Nils se sentait idiot de s'être énervé comme ça. Sans savoir pourquoi voir Lucas discuter avec Kamu l'avait énervé. Il s'était convaincu qu'il l'embêter et que c'était pour ça. Un argument qui aurait tenu la route, si l'autre avait été incapable de se défendre.
Il était toujours protecteur avec son compagnon. Après tout, il était là pour ça : protéger Kamu, c'était sa mission. Mais là, il n'y avait aucun danger. Serait-il possible qu'il se soit mis en colère juste parce qu'un homme parlait avec son collègue ? C'était stupide. Toute cette soirée était une succession de n'importe quoi.
Qu'est-ce qui arrivait à son ami ? Lui si sérieux d'habitude, avait commis une erreur. Ce qui ne lui était jamais arrivé. Il faisait toujours attention à tout et prenait son temps pour analyser les choses avant d'agir.
Est-ce que le changement d'environnement pouvait expliquer ça ? Ou alors, c'était le fait de se retrouver à passer les fêtes en famille qui lui rappelait qu'il avait perdu la sienne ? A moins, que se soit lui qui l'est distrait avec ses caresses. Il repensa à la discussion qu'il avait eue avec son père.
-Kamu, est-ce que ça va ? demanda-t-il brusquement.
L'autre hésita comme pris en faute. Il hocha la tête, mais l'expression de son visage parlait pour lui.
Comme il s'en doutait, il n'allait pas bien. Peut-être que c'était pour ça, qu'il s'accrochait autant à lui.
-Tu m'en veux ? souffla son collègue.
Il haussa les épaules. Déjà, il ne savait même pas pourquoi il était censé lui en vouloir.
-Tu aurais préféré un autre environnementaliste ?
Quelle question stupide…
-Un meilleur que moi ?
-Ca existe, ça ? railla-t-il.
-Bien sûr, je ne suis pas la meilleure…
-Bizarre, j'aurais cru.
-Ne te moques pas de moi…
Il plongea son regard dans le sien.
-Je suis sincère. Je te rappelle que je faisais équipe avec Samy. Lui, le temps qu'il lance un sort, tu peux boire ton café tranquillement. Et encore, ça, c'est quand monsieur a de la magie.
Nils se rappelle soudain du fait que Kamu manquait de magie.
-Kamu, tu as fait comment pour te vider entièrement ?
-Pas entièrement…
-Mais encore ?
Il soupira sous le poids de toutes ses questions.
-J'ai apposé des scellés sur ton frère. Ca évitera qu'il puisse voir la magie.
Nils fronça les sourcils.
-Comment as-tu fait ça ?
-Avec ma magie…
-Non, mais ça, je m'en doute. Je veux dire comment as-tu pu te servir d'une magie qui n'est pas la tienne ?
-Avec difficulté.
Non, mais il allait jouer au con encore longtemps.
Nils s'arrêta, et posa ses mains sur les épaules de Kamu pour l'empêcher de fuir.
-Je répété comment as-tu pu…
Kamu haussa les épaules.
-On peut tous le faire. Ce n'est pas parce qu'on a une spécialité qu'on ne peut pas faire les autres sorts. Tant que la magie est équilibrée, ça fonctionne.
-Justement la magie n'est pas équilibrée puisque ce n'est pas ta spécialité !
-Il suffit de tout rééquilibrer à chaque instant. C'est plus long, mais on y arrive.
Nils le fixa sans rien dire.
-Mais qui apprendrait les sorts qui ne concernent pas sa spécialité ?
Kamu plongea ses yeux dans les siens.
-Moi.
C'est sûr que se devait être le seul et unique mage à le faire. Il ne comprenait même pas la raison de son choix.
-Donc tu as appris les techniques des médico-mages ?
-Oui.
-Pourquoi ?
-Ca peut toujours servir.
D'accord, sur ce point, il marquait un point.
-Si tu perds ta magie pour lancer un seul sort, je ne sais pas si ça vaut le coup.
Kamu ne répondit rien.
-Tu as réussi avec tes scellés ?
-C'est bon. Mais j'avoue qu'on a eu de la chance. Il n'a pas regardait tes yeux.
-Je doute qu'il les regarde beaucoup, mes yeux.
-Oui, mais s'il l'avait fait, il aurait commencé à se poser des questions.
Nils haussa les épaules. Il n'allait pas s'énerver pour un truc qui aurait pu se passer.
Ses yeux se posèrent sur Kamu, devant lui, toujours attentif.
-Si tu veux…
Il détourna le regard et fixa un point derrière son collègue.
-Comme tu en as besoin... Je te partage ma magie.
Une proposition qu'il ne faisait pas à la légère. C'était un cas très intime et il n'aurait pas accepté de le faire avec n'importe qui. Enfin là, c'était Kamu, du coup, il se sentait en confiance.
Dans un moment de partage, les deux mages étaient connectés et l'un pouvait voler complètement la magie de l'autre s'il en avait la volonté. En sachant que si elle n'avait plus aucune magie, la personne venait à décéder. Même lorsqu'il ne pouvait plus lancer de sort, les mages gardaient un peu d'énergie magique dans leur corps, qui était nécessaire pour vivre.
Ce devait être un acte consenti et basé sur le respect mutuel. En faire la proposition était un acte très fort, et Nils se sentait gêné rien que de le proposer. Il n'avait jamais fait un truc pareil. En même temps, il n'avait jamais été aussi proche d'un autre mage.
Kamu lui fit un large sourire, avant de plaquer un petit baiser sur sa joue.
-Tu es mignon. Mais ne t'en fais donc pas pour moi. Ca va déjà mieux. J'ai récupéré.
Nils lui jeta un regard surpris.
-Ca ne fait même pas une heure…
-Je récupère vite.
-Là, c'est plus que vite !
Son collègue lui fit un sourire tendre.
-Je te surprends ?
-Plutôt oui.
Le brun avait du mal à concevoir qu'on puisse récupérer aussi rapidement. Lui-même, lorsqu'il utilisait trop de magie n'avait qu'une envie s'était se coucher et attendre que son corps se régénère de lui-même.
Kamu n'avait pas dormi et tenait une conversation comme si de rien n'était. Il voulait bien croire qu'il se rechargeait en magie rapidement, mais là, ça devenait supersonique. A croire que l'autre était et resterait un mystère à jamais.
-Tu n'es pas trop fatigué ?
-Ne t'en fais pas, pour moi. Si je suis trop fatiguée, je te tomberai dans les bras.
Joignant le geste à la parole, son ami se laissa tomber doucement sur lui, pour l'enlacer.
-Putain, Kamu. Sois sérieux cinq minutes !
-Juste cinq minutes alors ? Après, je redeviens normale.
Nils soupira.
-Allons manger. Puisque de toute façon, tu ne veux rien me dire.
Sans savoir pourquoi il se sentait à nouveau énervé. Kamu le retint.
-Ce n'est pas que je ne veux pas te dire les choses. C'est juste que je ne vois pas quoi te dire… Tu me demandes comment je fais ça, et je ne sais pas quoi te répondre. Je le fais, c'est tout.
Nils le fixa comme pour vérifier qu'il ne se moquait pas. Mais son collègue était sincère.
-J'ai toujours été douée en magie. C'est la seule chose que je réussis.
-N'importe quoi…
-Non, c'est vrai. Il faut que ça touche à la magie que j'y arrive. Et encore… J'ai fait une erreur et tu…
Le brun soupira.
-Tu vas nous bassiner combien de temps avec ton erreur ? C'est bon. C'est fait, c'est fait. En plus, tu l'as réglé le problème, non ?! Alors on n'en parle plus.
-Tu ne vas pas le dire à Giles ?
-Personne n'est mort ! Personne n'est en danger ! Tu n'as pas fait foirer la mission alors arrête !
Kamu le regarda, il avait une mine de chien battu.
-Viens. Je gueule pour qu'on aille bouffer et tu traînes.
Il passa la main autour des épaules de l'autre pour le pousser à avancer.
-Merci. Tu es si gentil avec moi.
Nils secoua la tête.
C'était faux, il n'était pas gentil avec lui. Il ne voyait seulement pas de raison de se prendre la tête pour rien pendant encore longtemps.
En tournant la tête vers Kamu, il s’aperçut que celui-ci avait les larmes aux yeux. Encore…
-Kamu, tu pleures.
Cette phrase commençait à devenir redondante.
L'autre porta la main à ses yeux.
-Ho non, pas encore ?! J'aurais dû prendre une autre apparence ! J'ai tellement de mal à contrôler celle-ci !
Nils fronça les sourcils.
-Je comprends rien à ce que tu me racontes.
-C'est juste… Une façon de réagir différente. C'est assez complexe à expliquer… En fait, cette apparence, c'est…
Mais Kamu ne dit pas la suite, préférant subitement se taire.
-Tu vas y arriver ?
L'autre lui jeta un regard interrogateur.
-La mission, tu vas y arriver ou on se casse tout de suite ?
-Quoi ?! Abandonner ?! Moi, vivante, jamais. J'irais jusqu'au bout ! Tu sais combien c'est dangereux de laisser un tel objet dans la nature ?!
Au moins, il était motivé, et ça faisait plaisir à voir. Malgré son comportement étrange, ses larmes, ses tentatives de séduction, ça restait Kamu. Quelqu'un qui se donnait à fond.
-Oui, oui, je sais. Ne laisse juste pas les autres te distraire.
Moi, en premier…
Devait-il lui poser la question, comme lui avait conseillé son père ?
-Kamu, est-ce que…
Il se sentit idiot. Qu'allait-il dire ? Est-ce que tu m'aimes ? C'était complètement ridicule. Ils étaient collègues. Ils n'étaient pas là, pour avoir des sentiments l'un pour l'autre. Jusqu'à aujourd'hui tout s'était toujours déroulé de manière normale. Kamu ne l'aimait pas donc pourquoi les choses seraient différentes maintenant ?
Évidemment, pour les autres, ils étaient déjà en couple donc c'était logique qu'ils se posent des questions. Que c'était complexe toutes ses conneries…
Le problème, c'était qu'ils jouaient tous les deux, un rôle. Cela aurait été facile de souhaiter que les choses se réalisent vraiment. Ainsi, il ne serait plus seul. Il y avait tellement pire que Kamu à supporter. Seulement parce que c'était un rôle, ils ne donnaient que le meilleur côté d'eux-mêmes. Le retour à la réalité n'en serait que plus difficile. Il fallait rester lucide sur la situation.
Du coup, pourquoi avait-il tellement envie de le protéger ? C'était son rôle d'accord. Mais là, il n'y avait pas de danger magique. Il y avait juste un Kamu qui se montrait beaucoup plus touché par la situation qu'il ne l'aurait voulu.
Il était temps de revenir à la réalité, et d'arrêter de rêver. Il ne se passerait plus rien entre eux. Même si l'autre lui jetait des regards tendres et des petits sourires. Il ne devait pas céder pour leur bien à tous les deux. C'était cependant plus difficile à dire qu'à faire.
Reportant son attention, sur l'autre qui attendait la suite de sa question, il déclara :
-Est-ce que tu as faim ?
Bon moyen de noyer le poisson. Heureusement qu'il n'avait pas commencé par dire qu'il avait une chose importante à dire.
Son ami ne se rendit compte de rien
.
-Oui. Depuis que j'ai vu ton poulet, j'ai envie de le goûter.
-T'excite pas, va falloir se farcir les vérines de l'autre avant.
-Ha ?
L'enthousiasme de Kamu fondit comme neige au soleil.
-Dis Nils, tu as rapporté des cadeaux ?
-Oui, pour mes nièces. Fallait bien.
L'autre s'agita.
-C'est quoi ?
-Le cadeau ?
Un vrai gamin…
-Des figurines articulés…
-Chouette, tu as pris dans quel univers ?
-L'école : j'ai pris la salle de classe et la cours de récrée…
Cela doucha l’enthousiasme de Kamu.
-Mais pourquoi tu leur offres des rappels de l'école alors qu'on est vacance. Tu aurais pu prendre un dragon, des pirates, un train, une voiture de police pour écraser les méchants…
-Depuis quand on écrase les suspects ?
-Certains le mériteraient.
Il n'avait pas tord sur ce point. Nils aurait volontiers roulé sur certaines personnes, quitte à enclencher la marche arrière et à recommencer pour être sûr que les autres ne recommencer jamais ce qu'ils avaient fait. Mais la vie ce n'était pas ça.
-Après, c'est des enfants. S'il le décide, la voiture vole et la police possède des licornes apprivoisées.
Il n'avait pas tord.
-Mais l'école, c'est pas marrant.
Nils eut un petit sourire.
-Tu n'aimais pas l'école, Kamu ?
L'autre eu une moue dubitative.
-Non. J'aime pas qu'on me contraigne à apprendre un truc si ça m'intéresse pas. En plus, j'aime pas les contrôles. Je les détestais tellement que j'aurais volontiers échangé ma place avec mon double pour ne pas avoir à les faire. Malheureusement, nous étions dans la même classe.
-Oui, c'est généralement ce qui arrive lorsqu'on est jumeau. En même temps, je ne pense pas que cela aurait marché.
-Pourquoi ?
Kamu lui lança un regard surpris.
-Si vous n'aviez pas le même sexe, ça devait être plus facile de vous différencier.
L'autre se mit à rire.
-On était tous les deux change-formes.
-Quoi ?!
-Ca te surprends ?!
-C'est tellement rare comme particularité. Alors deux… Enfin, en même temps, ton pouvoir ne s'est développé qu'à l'adolescence comme pour tous les mages alors pour ce qui est de l'école…
Kamu secoua la tête.
-Non, Nils. Ca ne marche pas comme ça, chez les change-formes. Nous possédons et pouvons utiliser ce pouvoir dès l'enfance. C'est juste plus difficile d'avoir des changements très poussés comme je le fais maintenant. Mais échanger de place, c'était simple.
Le brun se mit à imaginer le parent qui avait des enfants de ce type. Ca devait être dur, très dur à gérer.
-Tes parents ne se sont pas arrachés les cheveux ? Un enfant, c'est déjà pas simple alors deux et deux change-formes…
Brusquement, Kamu redevint sérieux
.
-Mon père a toujours fait de son mieux. Jusqu'à la fin… Ce n'était pas sa faute, il était environnementaliste… Il ne pouvait pas faire grand-chose pour nous… Et moi, j'étais si exaspérante…
Nils se rendit compte un peu tard de sa maladresse. Il aurait dû faire plus attention, en sachant que le père de son ami était décédé. Il ignorait quelles circonstances avaient mené à sa mort, mais mieux valait ne pas en parler à Kamu et surtout pas, maintenant.
-Je suis désolé.
Son ami baissa la tête sans rien dire.
Le brun l'attira à lui, pour le prendre dans ses bras. L'autre se laissa faire sans un mot.
-Excuse-moi. Je n'aurais jamais dû dire de telles choses… Si quelqu'un s'était permis de rire pour ma mère, je ne l'aurais pas supporté.
C'était vrai, connaissant son caractère, il se serait tout de suite énervé, contre celui qui osait s'amuser de son malheur. Seulement, il n'était pas le seul sur terre à être triste. Cette réalité lui revenait à la figure, plus vite qu'il ne l'aurait voulu.
-Kamu, je t'en pris, pardonne-moi.
Il passa la main dans son dos et le caressa pour l'apaiser, avant de l'embrasser sur le front.
Quelle façon subtile de ne plus le toucher... C'était un peu fait ce que je dis, mais pas ce que je fais.
Ils restèrent ainsi, quelques instants. Jusqu'à ce que son ami relève la tête.
-Ca ira.
Il hocha la tête, mais il était clair, qu'il n'était toujours pas en grande forme.
-Tu en es sûr ?
Nils ne pouvait pas s'empêcher de vouloir le protéger, même si pour cela, il devait le prendre dans ses bras.
-Merci, Nils. Tu es si gentil de prendre soin de moi…
En même temps, vu que c'était lui qui venait de déclencher le problème. C'était à lui d'assumer et de le résoudre ou tout du moins, d'aider du mieux qu'il pouvait Kamu.
Brusquement, l'autre le prit par surprise et posa un baiser sur ses lèvres, tendrement. Nils hésita, mais ne le repoussa pas.
C'était reparti. Il faudrait vraiment qu'ils aient une bonne discussion tous les deux. Ce soir, par exemple…
-J'ai hâte de t'offrir ton cadeau, Nils.
-Moi aussi, s'entendit-il répondre.
Avant de se souvenir qu'il n'avait pas de cadeau pour Kamu. Évidemment, puisqu'il s'agissait de son collègue. Et puis pourquoi lui en avait-il un ?
Kamu lui fit un sourire.
-Quoi que tu m'offres ça sera merveilleux, j'en suis sûr !
Là, à part un bon pour une glace gratuite, il n'avait rien à lui donner.
Commence à te creuser la tête, Nils, où ça va mal finir… Qu'est-ce qu'il pourrait bien lui offrir ? Ca faisait un petit moment qu'il n'avait pas fait de cadeaux à une fille. Mais là, la fille, c'était Kamu. Cela augmentait encore la complexité de la chose.
-On ferait mieux d'y aller, déclara Nils, en prenant la main de son ami et en l'attirant dans la maison.
Dans quelle merde, il s'était encore foutu ?
***
Ils rentrèrent dans la maison et Nils fut tout de suite, intercepté par son père, qui sortait de la cuisine au même moment. Il lui fit un signe.
-Nils, tu peux venir me donner un coup de main ?
Le brun hocha la tête, et se tourna vers Kamu, qui tenait toujours sa main dans la sienne.
-Ca ira ?
-Ne te fais pas de soucis. Tout ira bien.
Nils hésita.
-Si tu as le moindre problème, viens me voir tout de suite.
Kamu passa tendrement la main sur son visage, pour le rassurer.
-Ca ira, je te dis, déclara-t-il. Je vais essayer de tester tout le monde, à nouveau. Ainsi, je pourrais réparer mes erreurs.
Le brun le retint, et l'attira à lui, pour murmurer dans son oreille.
-N'utilises pas toute ta magie…
L'autre se retourna, et déposa un baiser rapide sur sa joue, avant de filer avec un sourire.
-Promis, mon chéri.
Nils posa la main, là où les lèvres de Kamu avait touché sa peur. Plus le temps passait, moins il comprenait. Enfin, ce n'était pas son plus gros problème pour le moment.
Il poussa la porte de la cuisine et retrouva son père.
-Parfaite cuisson du poulet, Nils.
-Si tu le dis…
Il devait avouer que pour le moment, c'était de le cadet de ses soucis.
-Qu'est-ce qui t’arrive ?
Son père avait dû lire l’embarras sur son visage.
-Rien.
-Comme j'ai pas toute la soirée à te consacrer, tu ne voudrais pas me dire la vérité tout de suite ?
Nils soupira.
-Tu vas lui offrir un cadeau à l'autre ?
Son père mit un petit moment avant de répondre.
-C'est Noël. Tu sais très bien ce que ça signifie.
D'accord, François prenait mal la question, y voyant un reproche dissimulé. Pour une fois que ce n'était pas le cas. Là, ce qui intéressait Nils, c'était de savoir ce qu'il allait lui offrir.
-Oui, mais…
-Pas de « mais » ! Tu fais bien un cadeau à Eva, toi ?
C'était à ce moment-là qu'il était censé répondre « oui, bien sûr ». Seulement, il ne pouvait pas mentir pour quelque chose d'aussi grave.
Son père le dévisagea.
-Mais c'est pas vrai. Dites-moi que je n'ai pas un fils aussi bête…
Que pouvait-il dire pour sa défense ? Qu'il n'avait pas eu le temps ? Qu'il n'avait pas d'idées ? Autant dire qu'il n'en avait pas l'envie serait toujours plus convainquant que le reste.
-Tu as oublié son cadeau ? Ou alors, c'était trop te demander de dépenser de l'argent pour elle ? J'ai vraiment honte de toi ! Tu n'es qu'un ingrat !
Nils leva les mains devant lui, pour apaiser son parent.
-C'est pas ça. J'ai pensé à un truc, mais j'aurais besoin de ton accord.
Son père fronça les sourcils.
-Qu'est-ce que tu mijotes encore ?
-Je veux offrir le collier de maman à Eva. Tu acceptes ?
François le regard bouche bée.
-Je ne comprends plus rien… Tu me dis que tu ne veux pas rester avec elle, que c'est passager, et après, tu veux lui offrir le collier de ta mère ? Est-ce que tu peux m'expliquer ta logique, Nils ?
Il n'en avait aucune. C'était juste qu'il venait de trouver cette pirouette pour s'en sortir. Après, Kamu comprendrait sûrement et lui rendrait le bijou.
-J'ai repensé à ce que tu m'as dit. Elle le mérite. C'est moi, qui ne la mérite pas. Du coup, je voulais lui donner quelque chose de fort, d'important pour moi.
-Je vois. Après tout, je te laisse libre de juger. C'est toi qui avais offert ce collier à ta mère.
-Merci papa.
Bon, il avait réussi à s'en tirer de justesse. C'était du grand art, à ce niveau-là.
-Par contre, Nils. Tu te souviens que c'est un collier avec le signe astrologique dessus. Ca ne sera pas un peu bizarre que ce ne soit pas le sien ?
-J'y ai pensé. Elles sont toutes les deux capricornes.
-Moi aussi, déclara une voix qui venait de rentrer dans la cuisine.
Du coin de l'oeil, Nils avisa son frère.
-Oui, mais toi, on s'en fout.
-Sympa...
-Nils parle correctement, le réprimanda son père.
Le brun fit semblant de ne rien avoir entendu.
-Papa, je voulais te dire un truc…
Le regard de Lucas se posa sur son frère et il parut hésiter.
-Attends, mon grand, je suis occupé. Tiens, tu veux bien aller mettre des serviettes sur la table. Alterne une vert, et une rouge d'accord ?
-Oui, mais…
-S'il te plaît, Lucas. Ca fera plaisir à ta mère, si c'est toi qui le fait !
L'autre soupira, et après un dernier regard pour son père, partit, avec son chargement.
Aussitôt, François posa un plat dans les mains de Nils.
-Toi, tu t'occupes de ça.
Le brun hocha la tête, et partit à la suite de son frère. Il n'y avait plus qu'à espérer que personne ne s'était étriper dans la salle à manger. Enfin, tant que personne n'avait touché à Kamu, c'était l'essentiel. Pour les autres, ils pouvaient s’entre-tuer, cela lui était égal.
***
Kamu retourna seule à la salle à manger. Avant même d'y entrer, elle perçut des éclats de voix. Cela commençait à devenir une habitude dans cette maison. Elle ne s'arrêta pas pour autant et entra dans la pièce, mais resta en retrait.
-Bon, je vais le redire encore une fois, comme tu n'as pas l'air de comprendre. Pas de chien à table ! C'est pourtant simple.
Estella lèvres pincées, fixait la nappe blanche sur la table, en gardant Choupette sur ses genoux. Face à elle, Lucas croisait les bras d'un air mécontent. Après quelques instants de silence, il reprit.
-Le chien !
Il désigna la porte.
-Mais le pauvre doudou !
-Le pauvre doudou, il va aller attendre au chaud dans son panier. Le chat n'a même pas le droit de venir dans la salle à manger, alors un chien à table, tu veux que ma mère fasse une attaque.
-Il va être triste.
-Mais bien sûr.
Voyant qu'elle ne bougerait pas, il se saisit de l'animal et quitta la pièce, non sans croiser le regard de Kamu, au moment de sortir.
-Tu es méchant ! cracha sa femme.
Mais elle n'obtint aucune réponse, ce qui visiblement ne lui plu pas.
-Jusqu'au bout, il me prendra la tête ce connard.
Kamu ne pu s'empêcher de froncer les sourcils devant l'insulte. Évidemment, elle lui tournait le dos et ne l'avait pas vu. Elle devait se croire seule. L'espace d'un instant, la mage pensa à lui faire remarquer sa présence, mais finalement n'en fit rien. Mieux valait en parler à Nils avant tout.
Loli rentra dans la pièce, la contempla, avant de déclarer :
-Viens ! Reste pas toute seule.
C'était étrange. Elle venait de lui parler gentiment. Tout à coup, Kamu s'en voulu de lui avoir fait peur.
La sœur de Nils s'approcha de la table, et fixa les noms inscrits. Après hésitation, elle intervertit deux noms.
-Alors on triche, Loli !
Elle sursauta et se mit à crier, alors que son frère la fixait avec des serviettes rouges et vertes à la main.
-Pitié pour nos oreilles.
-C'est pas de la triche. Je ne voulais pas être à côté de Nils et en face de toi. Vous allez encore m'embêter ! Je vous connais !
Son frère s'approcha et tendit le doigt vers ses côtes.
-Mais non. Pourquoi on t'embêterait ?
Elle tenta de reculer, mais il l'attrapa pour la chatouiller.
-Non ! Arrête ! Méchant !
-Tu vois, y a aucune raison qu'on t'embête !
-Je te déteste ! Laisse-moi tranquille !
Elle se débattait tant bien que mal, mais ne pouvait échapper à l'emprise de son frère. Cependant, on voyait bien à son rire, qu'elle ne lui en voulait pas vraiment. Estella leur lança un regard glaçant, avant de siffler :
-Vraiment puérils !
Kamu, quant à elle, les regardait faire, avec le sourire. Elle se souvenait que trop des bagarres avec son double. Du chahut qu'ils faisaient tous les soirs, et de leur père montant les ramener à l'ordre, avec à chaque fois, la menace de leur interdire de dormir dans la même chambre. Il ne la mettait jamais à exécution, mais ils faisaient semblant tous les deux d'avoir peur, pour jouer le jeu.
Il fallait avouer qu'au départ, ils avaient chacun leurs chambres. Seulement comme il y en avait toujours un pour se relever la nuit et aller dormir avec l'autre, leur père avait fini par capituler. Il avait échangé de place l'un des lits et l'un des bureaux, leur donnant ainsi une pièce pour dormir et une pour travailler.
Lorsqu'elle s'était réveillée dans cette petite pièce à l'hôpital et qu'on lui avait dit la vérité. Elle avait cru mourir. Ils ne comprenaient rien. Comme vivre seule lorsque l'on avait toujours été deux ?
Elle reporta son attention sur ce qui se passait devant elle. Si jamais elle ne se contrôlait pas, son surplus d'émotion allait encore ressortir seule. Kamu ne pouvait pas se permettre de se remettre à pleurer devant tout le monde.
Une voix lui vrilla les oreilles.
-Qu'est-ce que c'est que ce bazar encore ?! Vous n'avez rien d'autres à faire ?!
Anne-Laure passa comme une furie devant elle, et s'installa à table. Ses deux enfants baissèrent les yeux, penauds.
-Asseyez-vous !
Loli obéit.
Kamu en profita pour rejoindre sa place, malgré les deux regards qui la fusillaient. Heureusement qu'elle n'était pas un pion sur un jeu d'échec, elle aurait été en plein dans la trajectoire de deux fous ennemis, si tentait qu'ils puissent être sur la même couleur.
-Je devais mettre les serviettes, expliqua Lucas.
-Alors pourquoi tu ne le fais pas ?!
-Désolé, maman.
Il posa une serviette verte, puis une rouge dans l'assiette suivante. Arrivée devant sa femme, il lui tendit une, couleur sapin.
-Hors de question que j'en prenne une de cette couleur, ça ne va pas du tout à mon teint.
Elle prit alors la rouge, dans l'assiette de son mari.
-Tu as déjà le teint gris maladif, ça ne changera pas grand-chose pour toi.
Il soupira.
-C'est vrai que c'est adulte de refuser une serviette, compte tenu de sa couleur. Ce n'est pas comme si je passais mon temps à répéter aux filles que la couleur de la fourchette importe peu. Bel exemple.
Estella haussa les épaules.
-De tout façon, elles dorment.
Serrant les dents, il inversa à nouveau toutes les serviettes. Il n'avait visiblement pas envie de se battre pour ça. Arrivée devant Kamu, il parut hésiter.
Sans attendre, elle se saisit de ce qu'il lui tendait.
-Le vert est la couleur de l'espoir, déclara-t-elle avec un sourire. J'en aurais bien besoin.
Avant que qui que se soit puisse dire le moindre mot, Maxime et Ben venait de faire leur entrée.
-Coucou, c'est bien ici, pour manger.
Loli lui fit signe.
-Viens, tu es ici, à côté de Nils. Ben serra à côté de toi.
-D'accord.
Ils s'installèrent au moment, où Nils arrivait avec un plat dans les mains, qu'il posa sur la table. Aussitôt, Loli dispersa toutes les verrines entre les assiettes.
-Si tu as terminé avec les serviettes, tu peux aller voir papa, déclara le brun à l'attention de son frère.
Il hocha la tête et fila sans demander son reste. A croire qu'il était soulagé de quitter la pièce.
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