Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 1 « Un réveil éprouvant. » tome 1, Chapitre 1

Je me réveille dans une chambre d'hôpital. La lumière projetée par les néons m'aveugle. Je me redresse vivement, en gémissant de douleur. Tout mon corps est endolori et j'ai la tête qui tourne : j'ai l'impression d'être passée sous un train. Mais ce n'est rien face à l'idée terrifiante d'avoir perdu le bébé que je porte en moi. J'agrippe mes cheveux si fort que j'en arrache quelques touffes.

- Le bébé... le bébé... sangloté-je, persuadée que je vais devoir faire face à un nouveau deuil

Une main se pose délicatement sur mon épaule droite. Je n'avais pas remarqué la présence de quelqu'un d'autre que moi dans la pièce.

- Maman, calme-toi. Le bébé va bien, il est en couveuse... souffle Emma, la voix vibrante d'émotion.

L'information ne parvient pas immédiatement à mon cerveau. Emma prend mon visage entre ses mains pour m'obliger à la regarder. Mes yeux ont beau être rivé sur elle, je ne la vois pas. Ses lèvres bougent, mais mes pensées sont tournées vers David et mon bébé morts : je ne comprends pas ce qu'elle me dit. Elle répète inlassablement la même phrase, qui me martèle la boîte crânienne pour entrer de force dans mon cerveau.

J'inspire profondément et, les yeux fixés sur le plafond blanc de la chambre d'hôpital, serre Emma contre ma poitrine en continuant de pleurer, mais de joie, cette fois. Je ne sais pas combien de temps a duré notre étreinte, mais elle s'interrompt lorsque, à notre plus grande surprise à toutes les deux, j'annonce :

- Je vais l'appeler David.

J'ouvre de grand yeux surpris et plaque me mains contre ma bouche, comme si j'avais dit une atrocité. Elle me fixe, la bouche en O, stupéfaite. Je n'avais pas prévu de dire ça, et elle ne s'attendait pas à l'entendre.

Des larmes recommencent à perler au coin de mes yeux. Elle les essuie avec ses pouces. Depuis des mois, je rejette ce prénom dans un recoin de mon esprit, refusant de lui prêter attention. A chaque fois que je l'entends ou le prononce, le trou béant que j'ai dans le cœur s'élargit davantage. Pourtant, j'ai dit cette phrase comme une évidence, comme s'il était écrit dans les étoiles que mon fils le porterait.

- C'est un prénom parfait pour un bébé parfait et qui rendra parfaitement hommage à son parfait papa, dit Emma en souriant.

- Merci... couiné-je en tentant de réprimer un nouveau sanglot.

Emma met cela sur le compte de la tristesse que je ressens en pensant à David. Mais, bien plus encore que le vide qu'il a laissé, c'est la culpabilité qui m'envahit. Je suis la seule à savoir que c'est Antoine le père, et je devrais emporter ce secret dans la tombe : j'ai détruit la vie de David et je ne compte pas briser celle d'Antoine, de Jennifer et de leur futur enfant en prime !

Emma me tapote les mains pour me consoler. Pour détourner la conversation, je demande :

- Comment vont Jules, Martin et Léo ?

- Jules est tellement stressé qu'il a cuisiné pour mille personnes au moins. Martin et Léo sont intenables et n'arrêtent pas de se chamailler. On a tous la tête à l'envers : tu nous as fait une peur bleue !

- Oh ma chérie, je suis désolée ! Mais tout va bien, tu vois ? Je suis en pleine forme !

En disant cela, je lui fais un sourire éclatant, en priant pour qu'elle ne voie pas que mes yeux sont éteints, comme si la lueur que j'avais en moi était morte. Je dois la rassurer à tout prix. Elle ne dit rien mais je la connais par cœur : pendant de longues heures, elle a cru qu'elle serait orpheline de mère et, même si je l'insupporte avec mon fichu caractère, cette simple idée lui est intolérable.

Je me hais. Depuis des mois, elle s'occupe de tout à la maison et s'inquiète pour moi, sans jamais se dire que je suis la seule fautive de la mort de David. Même si la colère de Jules à mon encontre me ravage, elle me rassure et me prouve que j'ai raison de m'en vouloir. Sa tristesse inconsolable pour lui me désole, car je ne veux pas voir souffrir mon fils, mais savoir que David n'était pas aimé que de moi, qu'il a laissé un vide et manque à d'autres me soulage. Je n'arrive pas à parler de lui, mais je refuse qu'il sombre dans l'oubli.

- Ma chérie, appelle un médecin : j'en ai déjà ras le bol d'être ici, j'aimerais bien savoir quand je pourrais sortir avec ton nouveau petit frère, dis-je pour me détourner de mes sombres pensées.

Sans protester, mais en m'invectivant de ne pas bouger de mon lit, elle a quitté la pièce pour aller chercher le médecin en charge de mon dossier. Du dos de la main, j'ai essuyé mes yeux rougis et rendus douloureux par les larmes. Puis, ne tenant plus en place, j'ai désobéi : quand Emma est revenue, accompagnée d'un docteur comme je l'avais demandé, j'étais en train de déambuler dans le couloir tandis qu'une jeune infirmière essayait de me forcer à regagner mon lit. Je faisais un scandale parce qu'elle ne voulait pas me dire où était mon petit David lorsqu'Emma m'a saisie par le bras en s'indignant :

- Heureusement que je t'avais dit de te tenir tranquille, t'es vraiment pas possible !

Je lui ai répondu par un grand sourire, ce qui a eu le don de l'exaspérer. De nous d'eux, en cet instant, c'est elle la mère responsable et réfléchie et je suis l'enfant turbulant et casse-pieds. Je n'en ai rien à faire, je veux voir mon bébé, le tenir contre mon cœur, le bercer, lui chantonner des mots doux à l'oreille...

-Tu sais très bien que je n'en fais qu'à ma tête. Je veux voir mon David, je vais voir mon David, point final. Et y a pas à discuter !

J'ai l'air d'une gamine capricieuse qui tape du pied pour avoir un nouveau jouet. C'est le moment que choisit le médecin pour intervenir. Je n'ai pas d'autre choix que celui de le suivre pour retourner dans ma chambre. Tout en contrôlant mon état de santé, il m'explique longuement que mon petit David est un grand prématuré et qu'il devra rester un moment en couveuse, que je ne pourrais le prendre dans mes bras qu'en présence d'infirmières car il est très fragile mais que je pourrais autant que possible. L'idée de ne pas pouvoir m'occuper de mon bébé comme je l'entends m'est insupportable, mais l'imaginer malingre et valétudinaire l'est encore plus.

Je ne suis pas détendue le moins du monde et je ne le serai pas tant que je ne pourrais pas voir mon enfant, mais, alors que je ne tenais plus en place avant ma discussion avec le médecin, je suis étonnamment immobile et silencieuse. Je reste ainsi plusieurs heures, sous le regard inquiet d'Emma, qui demande à plusieurs reprises aux infirmières et médecins qui passent dans le couloir si elle doit avoir peur de mon état.

Elle a beau me parler, sa voix n'est qu'un bruit de fond. Les poings serrés, j'attends, déterminée, de pouvoir enfant voir mon petit David. Rien de ce qui se passe autour de moi n'a d'importance.

Dans un soupire, Emma quitte la pièce sans que je ne m'en aperçoive : elle ne peut rien faire pour m'aider. Dans le couloir, elle sanglote au téléphone. J'entends ce qu'elle dit sans l'intégrer.

- Fabio, j'en ai marre de parler à ta messagerie. J'ai besoin de toi donc si tu ramènes tes fesses à l'hôpital, soit je te quitte !

Toujours en sanglots, je l'entends pianoter sur le clavier de son téléphone. Elle appelle quelqu'un d'autre.

- Aline ? C'est Emma. Ah, tu es au travail. Tu pourrais passer à l'hôpital après ? Oui. Non, c'est pas pour moi, c'est maman. Non, rien de grave mais ils ont dû la faire accoucher. Oui c'est tôt mais on risquait de les perdre tous les deux. Je sais pas si ça va, elle est super bizarre là, elle m'inquiète. Non. Oui. J'attends Fabio là. J'ai veillé toute la nuit et je suis épuisée mais je veux pas la laisser seule. Mon père ? Il est en vacances au Brésil avec sa chérie. Oui, d'accord. OK. A tout à l'heure alors. Oui, promis, je vais me reposer. Bisous.

Après avoir raccroché, Emma ne revient pas dans ma chambre, ne pouvant sans doute plus supporter mon état.

Aux alentours de midi trente, alors que j'écrase distraitement le contenu de mon assiette sans rien avaler, Aline, Meddhi et Chrystelle entrent dans la pièce.

- Alors ma grosse, on regarde pas où on met les pieds ?! s'exclame Aline sur le ton de la plaisanterie.

Je ne réagis pas et ne réponds rien : je n'ai rien envie de faire tant que je n'aurais pas vu mon bébé, ce qui m'est formellement interdit pour le moment.

Meddhi, fidèle à lui-même, se fait tout petit : pour une raison quelconque, il est gêné. Chrystelle, elle, a l'air de vouloir être partout sauf ici. Aline continue sur sa lancée, sans ce soucier de la totale absence de réactions et de réponses de ma part.

Je n'écoute absolument rien de ce qu'elle raconte mais, pour qu'elle se taise, je finis par demander :

- Antoine n'est pas là ?

Je n'avais pas d'autre question en tête. J'aurais préféré ne jamais la poser mais, malgré mon envie et mon besoin viscéral de voir mon petit David, elle était blottie dans un coin de mon esprit, attendant sereinement son heure de gloire.

Chrystelle s'est vue soudain être fascinée par le plafond, et Meddhi par ses chaussures. Aline, elle, a plongé ses yeux droit dans les miens et a annoncé :

- Il n'a pas voulu venir. Il est resté au poste de police.

Chrystelle s'est tournée vers elle et lui a fait les gros yeux, comme pour lui dire : « ce n'est pas le tact qui t'étouffe, toi ! ».

Sans rien savoir de notre histoire, ils ont tous dû subir nos sautes d'humeur, nos disputes et nos silences obstinés, jusqu'à ce que Leclerc m'interdise de venir travailler. Depuis que je suis « assignée à résidence », comme j'aime à le souligner lorsque je me plains, Antoine a toujours refusé de venir me voir et me parler. Il joue au père idéal et au conjoint aimant auprès de Jennifer, alors qu'il sait très bien qu'elle n'est qu'une erreur, qu'il ne l'a jamais aimée et qu'il s'est mis avec elle parce que j'avais David. Mais maintenant, je n'ai plus David, et lui, il décide de rester avec elle alors que c'est moi qu'il aime depuis le premier jour !

Mais je ne peux rien dire, parce que personne ne sait et que c'est mieux comme ça... Ce silence m'étouffe et me déchire les entrailles, mais je ne dois pas salir la mémoire de David, je ne dois pas briser la vie de famille que se forge Antoine, je dois rester la femme amoureuse et fidèle de David, et le petit David doit rester notre enfant et ne jamais être celui d'Antoine. Me taire c'est me détruire, mais parler, c'est tout détruire !

- C'est pas grave, j'ai pas besoin de lui ! On a un évènement à fêter les gars : je suis maman ! m'exclamé-je comme si je n'étais pas blessée par l'absence d'Antoine.

- Tu étais déjà maman, Candice ! me reprend Meddhi.

Chrystelle lève les yeux au ciel, exaspérée.

- A toi Candice et à... heu...

- David.

Après un silence, les pensées de chacun tournées vers le défunt David, Aline reprend, suivie par les autres :

- A Candice et à David !


Texte publié par Je suis une loutre, 17 février 2019 à 10h13
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 1 « Un réveil éprouvant. » tome 1, Chapitre 1
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2629 histoires publiées
1177 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Audrey02
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés