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tome 1, Chapitre 15 tome 1, Chapitre 15

La première chose qui lui revint fut la douleur, poignante, qui lui vrilla la tempe. Elle était si forte qu’Astérix aurait bien eu envie d’y porter sa main pour en comprendre l’origine mais il n’y parvint pas. Alors il lutta. Pour bouger son corps, pour ouvrir les yeux, pour coordonner ses pensées qui se bousculaient, pêle-mêle, sans qu’il n’en saisît rien. Il ne sut combien de temps cela lui prit mais il finit par réussir à ouvrir les yeux. La luminosité ambiante n’était pas très forte, cependant il dut plisser les yeux quelques secondes le temps de s’y habituer. Dans le même temps, ses muscles se détendirent progressivement et il réacquit sa mobilité ; il porta alors la main à son front et n’eut pas besoin de chercher longtemps pour effleurer une plaie de ses doigts. Lorsqu’il les dressa devant lui, ils étaient poisseux d’un sang sombre en train de sécher. Que s’était-il donc passé ?

Il se redressa rapidement mais fut saisi d’un vertige qui le figea quelques minutes, le temps que le monde cessât de tourner autour de lui. Il balaya ensuite les alentours du regard. Il se tenait debout sur la plage, le corps tremblant ; son glaive était posé près de lui, rangé dans son fourreau détrempé alors qu’il était hors de portée de l’eau. Pourquoi ne l’avait-il pas à sa ceinture, la garde de son épée à la main, ou à distance de lui après avoir été projeté au loin ? Il était évident qu’il avait été attaqué mais ne s’était-il donc pas défendu ? Il se doutait que quelque chose clochait mais ses pensées revenaient trop en désordre pour deviner ce dont il était question à cet instant. Et d’ailleurs, pourquoi se trouvait-il sur la plage, seul ? Il n’avait pas pour habitude de s’y rendre, en fait il y allait de plus en plus régulièrement ces derniers temps seulement parce que Luna –

Luna ! D’un geste brusque, il se retourna pour essayer de l’apercevoir mais comme son corps ne suivit pas sa volonté, il tituba. Il se rappelait être venu ici pour lui avouer son amour pour elle, elle s’était tenue là à ses côtés mais elle n’était plus là à présent. Où était-elle ? Etaient-ce les hommes du Moyen-Orient qui étaient revenus et l’avaient enlevée ? Etait-ce –

Non. Son corps se glaça d’horreur tandis que les dernières pièces du puzzle se remettaient en place et que la terrible vérité se dessinait dans son esprit. Son cœur se serra sous la douleur. Il eut l’impression de suffoquer – mais peut-être était-ce réellement le cas. Ils n’avaient pas été attaqués. Elle l’avait attaqué, elle et ses amies. Peut-être n’était-elle pas celle qui l’avait frappé et qui l’avait fait sombrer dans l’inconscience mais cela importait peu en vérité. Elle leur avait menti ; sans doute n’avait-elle jamais été amnésique. Elle était réellement une magicienne ; il se remémorait à présent la sensation des filets d’eau qui lui enserraient la cheville pour l’empêcher de s’enfuir et cela le fit frissonner. Elle avait réellement volé ce Calice à ces gens qu’ils avaient snobé, pour l’apporter à ses camarades – mais pourquoi ? Sans doute pas pour faire du bien. Et même si elle avait prétendu que cela ne les concernait en rien et qu’il ne leur serait rien fait, quel crédit pouvait-il dès lors donner à ses propos ?

Il se retourna vers le village. Quelques fumées s’élevaient dans le ciel au-dessus des habitations. Rien d’inhabituel en soi mais cette fois, il craignit qu’ils ne fussent dus à un incendie. Après tout, elles avaient eu le temps de s’en prendre au village durant son inconscience.

— Non…, gémit-il, la gorge nouée et enrouée par le froid et l’humidité, tandis qu’il saisissait avec empressement son glaive, qui lui parut bien lourd à cet instant, pour se précipiter comme il le pouvait vers le sentier qui menait directement vers son village.

Il fut ralenti par la faiblesse qui l’accablait depuis son réveil, par le martèlement qui affectait sa tempe et troublait sa vision, par les buissons et les fougères indifférents à l’urgence de la situation, et par la pente raide qu’il dut affronter pour arriver à destination. Le temps s’étirait de manière affreusement longue tandis que son cœur tambourinait à une vitesse affolante et qu’il se serrait à mesure que sa panique augmentait à l’idée de retrouver les huttes en flammes et ses proches à terre, réduits à l’état de cadavres. N’avaient-elles pas parlé de le tuer, à un moment ? Elles ne se gêneraient pas – elles n’étaient peut-être pas à ça près.

Il gagna enfin le village et lorsqu’il pénétra à l’intérieur, il découvrit que rien n’avait strictement changé depuis son départ. Les huttes étaient intactes et les gens allaient et venaient pour vaquer à leurs activités quotidiennes, comme s’il ne s’était strictement rien passé. Ceux qui l’apercevaient le jaugeaient d’un air intrigué, se demandant certainement l’origine de son état – sale, débraillé, le souffle court et la mine ahurie et paniquée, rien qui ne ressembla moins au fier et courageux guerrier qu’il était. A l’instant, il n’eut que faire de leur opinion même s’ils devaient se questionner sur ce qu’il lui était arrivé ; il était juste envahi par le soulagement. Il se détendit irrépressiblement et souffla, saisi d’un autre vertige, plus libérateur cette fois. Elles ne les avaient pas tués – elles ne s’en étaient même pas prises au village. Ils étaient tous vivants, sains et saufs et ignorants des événements. Il n’aurait pas pu souhaiter meilleure chose.

Alors qu’il reprenait son souffle et déglutit pour s’humecter la bouche, Astérix repensa au Calice. Il s’élança brusquement malgré la fatigue et se dirigea d’un pas vif vers sa maison. Sur son passage, quelques personnes se retournèrent, surpris par son aspect et par son empressement, et certains notèrent avec inquiétude sa blessure à la tête. Eux aussi, il les ignora comme il ignora leurs appels, même Valine lorsqu’il la croisa et qu’elle l’interpella d’une voix inquiète. Seule importait sa destination. Et ce qu’il était susceptible d’y trouver.

Parmi les villageois, il croisa Assurancetourix qui le héla pour lui chanter une ode à il-ne-savait-pas-quoi. Il ne lui répondit pas et ne fit même pas l’effort de se retourner, mais ce dernier ne s’en offusqua pas ni ne chercha à l’en empêcher. Lui aussi avait remarqué son air sombre et inquiet, et surtout l’absence de Luna. Il était de ceux qui savaient pourtant qu’il s’était rendu à la plage pour discuter avec elle. Il fut donc le premier à s’inquiéter pour la jeune femme. Lui était-il arrivé quelque chose ?

Astérix ignora tout des rumeurs qui commencèrent à se répandre au sein du village tandis qu’il touchait au but : sa hutte lui faisait face, à l’image de ce qu’elle était d’habitude. Il entra précipitamment à l’intérieur puis s’empressa de rejoindre son lit, là où Yucca avait rangé ses affaires ; il n’en restait plus rien. Il fouilla la maison de fond en comble, mais rien. Il tomba à genoux sur le sol de son salon, effondré et vide à l’intérieur. Tout était parti. C’était comme si elle n’avait jamais été là ; il n’y avait plus aucune trace d’elle. Plus de vêtements, plus de sac, plus de… Même le couchage qu’il s’était dressé avait disparu, rangé là où il l’avait déniché. Tout était comme avant. Comme si elle n’avait jamais existé, jamais traversé son existence. Mais c’était le cas, et les larmes qui commencèrent à envahir le coin de ses yeux, la douleur dans son cœur et leurs derniers instants qui, à présent, lui hantaient l’esprit, le confortaient dans cette idée. C’était le cas.

Comme lui n’avait jamais compté ni même existé pour elle.

De rage, il détacha son glaive de sa ceinture pour le lancer dans la pièce, mais cela ne le calma pas du tout – tout au plus se sentit-il juste un peu plus pathétique. Un sanglot lui déchira la poitrine et il baissa la tête pour la plonger entre ses mains et s’y réfugier, comme si ce simple geste le protègerait du monde extérieur et de la réalité. Il le suspendit avant de le faire totalement. Ses sanglots s’accrurent et emplirent la pièce, seul bruit qui se détachait de l’habitation. Il n’avait que faire de si quelqu’un le retrouvait réduit à un tel état, lui d’habitude si digne. Quelle importance cela avait-il, de toute façon ? Cette pensée était si dérisoire. Et de toute façon, il n’était plus que cela : un corps rempli de peine.

— Astérix ? appela une petite voix timide du pas de la porte que le guerrier mit du temps à reconnaitre.

Il redressa la tête et se retourna pour y apercevoir Valine, malgré les larmes qui brouillaient sa vue. Elle le fixait avec inquiétude et semblait hésiter à entrer pour le prendre dans ses bras et le consoler.

— Ça va ? Enfin, je veux dire…

Cela se voyait, en effet. Astérix faillit ricaner tant l’évidence était flagrante mais il se retint à temps. Elle n’aurait pas compris. Et puis, elle ne le méritait pas. Elle se souciait de son état, et peut-être même avait-elle une idée de la raison. Déjà, elle scrutait l’intérieur de la maison, comme si elle cherchait quelque chose.

— Il… il s’est passé quelque chose avec Luna ?

Astérix se raidit à la mention de ce prénom, ce qui fut une réponse amplement suffisante à la question posée.

— C’est Yucca, souffla-t-il, et il ne put empêcher la note amère se glisser dans ces quelques mots.

Valine sursauta, surprise.

— Qu-quoi ? Yucca ? Qu’est-ce –

— C’est son vrai prénom, expliqua-t-il sobrement, ne souhaitant pas s’y attarder plus que nécessaire. Tu peux entrer, tu sais, ajouta-t-il d’une voix rauque.

Son apparition avait eu le mérite de le tirer de ses sanglots et pour cela, il lui adressa un remerciement muet. C’était toujours ça de pris.

La jeune femme ne se fit pas prier et entra pour rejoindre Astérix et s’asseoir juste devant lui. Il baissa les yeux, honteux, et elle le laissa faire, attristée de le voir aussi abattu et tourmenté.

— Que s’est-il passé, exactement ? demanda-t-elle alors d’une voix ténue, presque réduite à un murmure. J’ai vu Luna – Yucca, se corrigea-t-elle à temps sous le regard appuyé d’Astérix, entrer dans la maison avec deux autres femmes vêtues de toges blanches puis repartir. Je ne les connais pas donc cela m’a intriguée et j’ai voulu interroger Lu-Yucca à ce sujet, mais elle m’a juste répondu qu’il n’y avait pas à s’inquiéter, que tout était normal puis elles sont parties. Est-ce que –

— Mes parents ? s’inquiéta-t-il soudain.

Il ne les avait certes pas retrouvés morts, mais ils étaient là encore ce matin. Il y avait de fortes chances pour qu’ils fussent sortis mais s’ils avaient croisé la route des trois femmes sur le départ, les affaires de Yucca au bras ? Sa mère n’avait pas sa langue dans sa poche et se défiait de Yucca depuis le début !

Valine secoua la tête mais sa mine indéchiffrable ne le renseigna pas sur la teneur de la nouvelle – bonne ou mauvaise.

— Non, ils n’y étaient plus. Je les ai croisés un peu plus tard au niveau de la carrière d’Obélix, en train de discuter avec ses parents. Je ne sais pas de quoi ils parlaient, mais ça faisait débat.

Astérix soupira de soulagement. Il était presque sûr que sa mère avait raconté leur dispute survenue plus tôt – Gélatine partageait son avis sur la question, elle était la confidente toute trouvée. Cette attitude ne lui plaisait pas mais au vu des circonstances, ce détail passait au second plan. Et puis, elle avait finalement eu raison. Sa gorge se serra une nouvelle fois, puis il se mit à tousser – les bienfaits de l’air marin étaient définitivement surfaits. Elle ne le savait sans doute pas encore ni à quel point, mais elle avait eu raison. Malheureusement.

— Que s’est-il passé ? osa finalement insister Valine en se mordillant la lèvre, gênée de le faire mais véritablement inquiète pour son amie.

La trahison de Yucca lui parut d’autant plus pesante. Il n’était pas le seul à être impacté par cette peine qui l’habitait. Valine le serait. Son frère Pralix. Obélix aussi, peut-être Panoramix, qui prenait régulièrement des nouvelles de sa protégée, comme il aimait parfois la désigner. Pour les autres, il ne savait pas réellement – elle avait l’air de s’entendre plutôt bien avec Assurancetourix, surtout qu’elle avait démontré un certain intérêt pour son art bien que personne n’eût compris pourquoi.

Son visage se recouvrit d’un air désolé, sous le regard mi-intrigué mi-inquiet de Valine, et il lui raconta tout. De manière sobre, courte, mais sans lui épargner le moindre détail. Il vit ses traits se crisper sous la stupéfaction et la douleur mais il ne s’y arrêta pas. De toute façon, il serait bien obligé de l’avouer au reste du village. Rien que pour justifier la disparition soudaine de la jeune femme.

— Par Bélissima, c’est… je ne peux pas y croire, murmura finalement Valine, en secouant la tête, mais son visage démentait ses propos. C’est… je savais qu’elle avait des pouvoirs, mais je ne me serais jamais doutée qu’elle –

— Comment ça, tu savais qu’elle avait des pouvoirs ? l’interrompit Astérix d’un ton abrupt.

Valine se raidit, soudain gênée.

— Elle me l’a avoué pendant la fête, expliqua-t-elle d’une petite voix. Nous nous sommes isolées pour cela, à sa demande. Sur le coup, j’ai pensé qu’elle cherchait juste à découvrir… enfin pour son amnésie, et…

Elle hésita puis sa voix finit par mourir, bien qu’elle devinât qu’elle n’avait pas besoin de continuer. Astérix venait d’hocher la tête en signe de compréhension. Après tout, pourquoi aurait-elle pensé autrement ? Elle croyait qu’elle était son amie. Mais pourquoi Yucca avait-elle pris le risque de révéler une telle chose au risque que l’information ne fuitât et que ce fait n’engendrât une certaine inquiétude à son égard ou amplifiât celle déjà existante chez certains ? Il n’en appréhendait pas la logique. Elle n’avait aucun intérêt à le faire, même dans le cadre de son amnésie. Ils y avaient tous ou presque suffisamment cru comme cela. Alors pourquoi ?

Il ne put empêcher son cœur de se serrer à la pensée qu’elle ne lui avait pas fait suffisamment confiance pour lui avouer une telle chose, à lui. Peut-être avait-elle pensé, du fait de la réputation de son intelligence, qu’il aurait fini par comprendre qu’il y avait anguille sous roche. Lui-même savait qu’il n’en aurait été rien. Aveuglé. Il avait été aveuglé par son amour pour elle. Il n’aurait rien vu venir, même s’il l’avait su.

Il détourna les yeux, plus blessé encore qu’il ne l’était déjà, ce qu’il n’aurait pas cru possible.

— Et… que fait-on ? demanda Valine d’une petite voix tandis qu’elle plongeait son regard malheureux dans celui d’Astérix.

Ce dernier eut bien envie de répondre qu’à l’instant présent, il souhaitait juste être seul, mais il savait qu’il ne devait pas se laisser aller ainsi. Il devait se ressaisir. Déjà, il lui fallait prévenir tout le monde. Ensuite… eh bien, s’ensuivrait certainement une douloureuse discussion pour déterminer que faire en une telle situation.

— Que veux-tu faire ? finit-il par répondre, après s’être aperçu qu’elle attendait toujours une réponse qui tardait à venir. Il faut prévenir les autres. Ensuite, je suppose que la soirée sera consacrée à répondre à cette question.

Il ignora la douleur qui se répandit sur le visage de la jeune femme alors que lui-même se replia dans les méandres de ses pensées défaitistes. Lui-même ne savait pas comment y répondre. Ni même s’il le souhaitait.


Texte publié par Ploum, 27 mars 2019 à 12h08
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