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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

Installée sur la colline aux mirages, une petite bâtisse en pierre trônait, fière et droite. Le toit de tuiles rouges se prolongeait au-dessus d'une petite cour intérieure et abritait une table et quatre chaises en fer ; des volets bleus protégeaient la maison du soleil de midi, ne laissant filtrer que quelques rayons de lumière chaleureux. À l'intérieur, de nombreux tapis recouvraient le sol de pierre et paraient les murs de couleurs chatoyantes.

Dans la pièce centrale, Nasime avait installé un ces lits royaux : plus large que les lits doubles, il lui permettait de se lover au milieu de plusieurs draps soyeux et chauds en hiver, ou de s'étaler de tout son long lors des étés chauds. Une table et un siège en osier encadraient la pièce maitresse du salon qui servait aussi de chambre ; dans un coin, une grande bibliothèque accueillait des quantités de rapports de mission, ainsi que quelques photophores qu'on allumait lors des soirées d'hiver. De l'autre côté de la pièce, une grosse commode supportait le poids d'un miroir centenaire qui avait appartenu à la grand-mère de Nasime. Tout en bois travaillé, il était recouvert d'une fine feuille d'or encore intacte.

La Lieutenante Nasime Elkehab vivait seule dans cette petite maison isolée au sommet de la colline aux mirages. Les autres habitations étaient regroupées sur le flanc sud, à un kilomètre de là. Mais le soldat qui avait grandi en elle l'avait poussée à acheter cette maison plus qu'aucune autre. Elle y avait donc installé toutes ses affaires lorsqu'elle y avait emménagé et quitté le nid familiale sept ans plus tôt, une fois diplômée de l'École militaire du Sultanat. Ses parents avaient trouvé cette idée saugrenue, puisque la bâtisse avait appartenu à un vieux fou qui se prétendait chaman et qui criait à qui voulait l'entendre qu'ils avaient bâti leur village sur un cimetière.

Si la colline aux mirages portait ce nom c'était dû aux dizaines de personnes qui avaient parlé de fantômes et raconté l'histoire d'un homme bleu se mouvant étrangement – comme s'il dansait pour un dieu, au clair de lune. Personne n'avait cru à ces fables, mais les vieilles personnes continuaient de les enseigner aux jeunes qui n'approchaient alors que rarement de la maison de Nasime.

Chose qui l'arrangeait plutôt, puisqu'elle bénéficiait ainsi d'un terrain conséquent bordé d'arbres, et d'un promontoire avec vue soit sur le village, soit sur la grande cité El-Nemira ou sur le Désert Sans Fin. Parfois, lorsque le soleil cédait sa place à la lune d'été, Nasime s'installait sur des rochers à la lisière de son terrain, et contemplait la limite entre le désert et la civilisation du Sultanat. Le sable venait s'échouer sur une terre sèche qui devenait progressivement meuble et verdoyante, mais les kilomètres qui séparaient la ville du désert se perdaient un peu plus avec le temps. La grande cité avait été bâtie plus de deux-cents ans auparavant, quand le sable était encore très loin. Cependant, les historiens et les géographes avaient constaté l'avancée significative des terres arides quelques vingt ans plus tôt et le processus semblait s'accélérer de mois en mois.

Depuis quelques temps, la Sultane Riya II montait un projet important qui consisterait en la cartographie exacte du Désert Sans Fin, afin de déterminer jusqu'où s'étendait cette terre inconnue ; seulement, la Sultane souhaitait aussi que l'on découvre le fin mot de cette histoire. Si quelqu'un avait mis au point une technologie avancée afin de lui voler la terre de ses ancêtres, elle ne permettrait pas qu'il puisse continuer impunément.

Alors Nasime avait été désignée comme chef d'équipe quelques semaines plus tôt. Elle avait d'abord refusé cette mission, elle ne voulait pas quitter son travail en ville et préférait de loin laisser cela à quelqu'un d'autre. À trente ans, elle jugeait ne pas avoir l'expérience requise pour aller protéger des civils sur un terrain qui lui était complètement inconnu. Malheureusement, elle avait été chaudement recommandée par ses supérieurs et la Sultane avait suivi les conseils de ses hauts-gradés. Personne ne pouvait refuser à Riya ce qu'elle voulait, alors Nasime n'avait pas d'autre choix que de s'exécuter.

Ce matin-là, le soleil entamait lentement sa course dans le ciel aux multiples nuances de bleu et de rose. La jeune lieutenante était assise au bord de son lit, là où les premiers rayons de lumière du jour s'échouaient pour éclairer la petite pièce, illuminant ainsi sa peau métisse. Entre un père à la peau noire et une mère au teint olive, Nasime se retrouvait avec une peau métissée qui lui paraissait être le juste milieu entre les racines de deux peuples qui avaient trouvé refuge sur leur île, des centaines d'années plus tôt.

Quelques tresses fines et courtes glissèrent sur sa joue et un profond soupire quitta la bouche de la jeune femme. Elle était toujours assise au bord du lit, les yeux dans le vague, réfléchissant à cette mission. Quelle riche idée encore, pensa-t-elle. Dans un effort venu du fond de ses tripes, la lieutenante souleva sa carcasse d'un mètre septante, faite de muscles souples.

— Tu bosses quelques mois dans le désert, puis tu retrouveras ta place. C'est simple. Sois efficace, concentrée et fais ton travail, se sermonna-t-elle.

Un raclement de gorge plus tard, Nasime se dirigeait dans la salle d'eau où elle prit une douche tiède. Le carrelage au sol et au mur était beige, mais quelques-uns des carreaux sortaient du lot par leurs peintures. Sa mère avait tenu à ce qu'elle emporte ces jolis carreaux qu'avaient achetés son père. Dessus avaient été peints des symboles anciens que seuls les historiens pouvaient connaitre ; ils voulaient tous dire la même chose : amour et courage, honneur et loyauté. Son père avait une façon particulière de lui faire savoir qu'il l'aimait et qu'elle ferait toujours partie de la famille, malgré tous ces kilomètres qui les séparaient. En s'installant sur la colline aux mirages, elle avait instauré une grande distance entre eux, puisqu'ils vivaient à la capitale, Talmad la Grande Cité des Sultans.

Après sa douche, la lieutenante enfila un pantalon en toile léger, une tunique du même tissu puis enfila à sa taille la ceinture en cuire que sa mère lui avait offert après qu'elle eut bêtement perdu la sienne ; elle y suspendit une petite bourse, puis enfila un holster à son épaule et y rangea son pistolet réglementaire – les créateurs l'avaient surnommé le Bretta 9, lui conférant ainsi le nom de sa créatrice et un numéro de génération. Avant de quitter la maison, elle attacha ses fines tresses en une petite queue de cheval afin de dégager son visage, puis elle passa le collier de l'armée autour de son cou ; il s'agissait de plaques de métal sur lesquelles avaient été gravé son identité et son grade – en général, elle le camouflait sous sa tunique, passant ainsi pour une civile. Sur le pas de la porte, une paire de bottes brunes attendaient patiemment sous un porte-manteau. Nasime les enfila et se vêtit de sa veste, masquant ainsi la présence de son arme, avant de quitter sa demeure. Le tissu clair dissimula les tatouages dans sa nuque et sur ses bras ; beaucoup de monde était paré de tatouages, entre ceux qui portaient les couleurs du sultanat, l'histoire de leur vie ou tout simplement de jolis dessins, il y avait une grande diversité. Nasime, elle, portait au visage et sous l'œil gauche les trois points qui la liaient à l'armée : force, courage et loyauté ; mais à ses bras et dans son dos se contait une histoire.

Le trajet jusqu'à El-Nemira se faisait à cheval ou en véhicule à moteur ; les plus pauvres optaient par dépit pour la première option, les autres avaient le luxe de se payer un de ces engins bruyants qui parcouraient les routes avec beaucoup plus de rapidité : il y avait du choix entre les deux-roues et les voitures. Dans le cas de la lieutenante, le deux-roues motorisé avait été son premier choix. C'était un moyen de transport rapide et efficace, qui ne l'entravait pas dans une petite boite rutilante. Garé dans l'allée, la machine noire et poussiéreuses attendait patiemment qu'on la démarre. Peu pressée de rejoindre la ville, Nasime décida de ne pas enfourcher sa monture de métal et de plastic, mais plutôt de descendre au village en marchant aux côtés de sa machine.

Durant sa courte marche, elle reprit le court de ses réflexions. Le désert était en avant-plan dans son esprit. Elle n'y avait jamais mis les pieds et ne connaissait même pas les techniques de survie dans ce genre d'endroit. La formation des officiers du sultanat n'avait jamais eu besoin de ce genre d'informations, et pourtant, elle et ses collègues se retrouveraient face à l'inconnu : le Désert Sans Fin, ses habitants, son climat et ses nuits froides. Cela ne rassurait pas la lieutenante, mais elle avait juré fidélité à Riya II et ne se déshonorerait pas en n'accomplissant pas sa mission.

— Bonjour Lieutenante, cria un groupe de jeunes garçons en courant dans les bosquets.

— N'oubliez pas d'aller à l'école, bande de petites crapules, rétorqua la femme en fronçant les sourcils.

De nature solitaire, Nasime ne passait que très peu de temps en compagnie des villageois. Malgré cela, beaucoup d'entre eux l'appréciaient ; elle avait beaucoup fait pour leur communauté, ne rechignant jamais à rendre service ou à régler des discordes entre commerçants ; et, pourtant, elle faisait de son mieux pour ne pas les attirer. Ce qui étonnait le plus, c'était cette bande de garçons qui s'était amourachés d'elle, alors qu'elle avait quinze ans de plus qu'eux et qu'elle faisait tout pour les effrayer. Une année, lors du solstice d'hiver, ils s'étaient aventurés sur les terres de la lieutenante et avaient tous été punis : elle en avait capturé un et l'avait enfermé dans une grange au bout du village tandis que les autres s'étaient enfuis en toute hâte. Le surlendemain, ils lui avaient apporté une carafe d'arak pour s'excuser, et depuis ils la saluaient dès qu'ils la voyaient.

Sur son chemin, elle constata que l'ensemble des villageois étaient déjà à la tâche ; les uns partant pour la ville avec leur marchandise, les autres ouvrant leur petite échoppe dans le village ; les enfants s'en allaient pour l'école, les plus grands se chargeant des plus jeunes. Les petites habitations étaient construites en pierre, comme celle de Nasime, et la plupart possédait un petit jardinet sur le devant, rendant les terrains accueillants ; les rues étaient faites de terres sèches et de pavés, bordées de rigoles ; il n'y avait que trois grandes rues dans le village, entrecoupées par d'autres plus petites qui se rejoignaient en bout de course sur de petits parcs privés.

Bientôt, le toit vert de l'écurie du village fut en vue. Le propriétaire de l'endroit était en train de nettoyer un box quand Nasime fit son apparition dans l'encadrement de la grande porte. C'était un homme chauve, petit mais musclé ; travailler auprès de bêtes comme celles-ci n'était pas une besogne de tout repos et le jeune homme qu'il avait été en avait profité pour devenir fort malgré sa petite taille. Farid avait un cou de taureau, de grosses joues pleines et des yeux de fouineurs, tandis que de petites dents se chevauchaient dans cette grande bouche qui jurait toutes les dix minutes. Il vint vers elle.

— Bien le bonjour Lieutenante ! Belle monture que vous avez-là ! Qu'est-ce qui se passe donc pour qu'vous soyez si calme c'matin ? s'enquit l'homme d'une cinquantaine d'années.

— Bonjour Farid, je pars pour un long moment, je le crains. Voici ce que je vous dois pour la semaine dernière, ajouta-t-elle en sortant deux grosses pièces rouges de sa bourse au côté pour lui rembourser le bidon d'essence noire qu'il avait acheté à sa demande.

Elle les lui lança et il s'empressa de les réceptionner au vol. Farid ne perdait jamais un sou et personne ne pouvait l'arnaquer. Il comptait mieux que certains mathématiciens et avaient dû être comptable dans une autre vie, mais il était bon et personne ne lui reprochait d'être si attaché à son argent. Nasime ne prit pas le temps de bavarder plus longtemps ; elle enfourcha sa monture et murmura quelques prières à l'intention de ce voyage qu'elle accomplirait d'ici quelques jours.

D'un mouvement de tête, elle salua Farid, sortit un petit trousseau de clé qu'elle ficha dans son deux-roues avant d'actionner les mécanismes ; la bête métallique rugit quand Nasime taquina la pédale puis actionna l'accélérateur. Dans un soupir de plaisir, elle lança la bête dans les tours et démarra en trombe, propulsant nombre de petits cailloux dans son sillage. D'un coup d'œil furtif par-dessus son épaule, elle dit au revoir à son chez elle, se dirigeant vers El-Nemira, qui servait actuellement de base au projet « Fin du Désert ».

— Que Aakif nous protège, dit-elle dans le vent. Nous allons avoir besoin de toute l'ingéniosité de notre Prince-Explorateur – du moins si Aakif connait le désert.

Quatre cents ans plus tôt, le Prince Aakif des Anciennes Terres avait emmené ses proches et de nombreux partisans afin de quitter une région en guerre. Son père et d'autres dirigeants se battaient pour des portions de territoires, pour des histoires de respect et autres idées insolites, tuant dans leurs petites rivalités des milliers de citoyens innocents. Depuis sa mort, ses descendants et tout son peuple le vénéraient comme étant leur sauveur et l'avaient nommé Prince-Explorateur Aakif. Depuis, tous les sultans du royaume portaient ce surnom, avec une moindre importance. Nasime était une fervente non croyante, elle le priait parfois, certes, mais ne vouait aucun culte à ce Sultan qu'elle n'avait pas connu. Cela ne l'avait tout de même pas empêché de se mettre au service de ses dirigeants ; cependant, elle le faisait pour son peuple et c'était uniquement envers lui qu'elle était loyale et fidèle. Sa mère, Berinda, lui avait enseigné cette valeur de protéger et servir son peuple et non un dirigeant de façon aveugle. Parce que si personne ne remettait en cause le pouvoir, qui sauverait les citoyens d'une mort certaine, le jour où un tyran échoirait du trône ?


Texte publié par Ivanka, 2 juin 2018 à 21h35
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