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tome 1, Chapitre 7 tome 1, Chapitre 7

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel et la matinée n’allait pas tarder à s’achever mais malgré tout, il faisait encore bien frais. C’était cependant loin d’être un problème car la plupart des villageois n’avaient même pas pris la peine de se couvrir les épaules – il s’agissait surtout des femmes qui attendaient en de longues files immobiles pour acheter diverses denrées, notamment alimentaires. Mais c’était aussi le cas de Luna.

Cette dernière remontait lentement l’allée principale en compagnie d’Astérix qui lui faisait visiter le village, Obélix et Idéfix se trouvant à la carrière de ce dernier. Cela faisait six jours depuis qu’elle avait emménagé chez le petit Gaulois. Elle était certes encore affaiblie mais elle parvenait désormais à marcher seule sans problème sur un temps suffisamment long pour se permettre quelques promenades. L’exaspération qu’elle démontrait face à sa condition recluse et à son ennui, conjuguée à son dépit devant une amnésie qui perdurait malgré leurs efforts pour qu’elle retrouvât la mémoire, avait incité son hôte à lui faire prendre un peu l’air – après avoir demandé l’avis du druide, cela allait de soi. Ce dernier était heureusement rentré la veille au soir sans qu’aucun incident ne se fût produit durant son voyage. Il s’était aussitôt enquis de l’état de sa patiente et s’était montré enthousiaste lorsqu’il apprit ces progrès ; quant à ses souvenirs encore absents, il avait prétendu qu’avec le temps, ils finiraient bien par refaire surface. Pour ce qui était du jour où cela se produirait, personne n’était en mesure de le prédire.

Luna replaça le châle qui avait glissé sur son épaule avec un frisson, le regard rivé sur le stand qu’Astérix lui désignait. Ses paroles la firent froncer les sourcils tandis qu’elle jetait un regard rempli d’incompréhension à l’encontre d’Ordralfabétix qui hélait la foule et vantait une fois de plus les mérites de sa marchandise.

– Mais pourquoi importer ses poissons alors qu’il peut les pêcher lui-même ? L’océan est pourtant juste à côté !

Astérix lui jeta un regard surpris, et elle se sentit alors obligée de se justifier :

– L’air marin. Ça se sent.

Il acquiesça bien qu’en réalité, la jeune femme aurait pu s’abstenir de telles explications – il était facile de s’en douter. Puis il secoua la tête en songeant à sa question et à la réponse à fournir sachant qu’en vérité, elle était une énigme pour lui aussi. Il se mit à rire et la jeune femme l’observa à la dérobée sans comprendre la raison de sa soudaine hilarité.

– C’est un vrai mystère ! finit-il par s’exclamer une fois calmé. Lui-même prétend que le poisson de Massilia est de bien meilleure qualité et qu’il ne vend que le meilleur. Dommage pour lui – et pour nous –, le temps de venir ici, ce n’est plus tout à fait vrai.

La jeune femme grimaça à ses mots tandis qu’elle imaginait sans mal l’état des poissons à leur arrivée au village. Cela expliquait l’odeur iodée mais malodorante dont ils percevaient certains effluves depuis leur position relativement distante et qui, malheureusement, s’éloignait de celle du poisson frais. Comment les autres habitants pouvaient-ils accepter d’introduire des marchandises dans un aussi mauvais état ? Ils avaient pourtant des gardes à l’entrée du village ! N’effectuaient-ils donc pas de contrôle ?

– Mais comment pouvez-vous manger ça ? fit-elle, écœurée, en désignant les personnes qui attendaient malgré tout.

Astérix haussa les épaules.

– Je ne sais pas, pour ma part je n’en mange pas – enfin, sauf si j’y suis obligé, pour une raison ou une autre. Tu n’as pas à t’inquiéter, je ne t’en ferai pas manger, ajouta-t-il avec amusement, jaugeant le dégoût parfaitement visible que traduisaient ses traits.

Elle ne répondit rien, préférant accélérer le pas pour quitter l’aire d’influence de l’odeur au plus vite, du moins du mieux qu’elle le pût compte tenu de ses capacités actuelles. Aucun des deux compagnons ne manqua de noter qu’à leur passage, quelques femmes de la file se retournèrent brièvement pour chuchoter allègrement entre elles en fixant Luna d’un air mauvais. Astérix adopta un air réprobateur qui, s’il avait été repéré, n’entama en rien les murmures qui gonflaient dans leurs dos. La mine légèrement assombrie, il préféra les ignorer et continuer leur chemin. Le visage surpris de son invitée démontrait son interrogation à ce sujet.

– Pourquoi n’y avait-il que des femmes dans cette file ?

Ou peut-être pas.

La question étonna Astérix avant de se rappeler qu’elle n’avait pas de souvenirs et que de toute manière, elle ne venait pas d’ici.

– La plupart d’entre elles ne travaillent pas – et celles qui le font aident généralement leur mari dans le leur. Elles s’occupent du foyer et des enfants et gèrent tout ce qui a trait à la maison, dont la cuisine, mais aussi les courses.

Il avait expliqué cela d’un ton morne puisque cela avait toujours été dans l’ordre des choses au village, pourtant il se sentit curieusement mal à l’aise lorsqu’il aperçut le visage fermé de Luna, indéchiffrable. Il avait l’impression que quelque chose l’avait dérangée dans ses propos sans que rien n’assurât pourtant sa pensée.

– Toutes sont mariées ? s’étonna-t-elle finalement.

– La plupart, oui. Au bout d’un certain âge, elles le sont toutes.

– Et aucune n’a de travail qui lui est propre ? demanda-t-elle finalement d’un ton neutre qui ne le renseigna pas davantage.

Astérix réfléchit quelques secondes.

– Quelques-unes, peut-être. J’avoue ne pas m’y être réellement intéressé. C’est rare, mais il arrive que certaines partent faire des études en dehors du village, donc je suppose que c’est pour quelque chose. Il faudrait leur poser la question.

Astérix pensa aussitôt à Falbala, partie à Lutèce pendant quelques années dans ce but. Elle vivait désormais avec son mari Tragicomix en dehors du village, à Condate, mais à la réflexion, il était incapable de se rappeler de la raison exacte de son départ ni si elle exerçait un travail à présent. Si tant est qu’il l’eût su un jour.

Luna hocha légèrement la tête mais elle n’ajouta rien, rien qui dévoilerait ses objections à ce sujet. Car Astérix était désormais presque sûr qu’elle en avait – son visage ne se déridait pas.

Astérix se risqua à continuer, les yeux tournés vers elle :

– Elles ne s’en plaignent pas, tu sais. Cette existence les satisfait – enfin, je suppose qu’elles y trouvent leur compte, ajouta-t-il d’un ton un peu amer tandis que deux autres femmes passaient près d’eux et se dirigeaient dans le sens inverse, et une fois encore, elles ne se gênèrent pas pour les dévisager en chuchotant.

La mine de Luna s’assombrit mais le guerrier ne fut pas certain que ses propres propos eussent une part de responsabilité en cela. Son mécontentement à l’égard des commères n’en fut que renforcée.

– Je suppose, finit-elle par souffler d’une voix mystérieuse, et Astérix fut incapable d’en comprendre la signification.

Mais il fallait dire également qu’il n’y réfléchit pas réellement ; seul l’étonnement l’envahissait mais il l’écarta rapidement.

– Et toi ? Tu n’es pas marié ?

Astérix plissa le nez. Pas qu’il eût honte de son célibat, il assumait pleinement son choix, mais il était source de commérages et de quolibets dont il se serait bien passé, surtout entre les femmes – il ne doutait pas qu’il figurait parmi leurs sujets de conversation favoris. Cette simple pensée et ses implications le rendirent amer et ses traits se fermèrent. Cependant, il ne se rendit pas compte que son silence prolongé et son changement d’humeur avaient été parfaitement perçus, ni qu’ils étaient susceptibles d’être mal interprétés.

– Oh ! Je suis désolée ! s’exclama-t-elle en secouant les mains en signe de défense, ou peut-être de gêne, tandis qu’il reportait vers elle un regard surpris et intrigué face à son air agité. Je ne voulais pas… je ne savais pas que… enfin je ne voulais pas…

Astérix ne comprit pas et la dévisagea quelques secondes, interloqué. Mais comme elle continuait de bégayer en cherchant ses mots, il préféra demander :

– Mais de quoi parles-tu donc ?

– De… de ta femme ! Je n’avais pas réalisé que tu étais peut-être veuf, enfin je veux dire –

Les rires d’Astérix l’interrompirent et la plongèrent dans le plus profond désarroi. Heureusement pour elle, il éclaira rapidement ses pensées :

– Oh non, je ne suis pas veuf ! En vérité je n’ai jamais été marié !

Les yeux de la jeune femme s’agrandirent de surprise, avant qu’une légère rougeur ne colorât ses joues en signe de gêne. Mais Astérix fut heureux de constater qu’à aucun moment, elle n’exprima un quelconque mépris quant à ce célibat prolongé – car il ne faisait aucun doute qu’il n’avait plus vingt ans, il fallait l’avouer, et le guerrier l’accordait sans problème. Ce n’était pas comme s’il se préoccupait tellement de son apparence.

– Oh.

Elle ne sut quoi dire d’autre et ne l’interrogea pas davantage sur le sujet, comme si au final, son choix de vie était tout à fait normal – ce qui était réellement rafraichissant. Et comme Luna n’avait plus aucun souvenir, Astérix savait qu’il était dérisoire de lui renvoyer la question.

Les minutes suivantes furent silencieuses et ainsi, ils avaient presque fait le tour du village. Ils n’étaient pas allés au-delà de la palissade car Astérix préférait ne pas s’y risquer, l’état de la jeune femme étant stable mais encore trop fragile. Luna n’avait émis aucune protestation à ce sujet, même s’il lui arrivait parfois de regarder au-delà, le visage songeur. Comme si l’envie la tenaillait mais qu’elle s’efforçait de la faire taire. Astérix en était désolé, bien qu’il sût que c’était encore nécessaire.

– Je… j’aimerais rentrer, cette marche m’a fatiguée.

Si sa demande le surprit, Astérix n’en montra rien et il se contenta d’acquiescer. Il sentait que ce n’était qu’en partie vrai mais de toute façon, cela l’arrangeait – il était bientôt l’heure de rejoindre Obélix pour partir à la chasse. Ils obliquèrent en direction de sa hutte car malgré le retour du druide, elle vivait toujours chez lui. Il se devait de l’y accompagner, la laisser errer seule dans le village étant inenvisageable ; même s’il ne doutait pas qu’en cas de problème, ses compagnons réagiraient malgré tout, cela lui éviterait quelques inconforts. Et puis il était responsable d’elle, en quelque sorte.

Puis il songea à la pertinence de la laisser seule chez lui ; l’ennui grandissant de son invitée rendait à présent la chose plus risquée. Plus le temps passait, moins c’était une bonne idée tant qu’elle ne serait pas suffisamment rétablie. Et il n’était pas question qu’il l’enfermât pour l’empêcher de sortir – jamais il ne s’abaisserait à une telle extrémité.

Il s’arrêta sur l’allée de terre alors que la hutte se dressait plus loin sur leur gauche, et Luna l’imita pour le dévisager avec étonnement, ses fines mains serrant les pans de son châle contre elle. Il se retourna vers elle pour lui proposer :

– Que dirais-tu plutôt d’aller voir Panoramix ?

**

Déjà, Luna pouvait apercevoir entre les arbres les éclats bleutés de l’océan qu’elle souhaitait rejoindre. Le chemin descendait en pente douce et louvoyait entre les bosquets mais bientôt, du sable se mêla à la terre, puis elle atteignit la plage. La vue se dégagea brusquement ; devant elle il n’y avait plus rien si ce n’était quelques bateaux amarrés dont le faible usage était visible, mais surtout, se déployait une large étendue d’eau aux dimensions incommensurables. Elle se déchaussa et s’en approcha lentement jusqu’à ce que l’eau vînt lui lécher le bout des orteils. Elle lâcha ses sandales qui retombèrent dans un petit bruit mat, le regard perdu vers cet horizon lointain et inaccessible, et ses pieds glissèrent sous le sable détrempé pour profiter de leur douceur et de leur fraicheur humide.

Le temps était doux et calme et la surface aux reflets d’argent ondoyait avec légèreté. Les yeux rivés sur elle, Luna n’hésita pas à s’asseoir, sans prêter la moindre attention à sa robe qui se détrempa en quelques secondes, bien qu’elle le sentît. Ses pieds se déplacèrent machinalement pour adopter une position plus confortable, de sorte qu’ils fussent immergés de temps à autre. C’était cela qu’elle désirait. Juste cette vision paisible, cette goulée d’air pur, frais et humide, si caractéristique des abords de l’océan, l’empreinte des quelques embruns sur sa peau découverte et le son des vagues. Tant de sensations liées à ce simple élément. Bientôt, elle ferma les yeux.

C’était d’autant plus vivifiant qu’elle se sentait étouffer au village. Certes, son hôte était adorable, son ami aussi, mais il n’y avait pas à dire : elle s’ennuyait ferme. Elle se savait convalescente et incapable de bien des choses pour éviter que sa blessure se rouvrît, mais tout de même ! Et pour ne rien arranger, il lui était difficile de créer des liens avec les villageois sans qu’Astérix n’y pût quoi que ce fût : les hommes étaient généralement occupés et les femmes la détestaient – sauf peut-être quelques-unes parmi les plus jeunes, dont certaines lui témoignaient tout au mieux une certaine curiosité. Tout du moins, l’attitude défiante et médisante de la plupart d’entre elles la laissait penser que cela n’avait aucune importance que ce fût réellement le cas ou non, et leur snobisme à son égard avortait tout effort de sa part. Quelle était la raison d’un tel comportement ? Une bonne question mais dont au final, la réponse l’indifférait – elle savait qu’elle ne leur avait rien fait. Peut-être parce qu’elle ne cadrait pas du tout avec le rôle d’épouse servile comme elles ? De la jalousie peut-être ? C’était juste triste et pitoyable.

Elle entendit des échos de voix et de pas et les ignora, estimant qu’il s’agissait sans doute de quelques villageois. Elle ne réagit même pas à l’urgence que ces sons témoignaient. Rapidement, le sable derrière elle fut déplacé et les bruits s’approchèrent. Puis des éclats de voix, encore.

– Luna ! s’exclama Astérix, soulagé, tandis qu’il apparaissait sur sa droite – elle ne le vit pas, ayant gardé les yeux fermés, mais elle sentit sa présence et reconnut parfaitement sa voix.

Puis une main se posa sur son épaule, aimable, qu’elle ne chassa pas, bien qu’elle brisât malgré elle la plénitude idyllique dans laquelle elle était plongée, et cela l’agaça. Derrière eux, des souffles bruyants indiquaient que le rouquin reprenait sa respiration – chose étonnante car le guerrier était difficile à épuiser, bien plus que son ami rusé qui était loin d’avoir sa force et son endurance. Peut-être avait-il été interrompu dans quelque activité fastidieuse par ce dernier.

– Tu aurais pu dire où tu allais, Astérix a failli faire une pique cardiale lorsqu’il ne t’a pas vue chez lui ! dit alors Obélix avant de se mettre à rire.

Luna ouvrit les yeux, mais la remarque avait eu le mérite d’éteindre son irritation pour céder la place à un certain amusement. Un mince sourire se glissa sur ses lèvres et elle tourna la tête vers lui sans un mot.

– C’est une crise cardiaque, Obélix, pas une pique, le corrigea Astérix en secouant la tête.

Il ne protesta pas aux révélations du rouquin et la bonhomie de son visage démentait une quelconque envie de le faire.

– C’est gentil de t’inquiéter autant pour moi, Obélix, rétorqua-t-elle alors tandis que son sourire s’affinait pour se faire plus malicieux.

Le concerné se sentit aussitôt gêné. Il se mit à rougir et essaya de se justifier – ou plutôt d’expliquer que ce n’était pas le cas. Cependant ses bégaiements pitoyables furent pour la plupart incompréhensibles mais ils firent bien rire les deux autres. Il cessa alors ses tentatives en grommelant dans ses moustaches. Astérix redevint ensuite sérieux et reporta son attention vers la jeune femme.

– Pourquoi es-tu sortie ? Il y a eu un problème ?

L’enthousiasme de Luna s’envola aussitôt. Elle savait qu’il n’essayait pas de la surveiller ou de la contrôler. Malgré tout, elle n’apprécia pas la question posée car elle lui donnait l’impression de constituer une sorte d’atteinte à sa liberté, une infantilisation, ou peut-être un peu des deux. Et parce qu’elle était une femme aussi – et elle avait appris la place de ces dernières au sein de leur communauté. C’était réellement agaçant.

En vérité, bien des choses l’agaçaient mais elle n’était pas en mesure de leur en parler.

Elle haussa les épaules avant de se retourner vers la mer, tâchant de leur cacher sa morosité.

– Rien de spécial, je suis venue ici juste pour contempler l’océan. Ce n’est pas comme si j’avais grand-chose à faire de toute façon, rajouta-t-elle avec amertume sur un ton plus bas, davantage pour elle-même.

Elle fut toutefois parfaitement entendue. Astérix se mordit les lèvres, désolé, mais un léger bruit détourna brièvement leur attention. Ce n’était qu’Obélix qui venait de s’asseoir. Ce dernier saisit une poignée de sable humide pour la scruter distraitement en même temps qu’il la triturait. Luna continua de le fixer même si ses pensées s’envolèrent ailleurs mais Astérix, lui, se retourna ensuite vers elle.

– Il t’évoque des souvenirs ?

A ces mots, il imita ses deux amis et s’assit à son tour. Personne ne réagit.

– Peut-être bien.

Pendant quelques secondes, personne ne parla. Puis Luna reprit :

– Et vous, vous faisiez quoi ? Pourquoi avoir tout de suite imaginé le pire à mon sujet ? fit-elle sur le ton de la plaisanterie, qui eut pourtant tout l’effet contraire : les visages des deux hommes s’assombrirent.

– Nous rentrions de la chasse, expliqua alors Astérix, le visage baissé tandis que d’un doigt, il dessinait de vagues formes sur le sable. Tu n’étais pas là, et euh… personne n’était en mesure de nous dire où tu étais.

Cela n’étonna pas le moins du monde la jeune femme.

– Et tu n’es pas sans savoir que, euh… enfin… nous ne savons toujours pas qui t’a fait cela et pourquoi, acheva-t-il en désignant sa blessure tandis que son regard soucieux se leva vers elle.

Celui de Luna s’adoucit. Ce n’était qu’une inquiétude, parfaitement justifiée au demeurant. Il était vrai que de son côté, elle n’y pensait presque plus – seulement lorsque la plaie la lançait affreusement et qu’elle songeait aux événements qui avaient pu se produire et l’expliquer. Mais il n’en était pas de même pour les deux guerriers, surtout Astérix, dont sa charge lui avait été confiée. Et il tenait à cœur à ce dernier de ne jamais faillir à son devoir.

– Il n’est sans doute plus là à l’heure qu’il est, tu sais, fit-elle d’une voix rassurante, en plongeant son regard argenté dans celui de l’homme près d’elle. Il a ou ils ont dû partir depuis le temps.

Mais la mine de ce dernier ne se déridait pas.

– On ne sait jamais. Nous ne savons pas à quel point ces individus tiennent à ta mort.

Luna soupira et reporta son regard sur ses pieds et sur l’eau qui allait et venait. Vraiment trop à cœur.

– Le reste des villageois n’a pas l’air de penser la même chose. S’il y a eu un état d’alerte, c’est terminé depuis.

– Il est vrai que les choses sont revenues à la normale pour les autres, lui accorda Astérix sans toutefois poursuivre et remettre ainsi en question sa propre opinion.

Et son silence était bien plus évocateur à ce sujet que s’il avait décidé de l’exposer.

– Tu t’ennuies tant que cela ? reprit-il finalement après quelques secondes de silence.

Elle ne répondit pas mais son regard blasé parla pour elle. Il ouvrit la bouche pour poser une autre question mais se retint, car finalement il la devinait. Elle n’avait pas d’amies. Les hommes étaient occupés, et puis cela ne se faisait généralement pas, plus à leur âge, et les femmes… le fossé semblait trop grand entre elles.

Mais que pouvait-il donc y faire ? L’impuissance l’envahit, et c’était d’autant plus frustrant. Il savait qu’il avait une réputation bizarre auprès d’elles, et sans doute le fait que Luna logeât chez lui n’était pas étranger à leur comportement envers elle – il était presque sûr qu’elles s’imaginaient que tôt ou tard il en ferait sa maitresse, si ce n’était pas déjà le cas. Cela s’était déjà produit lorsqu’il avait trouvé le fils de Cléopâtre sur son perron. Et puis, le fait qu’elle fût jeune et belle ne jouait pas en sa faveur car de nombreux regards masculins se glissaient sur son sillage, au grand damne de leurs compagnes. Et c’était une étrangère. Juste de quoi parachever l’œuvre.

Il plongea son visage entre ses mains, tandis qu’une vague de lassitude désappointée ploya soudain ses épaules. Il ne les comprenait pas – et sans doute ne le pourrait-il jamais.

– Rien ne m’interdit de venir ici, non ?

Il rouvrit les yeux et redressa la tête, laissant ses bras reposer sur ses jambes. Il aperçut les sourcils froncés de la jeune femme et l’éclat dans ses yeux qui semblait l’inciter à se montrer prudent quant à ses prochaines paroles.

– Bien sûr que non, rien ne te l’interdit. Mais comme je te l’ai dit, ce n’est pas très prudent de quitter le village, surtout comme ça.

Puis il émit un autre soupir.

– Mais je suppose que vu les circonstances…

Que pouvait-il dire de plus ? L’idée ne lui plaisait pas du tout mais il n’irait jamais jusqu’à la forcer à rester chez lui ou dans l’enceinte du village – il ne s’en sentait pas le droit et ne voulait pas se l’approprier. Et Luna était vraisemblablement le genre de personne qui aimait sa liberté et son indépendance – un peu comme lui, en fait. Et cela, il le comprenait. Mais…

– Tu aimes faire quoi ?

La question les surprit tous les deux et ils se retournèrent vers leur troisième compagnon, qui avait été silencieux durant l’essentiel de l’échange. Ce dernier regardait Luna d’un air interrogateur et celle-ci lui en renvoya une parfaite réplique.

– Je…, hésita-t-elle, avant de demander : Pourquoi cette question ?

Obélix haussa les épaules, comme si c’était évident.

– Bah, pour savoir ce que tu veux faire ! C’est bien ce que tu veux, non ? Nous, nous partons chasser le sanglier parce que cela nous plait, je taille mes menhirs parce que c’est mon métier et que cela me plait, alors toi ? Qu’est-ce qui te plait ?

La jeune femme ouvrit la bouche et la referma, et l’attention des deux hommes qui venaient de se concentrer sur elle ne l’aidait pas à réfléchir. Ce qu’elle aimait faire ?

– Je… je ne comprends pas, avoua-t-elle, abasourdie.

Elle se doutait de la stupidité de sa réponse mais n’avait pu la retenir. Elle ne pouvait pas réellement faire ce qu’elle voulait ici, de toute façon… si ?

– Mais c’est pourtant simple ! insista Obélix d’un ton joyeux tandis que sa suggestion plongeait son ami dans une réflexion intense. Pour t’occuper, il suffit de te trouver une activité !

– Obélix, je doute que ce soit aussi simple…, lui glissa Astérix d’un ton bas en priant pour que son ami réfrénât son enthousiasme, ne souhaitant pas donner de faux espoirs à la jeune femme.

Après tout, peut-être leur serait-il impossible de les réaliser.

Mais Luna ne se rendit même pas compte de son intervention, son attention concentrée sur Obélix et sur sa question si anodine.

– J’aime les plantes, fit-elle alors sur le ton du constat tout en réfléchissant, et les deux hommes se figèrent à ses mots. J’aime bien la cueillette, en fait. Je… je crois que je connais quelques propriétés à leur sujet, ou au moins quelques noms.

– Mais c’est génial ! s’enthousiasma Obélix avant de buter contre le sujet en question : Enfin les plantes, j’y connais rien et je ne –

– Mais c’est vrai ! Tu en as quelques souvenirs ?

Luna secoua la tête, amusée. L’entêtement d’Astérix était étonnante – il semblait être celui qui se souciait le plus de son amnésie, et même bien plus qu’elle-même.

– Je ne sais pas si on peut vraiment parler de souvenirs, corrigea-t-elle, mais j’en ai quelques bribes. Des informations. Tout à l’heure, en venant ici, je me suis amusée à reconnaitre les plantes sur le chemin et même si beaucoup me sont inconnues, plusieurs m’étaient familières.

Cela fit sourire le guerrier mais Luna n’osa pas le démentir. Elle-même n’y prêtait pas tant d’espoirs mais elle se doutait que c’était le cas de ce dernier.

– Eh bien, c’est toujours ça de pris, lui accorda-t-il avec douceur, avant de lui demander : Sinon, quels genres de plantes es-tu parvenue à reconnaitre ?


Texte publié par Ploum, 1er janvier 2019 à 23h22
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