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Je suis mort il y a longtemps.

Combien de temps ? Je ne sais plus. J’ai oublié.

Des images me reviennent, souffles fugitifs ; un nom, Julius. Était-ce le mien ?

Je flotte, ombre portée par le vent.

Mon compagnon du moment a aimé. Il a ri aussi. Ses pensées, filaments sinueux, sont des paysages semés de nuages cotonneux, des rires d’enfant, la tendresse d’une mère et d’une femme. Ses souvenirs m’apaisent.

Julius ? Est-ce certain ?

Dans un jardin public, un homme joue avec des gamins. Il frémit, s’arrête un instant. Un petit blond s’approche. Ses lunettes en écailles lui donnent des allures de notaire. « Papa, tu rêves ? Allez, lance le ballon ! » Ils reprennent leur jeu.

Sans doute, nous sommes plus présents dans ces vacillements, ces instants suspendus où l’enfant s’interroge, où la jeune femme oublie son parapluie, là, sur le banc, où la grand-mère s’assoupit au creux du fauteuil, celui qu’aimait son mari, se rappelle juste avant de sombrer dans le sommeil qu’il appréciait les dattes. Le commerçant d’en bas ne les vend plus. C’est bien dommage.

Des paysans labourent un champ près d’une rivière. Certains dorment à l’abri de huttes sommaires. Des adolescents joyeux jouent sur des bottes de foin, les cheveux mêlés de paille et de crin. Ils chahutent. Rient. À leurs côtés, sur le talus, ondoient d’autres ombres, paisibles, de vieilles ombres installées aux abords de ce champ depuis des siècles. Elles ont trouvé leur place, semble-t-il. Des ombres sédentaires, sourit mon compagnon.

Peut-être sommes-nous dans l’élan qui suit le départ. Pas encore sereins. Curieux d’une vie qui n’est plus la nôtre. Nous flottons plus avant, sinuons dans l’azur gris de lin.

Dans un champ de coquelicots, un couple s’enlace. Ils sont seuls. Seuls et heureux. Je me penche sur leurs épaules. La femme frissonne. Je m’éloigne.

Un lac, deux cygnes. Nous nous approchons. Les oiseaux s’ébrouent puis nous regardent avec curiosité. Les cygnes. Pourquoi eux ? Les seuls à nous voir. Et aucun autre. Nous les saluons puis poursuivons notre route.

Près du lac, une maison de bois. Une femme sort de l’eau, elle est nue et elle rit. L’homme assis sur la terrasse lui fait un signe de la main, aiguise son crayon, trace une ligne sur un cahier. La hanche de la femme. Il a du talent, son trait est précis.

Ils ne nous entendent pas, pense mon compagnon.

Nous les entendons tous.

La femme s’approche, embrasse l’homme sur les cheveux. Je la connais. Pensées fluctuantes. Je la connais. Esther ? Continuons, dit l’ombre à mes côtés. Un soleil rouge embrase les nuages. Esther ? Et soudain elle me regarde. Vacille. Prononce un mot : « Julius ? » puis retourne à sa tâche.

Était-ce mon nom ? J’ai oublié sans doute. Et pourtant, cette envie de sourire.

Nous nous éloignons.

Portés par le vent.


Texte publié par Jonas, 16 juillet 2018 à 10h50
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