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tome 1, Chapitre 3 « Septa Eleanne » tome 1, Chapitre 3

« Les choses sont-elles destinées à rester à jamais inchangées ? »

« Il n'est de destinée qu'écrite par les Sept », se contenta d'ânonner Eleanne, feignant d'y accorder réellement foi.

La jeune Lexus ne se donnait pas cette peine.

Alors que sa septa s'évertuait à arborer une attitude digne, dos droit et mains délicatement posées sur le bord de table ainsi qu'il seyait, la fille du seigneur Hayden se tenait affalée au fond de son large fauteuil, accoudée à l'un des bras de bois vernis, son menton boudeur calé dans la paume de sa main droite.

Non pas que l'adolescente soit mal éduquée ou ne sache pas se tenir : il n'y avait que lors des leçons avec sa septa, dans l'intimité de cette pièce où ne pénétraient jamais qu'une poignée d'autres serviteurs, qu'elle se permettait de quitter l'apparence de modestie, de discrétion et de respectabilité qui était attendue de toute jeune fille de seigneur, et qu'elle savait parfaitement maintenir en présence de tout autre.

Lexus avait depuis la petite enfance calqué toutes ses attitudes sur celles de sa mère, qui avait été en la matière un exemple des plus admirables. Ce n'est qu'à la mort de cet être révéré, chéri entre tous, que le seigneur Hayden Archelon avait souhaité qu'une septa rejoigne le château familial pour poursuivre l'éducation de ses trois enfants, et surtout de sa fille, restée sans modèle.

Ainsi était arrivée deux ans plus tôt à Carapace la jeune septa Eleanne, qui n'avait en réalité pas grand-chose à apprendre à la brillante fille du seigneur : cultivée, vive, et parfaitement éduquée, Lexus n'avait potentiellement pour défaut que celui d'être trop lucide dans un monde où le sort réservé aux femmes -et aux filles de seigneurs comme aux autres- n'était guère enviable.

« Me faudra-t-il épouser un homme dont je ne connaîtrai rien et qui ne me connaîtra pas davantage ? Le hasard choisira-t-il pour moi l'homme avec lequel je devrai passer le reste de mon existence ? »

« Le hasard, point. C'est votre père qui choisira pour vous, et pour le bien de votre maison. Mais vous savez comme il vous chérit. »

Il était presque étonnant que Lexus s'inquiète du seigneur qui deviendrait son époux, étant donné l'exemple que ses parents auraient dû constituer pour elle, eux qui s'étaient sincèrement aimés jusqu'aux dernières heures de la maladie qui devait emporter Dame Genna.

Hayden Archelon était un seigneur bienveillant et un homme affable. Il avait aimé son épouse comme il aimait ses enfants, et Eleanne aurait été plus que surprise que celui-ci choisisse pour son unique fille un époux qui ne convînt qu’aux intérêts de sa maison.

« Comment naissent ces règles absurdes, qui font qu'un héritier est désigné par l'heure de sa naissance et pas par sa capacité à diriger ? Pourquoi suis-je jugée a priori moins capable que mes frères à cause de mon sexe ?»

C'étaient là deux questions bien distinctes, mais qui étaient néanmoins pertinentes l'une comme l'autre dans le cas de Lexus, deuxième née, et de sexe féminin, deux critères qui la condamnaient à ne jouer pour sa famille qu'un rôle subalterne.

« La domination physique des mâles a permis d'asseoir ces principes à une époque où la force faisait loi ; et nous continuons de les observer aujourd'hui, comme si nous étions encore des sauvages et des barbares ! L'intelligence et la compétence ne devraient-elles pas l'emporter dans un royaume civilisé ? »

Lexus avait déjà abordé ce genre de questions avec Eleanne, qui ne voyait pas plus à présent qu'alors d'argument à opposer que celui de la place attribuée à chacun dans la société pour assurer son bon fonctionnement, sur le modèle des Sept aspects de leurs dieux.

« Ainsi, les femmes suivent-elles la figure de la Jouvencelle, jusqu'à ce qu'arrive l'heure de devenir à leur tour incarnations de la Mère », conclut-elle après un court sermon.

Lexus plissa aussitôt les yeux, et Eleanne comprit que la sagace jeune femme saisissait parfaitement le rôle joué par la religion dans la perpétuation des usages voulus par ceux qui détenaient le pouvoir. Sa raison lui faisait bien souvent manquer de foi, et il aurait dû être du rôle de la septa de la ramener dans le droit chemin dicté par l'église ; mais Eleanne se trouvait régulièrement à court d'arguments pour défendre une tradition qu'elle n'avait elle-même embrassée que bien tard, par nécessité et sans réelle conviction. Elle opta astucieusement pour une stratégie de contournement, en évitant le fond du sujet.

« Votre préoccupation me semble plus vive aujourd'hui que d'ordinaire. Auriez-vous appris quelque projet de votre père en matière de mariage ? »

Depuis la mort de sa mère, Lexus s'était sensiblement rapprochée de son père. Elle se glissait régulièrement à ses côtés dans son bureau pour y prendre connaissance des affaires qui l'occupaient et suggérait même parfois des propositions sur la meilleure façon de les gérer ; Eleanne savait que Lord Hayden s'en était effectivement parfois inspiré.

Eleanne avait même déjà surpris Lexus seule dans la pièce, assise dans le fauteuil de son père, à lire ses correspondances.

Comme si Eleanne était sa confidente plutôt que sa préceptrice, Lexus ne lui dissimula rien de son forfait.

« Père a reçu un courrier de l'un de nos voisins de l'est du Val », lui glissa-t-elle sur le ton du secret en s’avançant dans son fauteuil.


Texte publié par Akodostef, 28 septembre 2018 à 21h01
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