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Il fait nuit noire. Pourtant, je suis incapable de dormir. Je suis allongée, seule et les yeux inondés de larmes. Mes mains caressent distraitement mon ventre alors que je suis perdue dans mes pensées. Le bébé qui grandit en moi me donne des coups, comme en reproche, comme s'il avait compris que j'ai tout gâché, que tout est de ma faute...

Je crois que plus jamais je n'aimerai d'hommes au cours de ma vie : je porte malheur. David est mort et Antoine m'a quittée. Il a beau être envie, j'ai hanté le reste de son existence et comme moi, il sera à jamais coupable du destin tragique de David. Mais lui, au moins, il a Jennifer à ses côtés et peut se consoler avec le bonheur de devenir papa comme il l'a toujours rêvé. Son enfant aura la chance de vivre avec ses deux parents. Le mien vivra sans père...

Le jour où David est mort, j'avais décidé de tout avouer à Antoine. Alors que nous étions à la mine, je l'ai regardé longuement dans les yeux, comme pour lire en lui et ainsi deviner la réaction qu'il aurait à mes paroles. J'ai ouvert la bouche pour parler mais, par peur de le perdre, me suis ravisée, ai détourné le regard et ai appelé David. Je les ai perdus tous les deux à ce moment-là...

Quand la bombe a explosé, tout a changé. Quand la bombe a explosé, j'ai su que je ne prononcerai jamais les mots qui me brûlaient et me brûleront les lèvres jusqu'à la fin de mes jours. Quand la bombe a explosé, j'ai su que je ne lui dirai jamais que je l'aime, que j'attends un enfant de lui et que je veux qu'on l'élève ensemble. Quand la bombe a explosé, j'ai su que je n'aurais jamais l'occasion de quitter David en lui épargnant le plus de douleur possible, parce qu'on l'arrachait à moi. Quand la bombe a explosé, j'ai su que Jennifer n'avorterait jamais et qu'Antoine ne la quitterai pas pour vivre avec moi et les enfants.

Non, rien de ce que je m'étais imaginé des millions de fois dans ma tête ne s'est produit. Au lieu de tout cela, je me suis isolée du reste du monde pour rester seule avec ma peine et ma culpabilité. Je passe mes journées avachie sur le canapé du salon ou dans mon lit, à manger tout et n'importe quoi. J'ai mis ça sur le compte de ma grossesse, qui est plutôt risquée vu mon âge avancé. Tout le monde a cru à ce ramassis de conneries.

La vérité, c'est que je ne me supporte plus et que je n'arrive pas à faire face. David est mort, Antoine ne m'adresse plus la parole depuis de longs mois, Jules me déteste et me le fait bien savoir, et j'ai horreur de ne pas pouvoir aller travailler ! Seule Aline prend de mes nouvelles de temps en temps.

En plus de tout cela, je suis vieille, moche et énorme : je ne vois même plus mes pieds. Mes hormones n'en font qu'à leur tête et je pleure pour un rien. Je passe le reste du temp à faire pipi, manger ou dormir...

Tout le monde croit que l'enfant que j'attends est de David. Plus ce bébé grandit en moi, et plus je me sens responsable et fautive de tout ce qu'il s'est passé. Sans doute pour m'occuper l'esprit faire taire cette culpabilité qui se terre et attend en silence, tapie dans l'ombre, j'ai une soudaine envie de manger.

Je me lève du lit, non sans difficulté, pour une petite fringale nocturne. Arrivé au milieu de l'escalier, j'ai un vertige et trébuche. Je descends le reste des marches en roulant et me retrouve au sol, gémissant de douleur. Le bruit alarme les enfants, que j'entends se précipiter dans ma direction. Le fait de savoir qu'ils m'ont entendue chuter me rassure, et je m'autorise à perdre connaissance : je suis entre de bonnes mains. Mes yeux se ferment sur la vision floue d'Emma, penchée au-dessus de moi, en train d'hurler à Jules d'appeler une ambulance.