. Elle était l’une des rares survivantes encore en vie, après tout.

Personne ne pipa mot et Opuntia pinça les lèvres, agacée, avant de reporter son regard sur Yucca qui baissa les yeux. Elle n’était pas en première ligne mais sentait son regard incisif sur elle. Opuntia ouvrit la bouche pour poursuivre mais une main vint se poser sur son épaule et l’interrompit dans son élan. Elle se retourna brusquement pour faire face à une autre Matriarche, Anemone. Cette dernière était la seule qui fût plus vieille qu’elle et, par conséquent, elle était la plus respectée et faisait office de meneuse parmi elles. Sa voix mourut dans sa gorge et Anemone prit la parole à sa place, d’une voix posée :

— Il n’est pas nécessaire de se soucier autant de ce sujet. Elles ne l’ont pas capturée cette fois-ci, elles le captureront la prochaine fois. Ce n’est pas un problème. Je suis davantage curieuse des raisons qui les ont poussées à se replier. Avez-vous rencontré un problème sur le terrain ? Leurs défenses sont-elles plus puissantes que nous ne l’avions supposé ? Dans tous les cas, nous avons le Calice, c’est déjà une bonne chose.

A ces mots, le groupe se tendit et les mines s’assombrirent. Les Matriarches et la foule en furent perplexes. A les voir, ils devinaient déjà qu’elles n’avaient essuyé aucune perte, et aucune d’entre elles n’était assez faible pour ne pas se mouvoir d’elle-même. La présence de plusieurs prisonniers, des druides des villages touchés, trop faibles et trop abattus pour bouger, rendait moins probable l’hypothèse d’un retrait précipité par une contre-attaque plus qu’efficace.

En somme, leur retour précipité était incompréhensible.

— Je pense que nous devrions rentrer pour en discuter plus sereinement, intervint Calathea, le visage neutre. Nous… beaucoup d’entre nous pensons qu’il serait peut-être plus judicieux de revoir notre plan, au vu des événements récents.

Quelques exclamations surprises ponctuèrent son affirmation. Les Matriarches les jaugèrent quelques instants mais leurs mines fermées ne leur permettaient pas de comprendre un tel revirement de situation. Anemone finit par acquiescer.

— Soit. Rentrons, vous nous raconterez tout dans les moindres détails.

Yucca faillit soupirer de soulagement mais se contint. Le reste était encore à faire, et à savoir si la situation évoluerait comme elle le souhaiterait. Mais que souhaitait-elle, au juste ?


Texte publié par Ploum, 2 mars 2020 à 12h00
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