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Féhnaël

Kledren le fixait avec une telle intensité qu'il sentait sa peau grise rosir de gêne.

– Vous me cachez quelque chose. Tout à coup, vous avez l'air de vouloir vous volatiliser.

– Je savais que cette conversation serait pénible, soupira le métis.

– Mais pourquoi, qu'est-ce qu'il se passe à la fin ! D'abord, tu sous-entends que je vous mens, et maintenant, aucun de vous deux ne prend la parole. Vous commencez à m'inquiéter.

En proie à l'effroi, Féhnaël offrit à Taëdyl un regard suppliant ; il avait besoin d'aide sur ce coup-là. Visage fermé, bras croisés, elle n'avait néanmoins pas l'air de vouloir lever le petit doigt — ou plutôt de prononcer le moindre mot — pour lui. Ce qu'elle confirma d'une négation de la tête.

– J'aurais dû réfléchir avant de lancer le sujet.

– Je te le confirme, lança l'Elfvar, tu as tendance à parler trop vite. Que te conseillerait Saë ?

Très bonne question, que lui aurait conseillé son mari ? Déjà, de choisir le moment le plus propice. Ce que Féhnaël pensait avoir fait, si le Renard retrouvait son phonoïd dans ce bureau, mieux valait connaître son allégeance. Puis... puis quoi ? Saëdann ne lui avait jamais donné la moindre leçon de diplomatie. Self-défense, oui. Mensonge, crochetage, espionnage, mise à nue des autres, oui, mais diplomatie... non. Le métier d'Espion ne nécessitait sans doute pas d'avoir du tact.

Au contraire, l'Elfvar attaquerait sans scrupule et balancerait ses informations dans l'espoir de déstabiliser son interlocuteur. Mais Féhnaël n'était pas Saëdann, il refusait d'utiliser ainsi le décès du précédent Kommandari. Non, même si le Renard ne lui inspirait pas grand-chose d'autre que la terreur et la méfiance, celui-ci méritait tous les égards pour une telle annonce.

– Tu devrais t'asseoir. Ce que j'ai à te dire est... difficile à entendre.

Crispé, Kledren ne bougea pas d'un poil. Ses oreilles se tendaient vers le métis, ses doigts s'enfonçaient dans la chair de Kessa, la meurtrissaient.

– Comme tu voudras. Si je m'interroge autant, c'est que... tu n'as pas entendu parler de l'attaque des Renards contre les Zévrins sur la planète des Vemphyrs ?

Les pupilles de l'homme s'agrandirent, sa mâchoire s'ouvrit en grand. De toute évidence, il n'était pas au courant, ce qui achevait de confirmer les soupçons de Féhnaël : il allait devoir annoncer à son ennemi la mort de son père.

– Sur Dainavo ?

– Il n'y a pas d'autre planète habitée par ces êtres, remarqua Taëdyl sans état d'âme.

Se donnait-elle un genre ou ne ressentait-elle vraiment rien ? Féhnaël n'aurait su le dire, et il n'avait pas le courage de l'étudier pour se faire une opinion.

– Je suis au courant Mèss. Mon père devait en effet se rendre sur Dainavo pour un entretien privé avec votre Mage Noir. Malheureusement, des Zévrins m'ont capturé avant, j'imagine que ça a annulé sa mission... et motivé son attaque, termina-t-il d'un ton sombre avant de jeter Kessa au sol.

La fureur déforma ses traits. Un instant, Féhnaël craignit qu'il ne s'en prît à eux, néanmoins, le Renard se retourna contre le mur et le frappa de toutes ses forces. Puis il hurla. Il hurla sa rage contre son kidnappeur, sa déception du comportement de son père, ses regrets du traité échoué. Il en pleurait presque, lui qui avait tellement cru à une possible paix.

Soudain, Féhnaël se sentit nauséeux. Si Kledren explosait à la seule mention de l'attaque, que ferait-il en apprenant que son Père y avait succombé ? Une faiblesse dans les jambes le força à s'appuyer au mur, à fermer les yeux. Pourquoi sa vie prenait-elle cette tournure compliquée ?

Être un hybride ne suffisait donc pas, non, il avait fallu qu'on l'enlève, qu'on le séquestre, qu'on tente des expériences sur lui, puis qu'on l'abandonne sur le flanc d'un volcan en éruption en présence d'un ennemi ancestral, lui-même orphelin sans le savoir. Tout ça lui fichait un mal de crâne atroce.

Deux doigts sur chaque tempe, il se massa dans l'espoir de voir la douleur disparaître. En vain. Peut-être le venin choisissait-il ce moment pour cesser de faire effet ? Si tel était le cas, il ne restait que peu de temps au jeune homme pour dévoiler la vérité à Kledren, puis crocheter la porte du bureau afin de le fouiller.

Livide, Kledren se tourna vers eux. Sa bouche se tordait, ses yeux brillaient.

– Et... la situation entre les Renards et l'Empire à présent ? Qu'en est-il ?

– C'est pas fameux. En fait, nous sommes en guerre contre vous.

– Donc, même si je sors... les vôtres vont me tuer.

– Sauf si tu restes avec moi, lâcha Taëdyl à la grande surprise des deux hommes.

Aussitôt les mots échappés, la jeune femme se couvrit la bouche. Voilà qui s'avérait intéressant, la mercenaire semblait avoir un faible pour leur ennemi. Plus étrange encore fut la réaction de l'homme qui raviva les préoccupations de Féhnaël.

– Je suis d'accord, si tu m'aides à rejoindre mon Père et à le raisonner. Je suis sûr que je peux faire quelque chose...

– Kledren...

– Il m'écoutera, je...

– Kledren !

– ... saurai trouver les mots pour...

– KLEDREN ! Arrête un peu, assieds-toi et écoute-moi maintenant. C'est un ordre.

Féhnaël n'avait pas pour habitude de se montrer si autoritaire, mais là, il saturait. Plus le Renard parlait, plus sa tête pulsait et moins il parvenait à réfléchir. À sa grande surprise, Kledren lui obéit, les prunelles rivées sur lui. Il s'assit en tailleur, posa ses mains sur ses genoux et attendit, crispé. Son expression changea, toute rage le déserta, remplacée par une sorte de résignation. Devinait-il ce que Féhnaël devait lui annoncer ?

– Kledren... tu ne pourras pas convaincre tout père, quoi que tu fasses parce que...

Le métis s'interrompit, s'humecta les lèvres. Par Eden, qu'il était difficile de proférer ces mots !

– Ton père... l'attaque... il...

– N'a pas survécu non plus. C'est ça ?

– Toutes mes condoléances. Je... le temps que tu intègres la nouvelle, je vais m'occuper de la serrure. Je sais, je suis abrupt, mais on doit à tout prix continuer d'avancer et sortir d'ici. Pour le reste... ton avenir, notre avenir, il sera toujours temps d'y penser dehors.

Un long silence lui répondit. Pendant quelques secondes, il observa celui qui, quelques minutes plus tôt, lui inspirait encore de la terreur. À présent, il n'éprouvait plus que de la pitié pour celui dont le monde venait de s'écrouler. Tout ce en quoi Kledren croyait n'existait plus. La tête baissée, celui-ci demeurait immobile. Bien que la curiosité poussât Féhnaël à s'interroger sur les pensées de cet homme, bien que son empathie lui dictât de s'inquiéter pour lui, il se détourna pour se concentrer sur la serrure du bureau.

Elle n'avait rien de complexe, aucun complément magique ni technologique. Un simple mécanisme comme on en trouvait sur la plupart des portes. Quel contraste avec le niveau de sécurité des cellules ou encore le système de confinement !

– Tu ne sauras pas l'ouvrir, s'inquiéta Taëdyl.

– Si bien sûr, ces serrures sont les plus faciles à crocheter à condition de trouver les bons outils. Montre voir ce que tu as trouvé tout à l'heure ?

– Si elles sont si faciles, le bureau ne renferme sans doute rien d'intéressant, déplora-t-elle.

– Rien n'est moins sûr, ça sert sans doute juste à empêcher les infirmiers trop curieux de fouiller les dossiers.

Après un hochement de tête, elle lui tendit son sachet de papier. Une courte fouille lui permet d'en tirer une pince de chirurgien dont les extrémités recourbées se terminaient en pointes effilées.

– Ça devrait faire l'affaire.

En effet, quelques secondes plus tard, la porte tournait sur ses gonds. Taëdyl ne put retenir un sifflement impressionné, pour son plus grand bonheur. Obtenir la reconnaissance se révélait si ardu pour un hybride qu'il ne pouvait contenir un sourire satisfait quand ça lui arrivait.

Bien sûr, il hiérarchisait ces réactions. Avec le temps, ces attentions de Saëdann lui paraissaient normales. Oh, elles lui faisaient encore plaisir, mais dans une moindre mesure, et puis, l'Espion le considérait comme son égal. Quand ça venait d'un Zévrin ou d'un humain, il jubilait, il se sentait exister pendant quelques instants, limite s'il ne se sentait pas supérieur. Hélas, ça ne durait jamais. De la part des Elfes Noirs, il ressentait de la fierté, après tout, il vivait parmi eux, leur arracher un compliment le hissait sur l'échelle sociale. Mais la reconnaissance la plus précieuse provenait de la branche paternelle ; elle était aussi la plus rare. En fait, hormis son père et Régoël, nul Elfe ne l'avait jamais congratulé ni ne lui avait accordé le moindre regard bienveillant d'ailleurs.

- Je pensais que tu en aurais pour plus longtemps, tu es un as du crochetage en fait ! s'extasia Taëdyl.

– J'ai appris deux trois trucs.

– Je vois. Dis-moi, tu viendrais à bout des portes coupe-feu ?

– Je peux venir à bout de n'importe quel verrou mécanique ou technologique avec le bon matériel. Par contre, s'il y a le moindre sort associé...

– Il faudra un mage.

Tous deux jetèrent un regard vers Kessa. Abandonnée au sol à quelques pas du Renard, la jeune femme s'était recroquevillée sur elle-même. Des gémissements sourds lui échappaient, ses bras enveloppaient ses jambes, tout son corps tremblait. Quoi que le Renard lui eût infligé, c'était en train de disparaître.

– Alors, au cas où, on doit la garder en vie. Bien, voyons donc ce fameux bureau maintenant...


Texte publié par Carazachiel, 13 août 2020 à 17h10
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