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tome 1, Chapitre 13 « Chapitre 6.1 » tome 1, Chapitre 13

Féhnaël

Il sentait le regard de Régoël peser sur lui depuis que les trois femmes avaient quitté la cellule. Même si Féhnaël savait à présent qu'il ne risquait rien -L'Elfe lui avait apporté une aide non négligeable, en particulier en retrouvant sa seconde lentille sans poser de questions ni formuler la moindre remarque-, il restait mal à l'aise d'être ainsi un objet de curiosité.

Après ce qu'il s'était passé en salle d'examen, il s'était douté que le comportement du guerrier changerait. Que l'homme se poserait des questions, qu'il évoluerait... ou au contraire se braquerait définitivement. Apprendre que les scientifiques les laissaient seuls tout deux pour une durée indéterminée ne l'arrangeait guère, mais il n'y couperait pas. Il le sentait. Régoël tenterait de lui parler. Or, lui n'en avait aucune envie, une sieste s'imposait avant la mutinerie ; son corps le faisait trop souffrir, il n'avait même plus la force d'ouvrir les yeux pour le moment.

– Hey, l'Hybride, à propos de Kessa...

Il se crispa ; il n'avait pas l'énergie pour débattre.

– Ce n'est pas ma petite amie, ni rien.

Féhnaël se mordit la langue. Il ne devait pas intervenir. Plus vite le guerrier se lasserait, plus vite lui-même se reposerait.

– Je ne la connaissais pas avant de me réveiller dans cette cellule, continua Régoël.

– Ça me regarde pas, le coupa le jeune homme. Et j'ai trop mal à la tête pour t'écouter parler de cette fille qui ne te plaît pas, mais que tu tripotes quand même.

Pendant de longues secondes, seul le silence lui répondit. Le sommeil en profita pour s'insinuer, l'engourdir. Puis le métis sentit le lit s'affaisser au niveau de ses hanches, la main de Régoël effleura la sienne, sans la prendre. Raté pour le petit somme. Féhnaël hésita à bouger pour se soustraire à ce contact, puis renonça. La douleur de ses côtes menaçait d'exploser s'il bougeait le moindre muscle. Quant aux pulsations de son crâne, elles le faisaient peiner à ordonner ses pensées...

– J'ai failli m'assumer, il y a quelques années.

– Tu veux parler de ça maintenant ?

– On a toutes les chances de mourir pendant notre tentative d'évasion, si je n'en parle pas maintenant, quand en parlerai-je ? Et puis, tu es le mieux placé pour m'écouter, je suppose.

Féhnaël supposait surtout que l'absence de Kessa déliait la langue de son codétenu. Ça ne l'arrangeait pas ; la vie de cet individu ne l'intéressait déjà pas en temps normal, alors dans son état...

– Pour quelles raisons ? Parce que je suis en partie Elfgrim ? grogna le blessé.

– Eh bien... oui. Tu as déjà été avec un homme, ça ne fait aucun doute. Tout à l'heure... tu savais exactement... comment dire...

– Pas obligé de le dire. Et je suis pas le mieux placé. Je ne t'apprécie pas, tu ne m'apprécies pas. Tu m'as rendu service tout à l'heure, je le nierai pas, mais ça s'arrête là. Je suis blessé, j'ai sommeil. Donc, si tu veux faire échouer à coup sûr notre petit plan, parle-moi et empêche-moi de dormir.

La couchette grinça tandis que Régoël s'éloignait de Féhnaël. La chaleur de sa main disparut.

– Je t'ai rendu service, en effet, tu me dois ton oreille attentive en retour, exigea le Citadin d'une voix hautaine.

– Je crois bien t'avoir déjà donné suffisamment en retour, je me trompe ?

Cette fois, le guerrier ne relança pas la conversation. Le sommier couina une nouvelle fois, signe que l'Elfe désertait cette fois les côtés de l'Hybride. Féhnaël l'avait-il vexé ? Il s'en voulut, l'espace d'une seconde, une seconde seulement ; en aucun cas Régoël ne le voyait comme son égal ou son confident, il voulait juste l'utiliser.

Son sommeil s'entrecoupa de cauchemars, de semi-réveils où la douleur le clouait sur place. Puis, ses songes lui montrèrent le volcan en éruption. La terre tremblait, la montagne vomissait sa lave. Et lui ne bougeait pas. Il restait sur sa couchette, immobile, et bientôt, les torrents bouillonnants l'avalèrent, le ballottèrent, le secouèrent.

– Par Ylfaël, réveille-toi l'Hybride ! C'est pas le moment de nous faire un... je ne sais quoi !

La souffrance pulsa aussitôt dans tout son corps, les mots résonnèrent dans son crâne endolori. Ses paupières battirent, seule l'une parvint à se soulever pour découvrir un Regoël inquiet penché sur lui. L'autre pesait des tonnes, elle tirait sur sa peau, le brûlait. Une brûlure qui se propagea à toute la partie gauche de son visage.

– Ils arrivent, lève-toi, on doit se mettre en place.

Déjà ? Il semblait à Féhnaël qu'il avait dormi tout juste cinq minutes. Il bougea les orteils, la douleur fusa le long de ses nerfs, l'emplit tout entier. Ses côtes s'éveillèrent à leur tour, accentuèrent son calvaire. Féhnaël avait l'impression qu'elles tentaient de percer ses poumons à chaque inspiration. Il réalisa qu'il ne s'en sortirait pas. Pourtant, la constatation ne lui fit ni chaud ni froid ; il ne pouvait lever un membre sans souffrir le martyre, il n'allait même pas prendre part à la tentative de rébellion. Ça sonnerait le glas de sa vie : qui s'encombrerait d'un Hybride impotent pour fuir ? Personne. Pas même Taëdyl. L'Humaine, peut-être, mais la pression du groupe aurait raison d'elle. Il referma l'œil, se coupant du visage préoccupé de Régoël.

Je t'interdis de renoncer.

Un frémissement lui parcourut l'échine.

Renoncer leur donnerait raison, à tous. Tous ceux qui prétendent que tu es moins que rien, que tu es faible, que tu ne mérites pas de vivre. Tout ça est faux, Féhnaël. Tu es fort, tu aimes la vie, alors bats-toi. Je peux t'aider, pas te forcer à te relever. Tu es le seul à pouvoir te sauver.

Ces souvenirs, vieux d'une demi-douzaine d'années, le balayèrent avec la force d'un ouragan. Ces souvenirs du jour où son désormais mari lui avait sauvé la vie. Il avait rencontré Saëdann quelques semaines plus tôt, n'avait alors échangé que quelques paroles avec lui ; il préférait rester sur ses gardes. À cette époque, hormis sa mère — et son père dans une moindre mesure — personne n'avait jamais montré la moindre bienveillance envers lui. L'intérêt de l'Elfvar pour sa personne l'avait dérangé, pour sûr, celui-ci projetait de l'utiliser.

Féhnaël avait eu tort sur ce point, il l'avait découvert ce fameux jour. Affamé, il avait chapardé dune poignée de baies et deux saucisses sur un étal du marché. La fille du commerçant l'avait surpris. Elle s'était ruée sur lui, l'avait plaquée au sol avant de l'insulter copieusement. Même après avoir récupéré l'objet du larcin, elle ne l'avait pas lâché. Les badauds s'étaient joints à la scène, la plupart s'étaient fait une joie de se défouler sur un Hybride. Les coups n'avaient pas tardé à pleuvoir... Saëdann s'était alors interposé, sabres en main, les agresseurs avaient reculé ; personne ne s'opposait jamais à un Elfe Noir armé.

Prostré au sol, Féhnaël lui avait craché de partir. De le laisser, survivre devenait trop dur. Alors, l'Espion avait prononcé ces mots. Ces mots qui lui revenaient à présent en pleine face.

Renoncer sans avoir tout fait pour revoir cet homme ? Hors de question.

Malgré sa résolution, sa première tentative se solda par un échec. Il réussit tout juste à rouler sur le côté. Ses genoux remontèrent vers son torse lors de la deuxième. À la troisième, deux mains se glissèrent sous ses aisselles pour le relever avec douceur.

– Tu vas tenir le coup ? On a vraiment besoin de toi.

L'inquiétude perçait dans la voix du guerrier. Sans doute influencé par l'afflux récent de souvenir, Féhnaël se plut à croire que l'homme s'inquiétait de sa santé, et non de l'échec probable de leur tentative désespérée. Il y puisa du courage pour se lever et gagner en clopinant la grille tandis que le guerrier s'adossait à l'ouverture. Le métis ne se souvenait pas avoir parlé d'une telle position.

Une boule d'angoisse naquit dans la gorge du jeune homme : il n'avait pas la moindre idée de ce que Régoël avait annoncé à Kessa. Avait-il suivi le semblant de plan qu'ils avaient tous deux fomenté pendant leur douche, l'avait-il revu à sa manière ou bien Féhnaël avait-il oublié certains détails ? Les coups portés à sa tête pouvaient s'avérer responsables de telles lacunes.

– Qu'est-ce que tu fabriques Régoël ?

– J'accentue l'effet de surprise. Je les ai provoqués à ton arrivée, si je les provoque à nouveau, ça focalisera leur attention. La charbonneuse et Kessa auront de meilleures chances de réussir leur coup. Elles en auront besoin, c'est pas dit que tu arrives à faire quoi que ce soit, toi.

– Désolé d'avoir été tabassé, grogna le jeune homme contrarié.

– Pour une fois, ce n'était pas une pique. J'admets que tu as du courage. Beaucoup seraient restés vautrés sur le lit à ta place.

Féhnaël s'apprêtait à répondre quand un bruit métallique attira son attention. Face à eux, le Renard tapait sur la grille. Sitôt qu'il obtint leur attention, il cessa son manège pour pointer son étrange nez vers le couloir.

Ils arrivaient.


Texte publié par Carazachiel, 23 juillet 2018 à 22h02
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