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tome 1, Chapitre 9 « Le septuaire » tome 1, Chapitre 9

Mickolas

Mickolas ne s’était pas attendu à tomber sur un mystère en accompagnant le fils de son seigneur à ce tournoi. Un empoisonnement, et une disparition : il ressortait du donjon avec le cœur plus lourd qu’à leur arrivée. On n’employait que rarement ces méthodes sur les terres dont il était originaire, le Nord voisin. Les hommes y étaient plus francs et directs : si on s’estimait en conflit avec quelqu’un, c’était les armes à la main qu’on allait régler ses comptes. Pas avec des poisons comme chez les vipères Dorniennes.

C’est donc avec une sombre ardeur qu’il avait accueilli l’invitation d’Eleanne à aller prier au septuaire, comme une respiration bienvenue après une journée chargée en émotions. Non pas que Mickolas fut particulièrement fervent : il avait été éduqué dans la religion des Dieux Anciens, et n’accordait qu’une foi circonspecte au culte des Sept. Il en suivait les offices depuis son installation dans le Val, mais c’était essentiellement pour se fondre dans la culture de sa maison d’adoption. Et puis parce qu’après tout, on ne sait jamais, et que se montrer respectueux envers des dieux supposés bienveillants ne pouvait faire de mal à personne.

La nuit était tombée depuis leur arrivée au château, et sur ces terres proches des falaises de la côte, la température baissait significativement au coucher du soleil. Les visiteurs s’étaient réfugiés sous leurs chapiteaux à l’extérieur de l’enceinte, ou entre les murs de pierre de la forteresse. Le groupe traversa la cour désormais déserte, et n’y croisa qu’un trio d’hommes qui, ayant franchi le pont-levis, se dirigeaient d’un bon pas vers les salles du château. Eleanne les interrogea pour connaître la direction du septuaire, et les deux plus jeunes hommes, qui devaient tous deux avoir dans les vingt-cinq ans, partirent d’un grand rire connivent. Le plus grand des deux portait une élégante tenue blanche, et malgré sa bonhommie, arborait une évidente forme de dignité ; l’autre, teint frais et air malicieux, lui lança sans ambages :

« Non ma Dame, j’ignore où sont vos Sept ! Mais si vous êtes prête à réviser vos chiffres, vous en avez déjà trouvé trois, là, et je suis tout prêt à vous montrer les deux miennes ! »

Un nouvel éclat de rire, redoublé en voyant l’expression stupéfaite de la septa, et les deux hommes reprirent leur marche vers le perron, tandis que le troisième s’approchait du groupe. Celui-ci, qui était suffisamment âgé pour être leur père, avait le crâne entièrement dégarni, le visage parfaitement glabre et des yeux clairs empreints de sagesse.

« Veuillez nous pardonner, ma Dame. Nous ne suivons pas cette voie, mais cela ne doit pas vous empêcher de trouver la vôtre ; je crois savoir que le septuaire se trouve dans cette aile du château, à droite. »

Les yeux de la septa avaient retrouvé leur écarquillement ordinaire, et elle répondit à ces propos apaisants par un sourire conciliateur.

« Je vous remercie, Messer. »

L’homme cligna des yeux avec douceur et sourit à son tour. Tout dans son expression respirait la sérénité et la bienveillance.

« Je suis le seigneur Willard Fingal, et ces deux malappris sont mes fils, Wallace et Logan. Nous venons de Catharcoir, de l’autre côté de la Morsure, par-delà les Trois Sœurs. »

Ce fut au tour de Mickolas d’ouvrir de grands yeux. Ces trois-là venaient donc comme lui, du Nord ; ils avaient dû faire un bien long voyage pour participer au tournoi, et endurer le souffle des vents glacés pour traverser la bien nommée Mer Grelotte. Lord Alleister Wight avait donc étendu ses invitations au lointain voisinage, et ses ambitions se révélaient dès lors dépasser celles de l’organisation d’un simple petit événement local.

« Permettez-moi de vous présenter le fils de notre seigneur, Ser Grey Archelon, ainsi que son maître d’armes, Ser Mickolas Longueroche ; notre maître veneur, Edoyn. Et vous pouvez m’appeler Septa Eleanne », répartit la septa, interrompant sa réflexion.

« Je me souviendrai de vous », promit le seigneur avec un modeste hochement de tête, avant de quitter leur compagnie sur un dernier sourire courtois.

Eleanne se tourna vers Grey pour obtenir son assentiment, puis dirigea le groupe vers l’emplacement désigné par le seigneur Nordien.

Le septuaire, un édifice à sept côtés mais de dimensions modestes, était parfaitement intégré à l’architecture du lieu et aurait pu passer pour n’importe quel autre bâtiment de fonction. Ils y pénétrèrent par une double porte de bronze gravée de figures représentants les sept dieux, laissée largement ouverte pour inviter tous les visiteurs du château à y entrer. A l’intérieur, conformément à la tradition, étaient disposés de petits autels, un par pan, ornementés de sculptures de différentes tailles représentant les dieux auxquels chacun était dédié.

Une poignée de visiteurs étaient déjà présents, et ils furent arrêtés dès l’entrée par un mastard, plus grand que Mickolas lui-même qui avec son mètre quatre-vingt-cinq passait pourtant usuellement pour un colosse. L’homme, qui arborait un tabard vermillon par-dessus une cotte de mailles intégrale, était visiblement un garde, mais Mickolas sut dire immédiatement qu’il n’appartenait pas à la maison de leur hôte. Deux autres visiteurs dont le manteau était du même rouge sombre que le sien se trouvaient dans le bâtiment : selon toute vraisemblance, c’étaient les seigneurs dont il assurait la protection.

Le plus proche des deux était une jeune femme aux cheveux clairs, qui avait quitté sa posture de prière dès leur entrée ; sa vigilance trahissait une certaine superficialité dans son recueillement, ce qui déplut à Mickolas. La jeune femme s’était tournée pour leur faire face, et Mickolas fut frappé par l’écho que produisait sa silhouette gracieuse en regard de la statue de la Jouvencelle devant laquelle elle se tenait à présent debout. De longs cheveux d’un châtain doré couraient jusqu’au creux de ses reins, encadrant un visage aux traits délicats, de grands yeux émeraudes et une bouche petite, aux lèvres pleines. Son port de tête était celui d’une reine ; celui d’une femme belle et puissante -et qui le savait.

Mickolas ne put détacher son regard de sa figure tandis qu’elle s’approchait d’eux. Lorsqu’elle se tint finalement à côté de son garde personnel, là où d’autres jeunes femmes auraient soudain eu l’air d’enfants du simple fait de la différence de taille, celle-ci maintint sa prestance et son aura intactes. Reprenant sa respiration comme s’il l’avait suspendue depuis leur entrée, Mickolas s’aperçut soudain que sa main s’était également crispée sur la poignée de son épée, justifiant peut-être par-là l’attitude ouvertement hostile du garde.

« Etes-vous la septa du château ? », interrogea-t-elle d’une voix contenue, pour ne pas perturber le recueillement des autres visiteurs.

« Non ma Dame, » répondit respectueusement Eleanne, mais sans s’incliner. « Je sers la maison Archelon, dont voici l’héritier, Ser Grey. »

Le jeune Grey s’avança pour prendre la lumière, offrant à cette femme qui ne devait avoir qu’un ou deux ans de plus que lui l’un de ses francs sourires qui lui valaient habituellement la sympathie immédiate de ses interlocuteurs.

Celle-ci ne parut guère impressionnée.

« Je suis Lady Theodora Palamede, de Oestgard », offrit-elle en réponse après un instant de flottement. « Il semble que ce château possède un septuaire, mais pas de septon. »

Elle avait dit cela comme s’il s’agissait d’un manque de distinction.

Carapace, la forteresse des Archelon, abritait une septa, mais pas de septuaire. Qu’en aurait dit la donzelle ?

Grey s’abstint toutefois d’en faire mention, et conserva son sourire intact.

« Il n’est nul besoin d’un septon pour se recueillir, comme en atteste notre présence à tous ici », offrit-il en ouvrant largement les bras pour embrasser du geste l’ensemble des présents. « Votre époux prie-t-il le Guerrier de lui accorder la gloire d’une victoire au tournoi ? », ajouta-t-il en portant son regard sur l’homme au manteau vermillon qui restait recueilli au pied de ladite statue. La vue perçante malgré la pénombre, Mickolas observa qu’un aigle doré aux ailes déployées s’étalait sur la largeur de sa cape.

« Demetrios est mon frère, Ser », indiqua la jeune Dame. « Il concourt au tournoi, mais ce n’est pas lui qui l’emportera. »

Les sourcils de Mickolas se haussèrent.

« Pourquoi dire cela ? », ne put-il s’empêcher de laisser échapper, frappé par ce manque de considération -et proférant ce que les autres s’étaient sans doute contentés de penser en silence.

Le sourire de Theodora trahit son contentement, et une sorte de goût pour le triomphe écrasant.

« Parce que c’est Lord Elias Palamede qui l’emportera, naturellement ! Mon frère aîné. Il a la meilleure monture, la meilleure armure, et le bras le plus sûr. Nul ne pourra le défaire. »

« Vous me permettrez d’essayer néanmoins, ma Dame ! »

Grey avait répliqué d’un air badin, comme s’il trouvait dans cet échange le plaisir d’une première confrontation de moindre enjeu. Theodora sourit du coin des lèvres.

« Libre à vous, messer. Mais priez ce soir que les Sept vous tiennent éloigné de lui dans le tableau de la compétition, si vous êtes venu pour y briller. »

Grey haussa les épaules.

« Il existe maintes façons de remporter des victoires. Le tournoi n’est pas tout, et vous avoir rencontré est déjà une faveur que m’ont fait les Dieux, ce soir. »

Mickolas leva les yeux au ciel. Voilà que son jeune seigneur se prenait à courtiser une Dame à peine rencontrée, et de visiblement plus haute ascendance que lui. Mais la donzelle se détourna, faisant mine de chercher son frère du regard.

Le physique et le statut de Mickolas lui valaient généralement un bon accueil auprès des femmes. Mais il avait déjà eu l’occasion d’observer ce genre de réaction chez des villageoises ou des servantes hautaines comme cette Theodora, et le message était clair à ses yeux : pas intéressée.

Il espéra que le signal serait aussi clair pour le jeune homme et qu’il ne s’entêterait pas dans sa manœuvre.

Pour enfoncer le clou, elle mit de toute façon fin à l’entrevue en s’adressant ensuite à son colosse de garde :

« Bien, Ser Amyntas, je pense que mon frère saura regagner ses quartiers seul. Raccompagnez-moi donc à ma chambre ; il nous faut nous préparer pour le banquet de Lord Alleister. Nous occupons tout de même la place d’honneur. »

Et sans se départir de sa morgue, elle prit le chemin de la sortie sous les regards effarés de ses interlocuteurs. Mickolas secoua la tête et posa paternellement sa large paume sur l’épaule de Grey pour l’inviter à passer à autre chose. Après un raclement de gorge embarrassé, celui-ci fit signe à sa septa de poursuivre la visite qu’ils étaient venus effectuer. Tandis qu’Eleanne conduisait Grey vers le plus proche autel pour un circuit qui les conduirait tour à tour devant chacun des Sept, Mickolas se dirigea directement vers la statue du Guerrier, devant laquelle se trouvaient déjà plusieurs autres chevaliers.

Parmi eux se tenait Demetrios Palamede. C’était un jeune homme au visage aussi glabre que celui de Mickolas était barbu. Ses cheveux bouclés qui descendaient jusqu’aux épaules avaient la même teinte châtain tirant sur le doré que ceux de son exquise sœur ; il paraissait plongé dans une prière des plus ferventes, les yeux clos et ses lèvres formulant sans bruit ses vœux au dieu des combattants.

Peut-être n’avait-il pas tout à fait abandonné l’idée de battre son frère ainé, pour sa part. Mickolas jugea que ses chances de l’emporter augmenteraient davantage s’il s’entraînait encore et encore avant la compétition, plutôt qu’en suppliant une force supérieure de bien vouloir lui accorder la victoire.

C’était peut-être la confirmation que Demetrios lui-même ne croyait pas vraiment pouvoir triompher de son frère, et qu’il en était réduit à espérer un miracle…

A sa droite se tenaient trois hommes aux cheveux aussi noirs que ceux de Mickolas. Leurs traits n’étaient toutefois pas rugueux comme ceux des hommes du Nord, et le maître d’armes se demanda d’où ceux-là pouvaient bien venir. La couleur jaune du blason qui ornait le dos de leur manteau, sur lequel feulait une chimère noire ailée, ne lui rappelait les armes d’aucune maison du Val qu’il connût. Tous trois semblaient de rang égal, et d’une humble noblesse : leur mise n’avait rien de comparable avec celle, décidément ostentatoire, des Palamede, et était même moins prestigieuse que celle des Archelon. Mickolas se figura que le plus jeune des trois, à peine un homme fait, devait être le fils de l’un des deux autres.

Les quatre chevaliers avaient un genou en terre, la nuque courbée devant la statue en arme du Guerrier. Ne trouvant pas le goût ce soir de prier ce dieu étranger, Mickolas laissa plutôt son esprit et son regard vagabonder, observant oisivement les autres personnalités présentes dans le septuaire.

Edoyn avait pris le relais du précédent garde à l’entrée. Le veneur avait une histoire personnelle compliquée, et sa culture à lui non plus n’accordait pas de place aux dieux des Andals .

Grey et Eleanne avaient atteint l’autel de la Mère, et échangeaient à présent à mi-voix avec une belle dame aux longs cheveux roux. L’air d’une jeune trentenaire, elle avait l’âge de Mickolas, qui la trouva tout à fait à son goût. Mais il s’aperçut que la dame portait au revers de son léger manteau une broche arborant la mystérieuse chimère noire et or : il comprit qu’elle devait être l’épouse de l’un des chevaliers agenouillés devant le Guerrier, sans doute même la mère du plus jeune, et il sut qu’elle ne serait pas pour lui.

Il s’approcha néanmoins du groupe pour apprécier ce doux visage. L’accueillant dans la conversation, Grey la lui présenta sous le nom de Lady Lydia Sewell, des Terres de l’Orage. Mickolas haussa à nouveau les sourcils : Château-Brillant se trouvant dans le nord-est du Val, ces visiteurs venus du royaume au sud du Val avaient parcouru une plus grande distance encore pour rejoindre le tournoi, que les Nordiens de la famille Fingal rencontrés plus tôt.

L’impression que les ambitions de Lord Alleister dépassaient la simple organisation d’un tournoi pour marquer son ascension à la tête de sa maison se confirmait. Pour quelle raison leur hôte avait-il donc convié des voisins aussi éloignés à ses festivités ?


Texte publié par Akodostef, 11 octobre 2018 à 07h57
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