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tome 1, Chapitre 17 tome 1, Chapitre 17

Astérix se précipita à l’intérieur de sa hutte et claqua la porte derrière lui, plus par volonté de fuir la pluie que par réel désir de rentrer chez lui. L’atmosphère sombre de l’extérieur rendait l’intérieur lugubre et le guerrier eut la vague impression de se retrouver piégé dans un boyau sinistre. Avec un frisson, il entreprit de fouiller ses tiroirs en quête de bougies pour éclairer la pièce et de tirer de sa réserve de bois quelques bûches pour les disposer dans l’âtre. Non seulement cela lui prit un peu de temps tandis qu’il tâtonnait péniblement dans la pénombre, mais il eut du mal à allumer les mèches à cause de l’humidité de l’air. Finalement il y parvint et il les plaça sur la table et la tablette de la cheminée. Quelques secondes après, le foyer s’embrasait.

Malgré ces efforts, rien ne lui paraissait aussi chaleureux qu’à l’accoutumée. A cet instant, sa demeure lui semblait juste vide, sombre et froide mais il savait que cela n’avait presque rien à voir avec le temps. Les événements s’étaient enchainés depuis quelques heures, l’empêchant souvent de trop penser à ce qu’ils impliquaient, mais à présent qu’il était seul avec lui-même, plus rien ne les mettait plus à distance. Peu après la réunion s'était révélée non concluante puisqu’ils n’avaient pas assez d’informations à leur disposition pour décider d’une conduite à tenir de manière stricte, il avait même fui la hutte du chef car il s’était refusé d’être présent lorsqu'Abraracourcix ferait son annonce. C'était essentiel ; tous les villageois devaient savoir à quoi s'en tenir et ce qu'il en était, même dans les grandes lignes. Savoir pourquoi Yucca n’était plus là, qu’ils ne crûssent pas à un enlèvement pour s’étonner alors du manque de réactivité de ceux dont elle avait été le plus proche.

Même si à première vue, plus rien ne laissait deviner le passage de Yucca dans la maison, ce n’était plus tout à fait pareil. Il lui suffisait de regarder cette table pour se rappeler des repas partagés avec elle, mais pas seulement. Des scènes anodines, des conversations, tout lui revenait à l’esprit, et songer au fait que tout cela s’était terminé de façon si abrupte lui faisait monter les larmes aux yeux – cependant, ils étaient désormais trop secs pour se mettre à couler. Mais ce qui le blessait le plus était de penser au fait que tout cela n’avait sans doute aucune signification pour elle, elle qui les avait tous trompés sur qui elle était, ce qu'elle était et ses buts, allant jusqu'à feindre l'amnésie et jouant de leur crédulité. Avait-elle été sincère ne serait-ce qu'un seul instant ?

A présent, il était partagé entre la colère et la tristesse et aucun ne prenait le pas sur l’autre – et c’était une sensation très étrange que le mélange des deux. La désillusion, aussi ; pour la première fois de sa vie, il avait finalement songé à peut-être se ‘ranger’, comme sa mère le souhaitait depuis si longtemps. Avec elle. Et finalement, le déchirement et la souffrance car malgré sa trahison, son amour pour elle n’avait pas cessé brusquement suite à cet événement, malheureusement pour lui. A croire qu'il était maudit.

Tout à coup, il décida de tout nettoyer. Il n’affectionnait pas particulièrement cette tâche ménagère et n’en voyait pas l’absolue nécessité hormis lorsque l’intérieur devenait trop sale pour être ignoré. Là ce devenait un besoin presque viscéral et il préférait se concentrer sur cette besogne que de réfléchir à toute autre chose. Il marcha jusqu’au promontoire et escalada l’échelle pour accéder à son lit et changer les draps ; il lui suffisait d’un coup d’œil pour se rendre bien compte qu’ils ne l’avaient pas été. En les retirant, il sentit le léger parfum qui les embaumait encore, celui de la jeune femme. La tâche fut effectuée avec d'autant plus d’empressement et Astérix se hâta de les jeter par-dessus la balustrade pour les éloigner de lui. Malgré tout l’odeur persista. L'empreinte qu'elle laissait derrière elle du moins.

Il ne sut combien de temps exactement il passa à nettoyer sa hutte de fond en comble, plus que cela n’était nécessaire et plus qu’il ne l’avait jamais fait, frottant plus que de raison, s’acharnant plusieurs fois aux mêmes endroits. Peut-être plusieurs heures ou quelques minutes seulement. Le temps ne s'écoulait pas exactement de la même façon lorsque l'on était troublé et que l'on s'échinait à se détourner de cette réalité. Au-dehors, la pluie avait cessé depuis un moment déjà mais il était si concentré qu’il ne s’en aperçut même pas. Il n’entendit pas davantage les coups portés contre sa porte ni ne vit des gens finalement pénétrer sa hutte alors qu’il n’avait donné aucune réponse ni signe de vie. Lui s’acharnait toujours sur son sol déjà propre et sur des taches inexistantes, à la surprise des nouveaux arrivants.

— Astérix ? se risqua une petite voix que le guerrier reconnut comme étant celle de sa mère.

Cependant, elle était si distante dans son esprit qu’elle se réduisit à un faible écho auquel il ne prêta pas la moindre attention et qu’il oublia aussi vite qu’il l’avait perçue. Au début, Praline n’osa pas ajouter un mot et se tourna vers son mari pour chercher du soutien auprès de lui. Ce dernier leva les mains en signe d’impuissance avant de reporter son regard désolé vers leur fils.

— Je… nous sommes au courant pour ce qui est arrivé, reprit-elle d’une voix hésitante tandis que le guerrier ne réagissait toujours pas. Pour Lu… Yucca, et… enfin, le chef a fait une annonce à ce sujet il… il y a quelques minutes.

Elle n’obtint pas plus de réponse. Bien qu’elle eût toujours considéré sa négligence concernant l’entretien de sa hutte comme assez alarmante, elle jugea sa soudaine propreté réellement inquiétante. C’était même trop, se fit-elle la remarque en observant le sol dont il n’y avait plus rien à redire mais qu'il frottait malgré tout.

— Astérix…, tenta une nouvelle fois sa mère, et elle sursauta lorsque son fils se tourna violemment vers eux, le regard dur.

— Qu’est-ce que vous me voulez ? fit-il finalement d’un ton agressif, serrant son balai entre ses mains plus que de raison.

Si Praline avait d’abord songé à lui signifier sa désapprobation et à lui rappeler ses mises en garde qu’il avait sciemment ignorées, tout du moins lorsqu'ils avaient pris la direction de la hutte, tous ses arguments s’envolèrent et moururent à la vue de la détresse de son fils. Car derrière sa colère évidente, elle discernait également sa peine et son désespoir et son cœur se serra à cette vision. Ces émotions qui l’assaillaient impitoyablement étaient si palpables qu’elle s’en sentit émue et même bouleversée. Elle oublia sa rancune à l’égard de Yucca. Elle tendit ses bras vers le petit blond qui se tenait droit en une posture figée, un peu sur la défensive.

— Oh, Astérix…

Elle parcourut les quelques pas qui la séparaient de lui pour le prendre dans ses bras. Au début il ne réagit pas et elle crut même qu’il allait la repousser mais finalement, il se laissa aller et se détendit, allant jusqu'à poser son front contre l’épaule de sa mère. Quelques secondes plus tard, son père les rejoignit et les enlaça tous deux. Ils restèrent ainsi quelques minutes. Ce fut Astérix qui se détacha d’eux le premier, un peu calmé et le visage adouci. A présent, sa colère n’était plus, seule sa tristesse demeurait. Il posa le balai contre la table mais du fait de sa position trop instable, ce dernier glissa et retomba sur le sol avec un bruit mat. Il y resta.

— Je… je crois que j’ai besoin de prendre l’air, souffla Astérix en détournant les yeux sans oser les affronter.

Compréhensifs, ses parents ne répondirent rien et hochèrent juste la tête tout en s’écartant de son passage pendant qu’il sortait. Abandonnant derrière lui sa hutte ouverte, ses parents désolés et ses affaires encore non rangées. Mais tout cela pouvait bien attendre plus tard.

**

Yucca tiqua lorsqu’elle aperçut des flammes s’élever par-dessus les faites des arbres et l’importante fumée noirâtre qui s’en dégageait et se dissipait dans l’air avec difficulté. Elle finit par s’arrêter pour les observer plus amplement. Depuis plusieurs minutes déjà, la jeune femme avait senti l’air s’alourdir et une odeur de bois brûlé apparaitre mais elle avait refusé d’y réfléchir plus avant. Elle baissa un instant les yeux vers ses bras qu’elle leva un peu et elle aperçut une poudre noire se déposer lentement sur sa peau nue et sur ses vêtements. Des cendres. Les sons de l’incendie, ceux des flammes et des poutres qui craquaient, commençaient à se faire entendre mais pour le reste, c’était assez silencieux. Il ne faisait plus aucun doute désormais : le village vers lequel elles se dirigeaient était en train de brûler et pourtant, aucun cri ne s’en élevait. Où étaient donc leurs habitants ? Avaient-ils réussi à évacuer à temps ou étaient-ils déjà morts ? Que s’était-il donc passé pour en arriver là ? Ce n’était pas du tout prévu !

Pilea et Calathea s’étaient arrêtées à leur tour en voyant Yucca agir ainsi et attendaient, le visage fermé, conscientes de ce qui la perturbait. La situation avait évolué de manière assez surprenante et pas forcément en bien.

– Que se passe-t-il ici ? Pourquoi le village brûle-t-il ?

Calathea soupira et jeta un coup d’œil vers Pilea qui gardait le silence et la tête basse, peu désireuse de répondre à sa sœur. Elle savait qu’elle devrait s’en charger ; toutes deux étaient mal à l’aise rien que d’y penser, plus encore s’il fallait l’évoquer de vive voix. De plus, elles n’avaient pas tellement de temps à perdre en explications – et après tout, qu’y avait-il à expliquer ? Elle-même était incapable de justifier tous les événements qui s’étaient déroulés.

Yucca s’avança de quelques pas pour leur faire face et ses yeux alternèrent entre les deux femmes. Son inquiétude croissait à mesure que leur silence persistait, qu’elle interprétait comme un mauvais présage.

– Ne me dites pas que… ?

– Ce sont certainement nos consœurs qui en sont responsables, même si nous ne savons pas exactement qui ni pourquoi pour le moment, confirma Calathea d’une voix neutre en cachant admirablement bien son propre trouble. La… les choses sont allées plus loin que ce qui était prévu initialement et plus loin que ce que nous avions même envisagé. C’est… la situation a quelque peu dérapé, avoua-t-elle en levant les yeux vers le ciel pour fuir son regard incisif. J’espère que l’arrivée du Calice arrangera les choses et remettra de l’ordre.

– Dérapé, c’est-à-dire ? insista Yucca en fronçant les sourcils.

Elle leva un instant la tête et huma l’air, concentrée à en distinguer les différentes effluves que la brise légère emportait avec elle. Celle du bois brûlé était omniprésente mais après quelques secondes, elle en sentit une plus légère et sursauta, effarée. De la chair brûlée.

Peut-être humaine.

– Il y a eu des morts, aucun de notre côté mais il y en a eu. C’est assez compliqué.

Yucca pinça les lèvres mais n’ajouta rien. Cette nouvelle ne la surprenait pas tant mais ne la ravissait pas. Ils étaient tous si faibles, quelle avait donc été la nécessité d’aller jusque-là ? Comment la situation avait-elle pu déraper de la sorte ?

Cependant, elle ne posa pas la question ; malgré ses efforts pour paraitre indifférente comme à son habitude, Calathea affichait une moue un peu dépitée et gênée et la lueur dans ses yeux sous-entendait sa propre incompréhension à ce sujet. Elle ne tirerait rien d’elle. Elle avait espéré de meilleures nouvelles à son retour. Son regard se baissa vers sa besace d’où dépassait un éclat doré, reflet de la lumière sur le bord du Calice. Elle avait beau y réfléchir, étant donné ses pouvoirs, elle doutait que l’objet arrangerait les choses. Bien au contraire.

– Je doute que le Calice améliore vraiment les choses, fit-elle tandis que des silhouettes se dessinaient entre les troncs des arbres.

Elle se tut et adopta un air fermé qui surprit ses deux compagnes. Ces dernières se retournèrent et en comprirent la raison, de ce fait elles l’imitèrent pour faire face à leurs nouvelles interlocutrices. Elles étaient au nombre de trois. Vêtues de leurs toges rituéliques, elles étaient parfaitement reconnaissables, même si Yucca ne reconnut personnellement que l’une d’entre elles, la plus jeune et la plus petite d’entre elles. Elles se saluèrent comme il était d’usage envers leurs pairs avant de se dévisager quelques secondes dans un silence tranquille. Ce fut l’ainée, une grande femme brune dont les cheveux grisonnaient qui, la première, prit la parole :

– Nous sommes rassurées de te revoir enfin parmi nous, Yucca. Nous sommes désolées du temps que cela nous a pris pour venir te chercher et te guider jusqu’à nous ; il n’était pas prévu que ce soient Pilea et Calathea qui s’en chargent mais nous avons eu quelques soucis par ici.

– Je comprends, il n’y a aucun mal. Les habitants qui m’ont recueillie n’ont commis aucun outrage à mon encontre et j’ai pu me reposer comme il se fallait.

Sans compter les médisances et les messes basses mais c’était une autre histoire qui ne méritait pas d’être soulignée. Elle n'en ressortait même pas traumatisée, elle était juste ahurie par la bêtise de ces femmes qui se complaisaient dans leur vie de commérages pour oublier leur propre misère. A présent qu'elle y songeait, il était ironique de songer que ces femmes avaient eu raison de se méfier d’elle, même si cela avait été pour de mauvaises raisons. Quelle stupidité. Elles ne réalisaient même pas qu'elles méritaient mieux que cette vie-là et qu'elles devaient aspirer à mieux que cette vie-là et lutter pour cela. Car cela ne viendrait pas des hommes. Eux avaient tout intérêt à ce que la situation restât ainsi.

Même si quelques hommes étaient plus ouverts d’esprit que la norme et même plus que ces femmes soumises.

– J’ai également cru comprendre qu’effectivement, les choses avaient évolué drôlement de votre côté. Je suis curieuse d’en découvrir les détails.

– Tu les auras en temps voulu, soit incessamment sous peu, fit-elle en hochant la tête alors que ses deux compagnes à ses côtés gardaient lèvres closes. Et pour ce qui est de ta mission ?

– Réussie, fit-elle en tapotant la besace. Comme vous avez déjà dû en être informées, j’ai su le récupérer. Personne dans le village n’a cherché à le prendre ; aucun n’avait même l’air de le connaitre.

Sur ces mots, Yucca l’extirpa du sac pour le leur montrer et leur laissa un instant pour le contempler avant de le ranger. Son interlocutrice acquiesça, satisfaite, alors que les deux autres affichaient des mines plus soulagées.

– Bien. C’est une bonne chose. Pas d’embûches sur le chemin jusqu’ici ?

Yucca secoua la tête en signe de dénégation.

– Nous les avons brièvement croisés mais ils ne poseront aucun souci, ils ne nous retrouveront pas. Nous n’avons pas à craindre de les revoir sous peu, à moins que le hasard ne les mène jusqu’à nous.

– Bien. Vous auriez pu vous en débarrasser de manière plus définitive mais soit. Tant qu’ils ne viennent pas se mêler de nos affaires.

Yucca se mordit l’intérieur des joues face au dédain qu’elle démontrait mais ne protesta pas. Celle-ci leur désigna alors la direction des flammes, là où devaient se réunir leurs autres consœurs. Le cœur de Yucca se serra et elle frémit d’anticipation. Ce serait tellement étrange de les revoir, mais ces circonstances attristaient ces retrouvailles.

– Allons-y. Il est temps que tu retournes auprès des tiens.


Texte publié par Ploum, 23 mai 2019 à 20h20
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