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tome 1, Chapitre 17 « Chapitre 7.2 » tome 1, Chapitre 17

Alerte Confinement, alerte confinement, trente secondes restantes avant le verrouillage des portes coupe-feu.

L'alarme perça à peine le silence dans lequel Taëdyl s'était murée. Celle-ci ne lui prêta qu'une attention minime, juste pour savoir combien de temps il lui restait, puis elle ferma les yeux et abattit la main sur le sol. Le froid se diffusa aussitôt dans sa paume, mais venait-il de la clef ou bien du revêtement ?

Ne regarde pas, ne regarde pas. Si regarde. Non, ne regarde pas.

Si elle avait échoué, elle s'en voudrait tout le reste de sa vie. Même si ce reste ne devait pas excéder quelques heures.

– Tu l'as ?

La voix douce de Féhnaël, toute proche, explosa son cocon protecteur. Aussitôt, les sons l'assaillirent, l'étourdirent : l'accent si particulier de Kledren, tout d'abord, comme l'Hybride, il s'impatientait, il la pressait même de se hâter. Ses compagnons d'infortune, ensuite : la respiration trop bruyante de Salomée, les déglutitions difficiles de Régoël, le tapotement de pied de Féhnaël. Enfin, les bruits de couloir, les cris de désespoir, les supplications. Pour ceux-là, elle ne pourrait rien faire. Pas plus que pour le Renard, elle le savait... et le regrettait sans comprendre pourquoi.

Lorsque ses tympans cessèrent de bourdonner, ses paupières se soulevèrent d'un coup, puis ses doigts se recroquevillèrent... sur la clef !

– Oui ! Je l'ai !

– Dépêche-toi d'ouvrir le verrou Taëdyl, vous avez plus une seconde à perdre !

Alerte Confinement, alerte confinement, vingt secondes restantes avant le verrouillage des portes coupe-feu.

L'instant d'après, elle se tenait sur ses pieds et fourrageait dans la serrure. Un détail dans la phrase de son allié la gênait, mais elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus ; elle n'avait pas le temps d'y réfléchir. La cache s'ouvrit, dévoila le cadenas. L'Hybride ne perdit pas de temps et introduisit sa clef à son tour.

– Tenez-vous prêt à courir.

Cette fois-ci, Taëdyl tiqua vraiment :

Il a dit vous ! Pas nous !

La porte cliqueta, hésita à s'ouvrir. Le pied du demi-Elfgrim l'envoya valser sans une once d'hésitation.

– COUREZ !

Régoël et Salomé ne se firent pas prier. Ils se ruèrent hors de la cellule, décampèrent comme s'ils avaient des Renards aux trousses. Taëdyl ne put s'y résoudre, elle tendit la main à son ami qui, emporté par son élan, avait chuté.

– Taëdyl, qu'est-ce que t'attends ? Rejoins-les !

– Viens !

– Non, je peux pas courir, tais-toi et sauve ta peau, tes gosses !

La lucidité du jeune homme lui brisa le cœur autant que ses mots la transpercèrent. Il avait raison, elle devait sauver sa vie et celle à venir de son ou ses enfants. En quelques enjambées, elle rejoignit ses deux compagnons de fuite, la pauvre Salomée peinait à suivre les foulées fluides et rapides de l'Elfe. Le visage rougi par l'effort, elle sifflait comme jamais, suait à grosse goutte.

Taëdyl lui attrapa la main au passage et lui insuffla un rythme plus soutenu.

Elle se reposera quand on sera sorti.

Elles redoublèrent d'efforts, ignorèrent les hurlements, esquivèrent les bras tendus vers eux, et, enfin, atteignirent le coude du couloir.

Alerte Confinement, alerte confinement, dix secondes restantes avant le verrouillage des portes coupe-feu.

Au bout, la porte entrouverte dénuée de tout garde leur faisait de l'œil. Régoël, lui, l'avait presque atteint.

– Je... peux plus, gémit l'humaine.

– Tu n'as pas le choix ! Hey, l'Elfe, bloque cette porte !

Une infime hésitation passa dans les yeux de l'interpellé, un instant glaçant ou Taëdyl crut qu'il allait les abandonner. Elle ne pouvait lui en vouloir, elle aurait sans doute fait de même. Mais contre toute attente, il resta pour plaquer la porte contre le mur, puis à une vitesse phénoménale, il enclencha un loquet qui arrima le battant au plafond.

– Où est Féhn...

Confinement effectué. Les portes coupe-feu sont désormais verrouillées. Veuillez finir d'évacuer le bâtiment. Il reste deux minutes avant le verrouillage total de la structure.

– On a réussi !

Le cri de victoire de Salomée mourut dans une quinte de toux. Celui de Taëdyl s'étrangla dans sa gorge devant la mine sombre de Régoël.

– Non. On a juste réussi à garder une des nombreuses portes ouvertes. Et t'as pas entendu ? Deux minutes pour sortir de ce labyrinthe, ça aurait été impossible...

D'un mouvement du menton, il indiqua le couloir derrière lui, plongé dans la pénombre.

– Je vois rien, grogna l'Humaine.

Sans ménagement, Taëdyl poussa l'Elfe pour constater ses dires d'elle-même. Il ne mentait pas. Une trentaine de mètres plus loin, une autre porte leur interdisait toute fuite. Néanmoins, elle repéra deux trouées, sans doute deux autres corridors ainsi qu'une dizaine de portes.

Reste à espérer qu'on trouve de quoi ouvrir ces fichues portes. Et de la nourriture aussi, je meurs de faim.

Après s'être assise pour reprendre son souffle, Salomée s'enquit :

– On fait quoi maintenant, alors ?

L'Elfvar comme le Citadin répondirent aussitôt, mais le mélange de leur voix produisit une phrase étrange « On visousse chemin ». la deuxième tentative ne s'avéra pas plus concluante. Taëdyl serra les dents, elle n'allait quand même pas s'effacer pour laisser ce palot s'exprimer en premier ! Hautain, celui-ci ne cédait pas d'un pouce. Il répétait sa phrase, encore et encore, haussait le ton, tout comme sa lointaine cousine.

– Non, mais vous n'êtes pas possible, on se croirait dans un mauvais film de fantasy, quand les Nains et les Elfes se disputent !

– Les nains n'existent pas, s'exclamèrent-ils de concert.

– Ah, bah vous pouvez être d'accord, on dirait. Et donc, on visite où on rebrousse chemin ? Et si vous parlez en même temps, je ferai comme mes profs de TD et je vous interrogerai l'un après l'autre !

– Fais donc ça, ça lui rappellera le temps de l'Académie, quand il prenait un blâme s'il l'ouvrait sans réfléchir.

– Et ça rappellera à la charbonneuse qu'elle n'a jamais réussi à rejoindre la moindre académie.

– STOP. Vous êtes ridicules ! Bon, puisqu'il faut un chef, je vais être le chef.

La mercenaire sursauta, puis dévisagea l'Humaine.

– Pardon ?

– Dans tout bon groupe d'aventuriers, il faut un chef, expliqua Salomée. Ici, nous avons un cas typique de RPG avec...

Et la revoilà partie dans ses délires.

– ... un groupe d'individus hétéroclites qui doivent s'allier pour se sortir du pétrin. En l'occurrence, un donjon avec de vils scientifiques qui font des expériences et...

– Les scientifiques ont décampé, remarque Régoël impassible.

Irritée, Taëdyl leva les yeux au ciel.

– C'est la seule chose qui te gêne dans sa phrase ?

Veuillez finir d'évacuer le bâtiment. Il reste une minute avant le verrouillage total de la structure.

Imperturbable, Salomée poursuivit :

– En général, l'Elfe est l'éclaireur ou le tireur du groupe...

– Celui-ci ne tire pourtant pas grand-chose ricana Taëdyl.

Le regard noir du Citadin ne fit que l'amuser davantage.

– La mage est... et bien la mage, elle lance des boules de feu, des sorts d'invisibilité, tout ça.

Perplexe, Régoël se tapota le menton.

– Tu oublies qu'on ne peut pas faire confiance à Kessa.

Tiens... est-ce une tentative d'alliance pour nous berner ou est-il sérieux ?

Salomée commença à déambuler dans le couloir, de long en large, absorbée par ses pensées.

– Ensuite, il nous faudra un voleur ou un roublard. Le zombie ou Taëdyl, je suppose. Dis, tu sais crocheter les serrures, demanda-t-elle subitement à la mercenaire.

– Non ?

– Tant pis, le zombie alors...

– Mais...

– Toi, tu feras donc office de guerrière.

À ces mots, Régoël s'interposa, un pli de contrariété barrant son front.

– JE suis guerrier, elle n'est que mercenaire !

– Mais toi, tu es déjà notre archer, protesta Salomée.

– Je n'ai jamais tiré à l'arc, je suis un soldat impérial, pas un Elfe médiéval, encore moins un Elfe des bois !

Taëdyl se pinça l'arrête du nez. Voilà que le palot marchandait avec l'Humaine une place dans un groupe qui n'existait pas.

– Ça suffit. Assez, Salomée, il n'y a pas de groupe, il n'y en aura pas. Je te l'ai expliqué, c'est chacun pour soi.

– Mais...

– Tu vois la mage ici ? L'Hybride, peut-être ? Non. Et pourquoi ? Parce qu'on sauve d'abord notre peau avant celle des autres.

– Sauf si les autres peuvent nous servir, contra la jeune femme amère.

– C'est bien, tu commences à comprendre. Tu survivras pas en voulant faire... je ne sais pas trop quoi d'ailleurs... un airpégé ?

– C'est un jeu qui...

– Ça ne m'intéresse pas. Tu es dans la vraie vie, là.

– Alors pourquoi tu m'as pris la main pour me faire courir plus vite ? Pourquoi tu as demandé à Régoël de nous aider, hein ?

Agacée, Taëdyl siffla entre ses dents. Elle détestait être mise face à ses propres contradictions. Néanmoins, plutôt que de l'admettre, elle préféra clore la conversation.

– Tout le monde à ses moment de faiblesse. Alors maintenant, moi, je vais visiter les lieux pour trouver quelque chose d'utile, vous, vous faites bien ce que vous voulez.

Elle tournait déjà les talons quand Régoël se racla la gorge.

– Je suis plutôt d'accord avec le chacun pour soi, mais je vais chercher Féhnaël.

Ce qu'elle entendait était à peine croyable. Un de ces Elfes hautains défendait un mâtiné ? Jamais de sa vie elle n'avait cru assister à une scène aussi incongrue un jour.

– Je me sens redevable envers lui, continua le guerrier, sans cet Hybride, on serait encore coincé dans la cellule...

L'irritation la gagna. Elle venait tout juste d'abandonner ce garçon à son sort, bien malgré elle, pendant que le palot détalait ventre à terre et il se permettait à présent de lui faire une leçon ? L'envie de lui faire ravaler ses mots à grands coups de matraque lui traversa l'esprit, malheureusement – ou heureusement pour Régoël – , elle n'en avait pas sous la main.

– ...l'idée de la révolte vient de lui. C'est aussi lui qui a compris le sérieux de la situation, honnêtement, je pensais comme les soignants : que c'était un bug.

– Tant de louanges, railla Taëdyl. Tu laisses tes sentiments pour lui t'aveugler ? Dommage, je l'ai séduit avant toi.

Ça vaut pas un bon coup bien placé, mais ça fait du bien quand même.

– Mes... Non, mais ne prends pas tes délires pour des réalités la charbonneuse, je gère juste mal la culpabilité ! Des sentiments ? Pour un hybride ? Plutôt prendre le thé avec un assassin Elfe Noir.

L'idée amusa beaucoup Taëdyl. Elle se promit que s'ils s'en sortaient tous les deux, elle lui arrangerait un rendez-vous avec Daësann, autour d'une tasse de thé accompagné de ces petits gâteaux au miel que confectionnaient les Elfes des bois.

Mauvaise idée, si Daësann le trouve à son goût, je vais me retrouver avec un beau-frère Citadin. Quelle horreur.

Évacuation terminée. Le bâtiment est désormais verrouillé.

– Tu en auras l'occasion... si on sort d'ici un jour, ne sois pas si impatient, se moqua-t-elle tout de même.

Même si c'est pas gagné, nous sommes officiellement enfermés dans un complexe inconnu alors qu'un volcan est sur le point d'exploser.

– Je serais peut-être trop occupé avec un Hybride immensément reconnaissant parce que je lui ai sauvé la vie, qui sait ?

Salomée gloussa pendant que Taëdyl dévisageait le guerrier.

Les Elfes ont donc un vrai sens de l'humour ? Moi qui pensais qu'ils ne savaient qu'être sérieux ou moqueurs.

– Pour ça, il va falloir que tu attendes ton tour, il est marié.

– Marié, certes, mais pas exclusif d'après ce que je sais. Oh, pitié gentille Elfvar, ne brise pas tous mes rêves !

Finalement, elle n'était pas certaine d'apprécier l'association Elfe/humour ; elle préféra revenir au sujet principal.

– Ça m'arrange si tu vas le chercher. Déjà, tu pourras emmener Salomée, elle me gênerait dans ma recherche, ensuite, ça me permettra de déculpabiliser de l'avoir laissé. Je l'aime bien aussi, moi et il embrasse merveilleusement bien !

– Je sais.

– QUOI ?

– Juste une blague, enfin... peut-être.

De nouveau, Regoël esquissa un sourire moqueur et malicieux avant de faire signe à Salomée de le suivre. La jeune femme se redressa en grognant, mais obéit, non sans lancer un regard plein de reproches à Taëyl. Mais la curiosité rongeait bien trop la mercenaire pour qu'elle y prêtât attention.

Mais qu'est-ce qu'il s'est passé entre ces deux-là ?


Texte publié par Carazachiel, 8 mars 2019 à 01h56
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