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Quelques pas dans la lumière - LADE
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Le garçon blond se regarda dans la glace, observant l’image nouvelle qu’elle lui renvoyait : celle d’un enfant de douze ans, revêtu d’un uniforme scolaire entièrement blanc d’élève de première année.

Dire que quelques mois plus tôt, il avait arboré l’aspect d’un jeune homme de dix-huit ans !

« Aurean, arrête de t’admirer ! » lança une voix taquine.

Bastian, son frère adoptif – aux yeux du monde, du moins – venait d’entrer dans la chambre. En fait, Aurean était tout sauf un élève attendant sa première rentrée à l’académie des Sept couleurs de la Magie. Il était originaire de Lucid, le royaume de Lumière, où il faisait partie des Gardiens, les êtres les plus prestigieux après la reine Lucida. Il releva sa manche droite, observant pensivement le cercle brillant imprimé dans sa peau, qui symbolisait le lien qu’il partageait avec Bastian et grâce auquel il pouvait demeurer dans le monde humain d’Erastria.

Mais c’était aussi à cause de ce lien avec un garçon de treize ans qu’il avait pris l’apparence d’un enfant d’un an plus jeune. Et il peinait à s’y habituer…

« Allez, viens, père nous attend ! »

Il acquiesça et suivit son attache en direction de la cour de l’hôtel particulier.

Comme les autres membres des Hautes Lignées, la famille de Bastien vivait dans une luxueuse demeure de pierre blonde, dans les quartiers les plus favorisés de la ville. Aurean avait reçu sa propre chambre, aussi vaste et richement meublée que celles des deux fils de la maison, mais il se sentait perdu dans tout ce luxe. Il regrettait les appartements chaleureux de sire Alleman, sa précédente attache.

Le père de Bastian, Eveas de Trente, le traitait avec un respect emprunt de froideur qui lui rappelait impitoyablement que sous sa couverture de fils adoptif de la famille, il n’était qu’un étranger qu’on ne tolérait que par nécessité – sauf pour Bastian, bien sûr, qui le considérait comme un frère, au déplaisir visible de ses parents.

Il attrapa sa sacoche et grimpa dans la voiture à cheval dont Eveas avait lui-même pris les rennes. Il avait déjà eu l’occasion de visiter l’académie avec sire Alleman, qui occupait la position de précepteur de l’École jaune de la Transmutation.

Sur le chemin, Aurean éprouva une bizarre appréhension. Certes, personne ne le reconnaîtrait comme l’ancien « assistant » de sire Alleman, mais pas mal de regards s’attarderaient probablement sur lui. La rumeur selon laquelle les Trentes avaient adopté un jeune garçon avait fait le tour de toute la bonne société de Reylissane. Et pas de la façon la plus bienveillante !

Il avait tenté de trouver une histoire plausible pour expliquer ses origines : des parents issus des Hautes Lignées, de vagues cousins des Trente installés à l’étranger et subitement décédés. Mais il se doutait bien que tout le monde ne serait pas convaincu… Que certains prétendraient en douce qu’il était le fils illégitime d’un mage de Reyliss, peut-être même d’Eveas de Trente. À cette pensée, Aurean sentit sa gorge se serrer. Il n’était pas sûr de rester à l’aise au milieu de tant d’humains ! Serait-il capable de se conduire conformément à son âge supposé, sans se trahir d’une façon ou d’une autre ?

Enfin, le véhicule s’immobilisa ; devant eux se dressait l’académie des Sept couleurs, avec ses huit tours, dont les toitures teintes différentes révélaient la destination. Une pour chaque école de magie, et celle, plus imposante que les autres et couronnée de blanc, qui abritait la direction de l’établissement. Aurean observa nerveusement les élèves qui se pressaient devant les portes encore closes. Une foule d’enfants et d’adolescent vêtus de blanc, pour les plus jeunes, tandis que leurs aînées arboraient les uniformes aux couleurs des sept écoles : le rouge du Combat, l’orange de la Création, le jaune de la Transmutation, le vert de la Vie, le bleu de l’Esprit, l’indigo du Temps, et le violet du Rêve. La scolarité durait cinq ans, au fil desquels les jeunes mages se spécialisaient toujours un peu plus dans leur voie de prédilection, sous la tutelle des précepteurs.

La première année d’étude servait à leur inculquer les rudiments pour employer leur Lumière, source de leurs pouvoirs, mais aussi à déterminer leur Couleur principale de Mag

À leur sortie, ils intégraient le plus souvent les postes qui leur étaient réservés dans les administrations du royaume, mais aussi parfois une carrière dans des organismes privés où leurs dons pouvaient se révéler essentiels.

Aurean avait reçu une dispense spéciale pour y entrer à l’âge de douze ans au lieu de treize, ce qui représentait encore une particularité qui risquait d’attirer une curiosité mal venue.

Il descendit à la suite de Bastian, attentif à demeurer près de lui. D’un point de vue extérieur, il devait ressembler à un enfant collant craintivement à son aîné… Mais dans les faits, il lui tenait lieu de garde du corps, censé le protéger de tout danger. Bastien était l’un des très rares mages – voire le seul de sa génération – à pouvoir utiliser toutes les Couleurs de magie à puissance égale. Mais ce don devait rester un secret absolu… Dans certains milieux clandestins, on parlait du retour possible des Ombres… Les créatures issues du royaume de Penumbra, le rival de Lucid, contre lequel les siens avaient âprement guerroyé.

Enfin, les doubles portes s’écartèrent pour admettre dans la cour de l’établissement la foule des élèves. Aurean observa comme s’il les voyait pour la première fois la galerie aux colonnades immaculées, les longues rangées de fenêtres, le balcon de la tour blanche qui semblait suspendu dans les airs… Il se sentait soudain les jambes flageolantes. Il avait beau avoir vécu bien des expériences plus traumatisantes, en particulier lors de la guerre contre les armées des Ombres, tout ceci ne représentait plus pour lui que de vagues souvenirs qui ne pouvaient rivaliser avec cette situation effrayante.

Quelqu’un le percuta par-derrière. Il se retourna pour se trouver face à un garçon de troisième ou quatrième année, qui le dépassait d’une tête et portait l’uniforme orange des mages de la Création.

« Qu’est-ce que tu fais planté dans le passage, microbe ? »

Aurean releva la tête ; son indignation repoussa pour un temps son appréhension :

« C’est toi qui m’es rentré dedans !

— Tu n’avais qu’à bouger, comme tout le monde. Pour la peine, excuse-toi ! »

Le côté combattant d’Aurean reprit le dessus avec une vigueur insoupçonnée. Il sentit sa lumière monter en lui ; il devait la réprimer pour éviter de faire apparaître entre ses mains son arme de prédilection. Il n’était pas là pour châtier les autres élèves, même s’ils se montraient désagréables ou arrogants !

Son adversaire prit son air déconfit pour de la crainte :

« Je crois que tu as mérité une leçon, l’avorton !

— C’est plutôt toi qui en as mérité une, Balquis ! »

L’élève de l’École orange vit débouler un garçon de première année, déjà aussi grand que lui. À la vue de son allure athlétique et de son regard flamboyant, Balquis préféra battre en retraite, l’air dépité.

« Certains n’ont vraiment pas d’honneur », déclara le nouveau venu avec véhémence.

Dans la bouche de quelqu’un d’autre, de telles paroles auraient pu paraître un peu ridicules, mais il y avait chez lui quelque chose de chevaleresque qui plut immédiatement à Aurean. Il rencontra des yeux bruns et chaleureux dans un visage avenant et souriant, sous une tignasse rousse qu’il avait visiblement renoncé à dompter. Il lui tendait la main avec solennité :

« Eymeri de Vaste !

— Aurean de Trente.

— Ah oui ! Tu es le frère adoptif de Bastian, c’est bien ça ? »

Le Gardien se crispa, s’attendant au pire, mais Eymeri poursuivit sur le même ton enjoué :

« Je suis heureux de te rencontrer ! J’espère que tout se passe bien dans ta nouvelle famille ! »

Le côté ouvert et direct de son nouveau camarade rappela à Aurean le Gardien rouge du Combat, Rufus.

« Tu as déjà réussi à te faire remarquer, Eymeri ? lança ironiquement un garçon aux yeux verts qui s’était arrêté pour écouter leur conversation.

— Yllias, dis plutôt que tu es jaloux de ne pas avoir rencontré Aurean avant moi, rétorqua le roux en haussant les épaules.

— Il faut toujours que vous vous cherchiez, soupira un élève rondouillard au regard intelligent.

Le Gardien les observa avec curiosité : en dépit des piques échangées entre eux, il devinait qu’Eymeri et Yllias se connaissaient depuis longtemps et devaient sans doute plus s’apprécier qu’ils tentaient de la faire croire.

« Vous étiez ici, s’écria une petite blonde qui paraissait encore plus jeune que lui. Je vous ai cherchés partout ! Je viens de parler avec une élève qui vient d’intégrer l’Académie, comme nous ; mais elle a au moins quinze ans ! C’est une compagnonne. Elle semble très gentille, mais comme tout le monde la boude en raison de ses origines, elle s’est retrouvée toute seule dans son coin. Ce serait bien de lui montrer qu’elle est aussi la bienvenue ! »'

Les compagnons, des enfants de roturiers dotés de pouvoirs magiques, étaient considérés comme inférieurs par la bonne société. Aurean sourit en se disant que si ce singulier petit groupe pouvait apprécier une compagnonne, peut-être qu’ils en feraient de même pour lui !

« Tu étais là ; Aurean ? J’ai eu peur que tu te sois perdu ! »

Il se retourna pour apercevoir Bastian ; son expression témoignait de l’inquiétude qu’il avait dû ressentir et ne le trouvant plus à ses côtés.

« Bonjour Eymeri ! Je vois que tu as retrouvé Yllias, Fontain et Kaeli ? »

Le Gardien se sentit de nouveau mis de côté. Les jeunes gens, dont les familles devaient se fréquenter, se connaissaient visiblement depuis longtemps… Il en ressentit un léger pincement au cœur, sans comprendre pourquoi. Après tout, il n’était pas humain. Sa véritable vie était à Lucid, pas à Erastria…

« Vous avez déjà rencontré Aurean ? C’est super ! »

La sonnerie retentit. Les élèves se hâtèrent de rejoindre la longue rangée des première année.

S’installer dans une salle de classe représentait une expérience nouvelle pour le Gardien. Le personnel de l’académie attribuait les places dans le vaste amphithéâtre. Il s’était retrouvé entouré d’inconnus. Heureusement, les enfants étaient bien trop préoccupés par leur premier cours pour faire attention à lui. Il s’agissait d’une leçon d’histoire, dispensé par une jeune femme aux cheveux noirs, revêtue d’un uniforme masculin : dame Ledelian, la préceptrice de l’École bleue de l’esprit. Quand elle aborda les grandes guerres entre l’Ombre et la Lumière, certains élèves autour d’Aurean se mirent à pouffer :

« Comme si on allait croire à cela ! »

Le garçon blond soupira : il était la preuve vivante que cette histoire était vraie, mais il ne pouvait hélas révéler sa présence sur Erastria. Pour une obscure raison, le Haut Conseil de la Magie avait proscrit tout lien avec les Lucidiens.

Aurean trouva passionnant d’explorer le point de vue des humains sur ces événements du passé. Lui-même n’en retenait plus qu’une vision très formelle, sans doute en raison des siècles écoulés…

Quand le cours cessa, la coche du midi retentit. En sortant de la salle, il se sentit un peu perdu ; Bastian allait retrouver ses amis. Le lien risquait de se briser s’ils s’éloignaient trop l’un de l’autre, mais Aurean n’avait aucune raison de rester collé à lui, à partir du moment où ils demeuraient dans le même quartier. Malgré tout, le peu de contacts qu’il avait eu avec ce sympathique groupe d’adolescents lui laissait un sentiment doux-amer. Il aurait voulu lui aussi partager ce type de camaraderie. il n’entretenait pas ce genre de relation avec ses frères et sœurs de Lucid. Pourtant, il ressentait une bizarre nostalgie à cette pensée…

Un peu mélancolique, il se dirigea vers le réfectoire, suivant le flot des uniformes blancs.

« Aurean, qu’est-ce que tu fais tout seul ? Il fallait nous attendre ! »

Il se retourna pour apercevoir Eymeri, qui précédait le petit groupe. Même en regardant bien, il ne vit nulle part Bastian. À son interrogation silencieuse, le garçon roux pouffa de rire :

« Sa voisine lui a beaucoup plu et ils vont déjeuner ensemble… On va les laisser roucouler, mais ce n’est pas une raison pour que tu restes seul, non ? »

Aurean opina, curieusement soulagé. Son attache les croisa, accompagné par une jolie jeune fille aux traits aigus et aux longs cheveux argentés. Il leur adressa un signe de la main avec un sourire rêveur. Eymeri pouffa de rire, tandis qu’Yllias, qui le suivait de près, levait les yeux au ciel :

« Quel joli cœur, celui-là…

— Dis plutôt que tu es jaloux ?

— Moi ? Tu rêves ou quoi ? »

Kaeli se glissa à côté de lui, Fontain sur ses talons :

« Quels enfants ces deux-là ! Toujours à se chamailler ! Ça te dirait de retrouver la fille dont je t’ai parlé ? Elle a accepté de nous rejoindre ! Elle a vraiment l’air de quelqu’un de bien ! »

Plongé dans le flot de paroles de Kaeli et les chamailleries d’Yllias et d’Eymeri, Aurean aurait pu se sentir agacé, mais il découvrait un étrange sentiment d’appartenance qui lui réchauffait le cœur. Il souhaita qu’à terme, il pourrait en devenir un membre à part entière, et non « le frère adoptif de Bastian ».

Il ignorait ce que l’avenir lui réservait, mais il espéra que ce séjour sur Erastria lui ménagerait d’autres bonnes surprises.


Texte publié par Beatrix, 25 septembre 2018 à 23h56
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