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tome 1, Chapitre 9 « Chapitre 4.3 » tome 1, Chapitre 9

– Raaah, encore cette fichue alarme ? Doréan, va donc me couper ça !

– C'est la huitième fois ce mois-ci. Vous croyez que c'est encore une fausse alerte ?

– Que veux-tu, les techniciens sont des incompétents. Régler correctement le système doit être trop compliqué pour eux. C'est ce qui arrive quand on embauche des Bas-Zévrins crèvent la faim.

– Je... suis Bas-Zévrin.

– Que veux-tu que ça me fasse ? Fais ton bou...

Le niveau de magma est anormalement élevé. BIP BIP BIP. Veuillez commencer l'évacuation du complexe.

– Et va m'éteindre cette foutue alarme !

Des bruits de pas précipités s'éloignèrent. Féhnaël n'entendit plus que des cliquètements — sans doute quelque objet médical que l'on manipulait — ainsi qu'un bruissement de feuilles. Des mains soulevèrent ensuite son haut, palpèrent son abdomen avant d'y placer un objet froid. Celui-ci s'y déplaça à plusieurs reprises, puis quitta sa peau.

Avec précaution, le métis entrouvrit les paupières : penchée au-dessus d'une table, la Haute-Zévrine griffonnait dans un carnet de notes. Un tintement métallique accompagna la chute de son stylo. Sur le même plateau métallique, elle récupéra une boîte, en tira des gants de chirurgien dont elle habilla ses mains. Puis elle plongea l'une d'elles dans le pantalon de son patient pour tâtonner ses parties intimes. Le métis ne put réprimer un frisson.

– Saleté de souillure, tu es conscient !

Les doigts quittèrent ses testicules, s'emparèrent de son visage, des ongles meurtrirent ses joues.

– Ouvre les yeux.

Le cœur de Féhnaël s'emballa, sa respiration s'accéléra. Une brusque montée d'adrénaline brûla ses veines tandis que son dos s'inondait de sueur.

– Pauvre petite chose terrorisée. Si tu ne veux pas ouvrir les yeux, je t'y forcerai, quitte à découper tes paupières.

L'instant d'après, des yeux aux pupilles dilatées contemplaient la médecin avec horreur ; la femme s'était déjà emparée d'un ciseau, prête à mettre sa menace à exécution. Avec un sourire sadique, elle reposa l'instrument sur le plateau, au milieu d'objets divers et non identifiables.

– C'est mieux. Bien, ton rythme cardiaque est bon, la nourriture ne te constipe pas, c'est important. Je n'ai pas eu le temps de vérifier ta capacité à produire de la semence, et comme tu es éveillé, ce sera plus délicat. Tu es foutu de lutter pour rester flaccide. Or, il m'en faut absolument pour inséminer l'Humaine, la Haute-Zévrine et l'Elfvar.

Alors qu'elle parlait, une nausée s'empara de Féhnaël. Quel genre d'expériences menaient donc ces scientifiques pour avoir besoin de... ça ? Il s'apprêtait à la questionner quand il s'aperçut que personne ne l'avait entravé : il tenait sa chance de s'enfuir. Peut-être sa seule et unique chance !

Ses membres raidis ne lui répondaient pas encore totalement, mais il devait tenter quelque chose avant le retour de l'infirmier. Sauf que pour cela, il avait besoin d'une arme. Sans plus réfléchir, il se rua sur le ciseau abandonné par la médecin. Son geste hâtif précipita le plateau et tout son contenu au sol. Les instruments s'éparpillèrent dans un joyeux fracas métallique.

– Qu'est-ce que...

Attirée par le bruit, la Haute-Zévrine avait délaissé ses notes. Elle lui offrait désormais une face ahurie, la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés, son stylo toujours en main. Pendant quelques secondes, aucun d'eux ne bougea. Puis, d'un même élan, ils se précipitèrent vers la porte laissée entrouverte. Féhnaël possédait l'avantage d'une musculature elfgrim, plus rapide, plus agile que la femme. Il avait aussi l'avantage du terrain : quelques pas à peine le séparaient de la sortie alors que la médecin devrait contourner le brancard.

Alors, le prisonnier s'élança — ce qu'il ferait après, il l'ignorait, il voulait juste décamper —... et manqua de s'écrouler au deuxième pas. Il n'en fallut pas plus à la toubib pour s'interposer entre lui et l'issue.

– DORÉAN !

– Non !

– Tu ne peux pas t'échapper, abandonne cette idée stupide !

Féhnaël serra les dents. Sa seule possibilité de fuite lui échappait. Au creux de sa paume, la pointe du ciseau mordait sa chair. Il avait toujours rechigné à tuer autrui, mais le simple rappel des mots de la femme le convainquit. Il ne servirait pas de réserve de sperme à ces détraqués mentaux.

– Ne fais pas quelque chose que tu vas reg..

La femme n'eut pas le loisir de finir sa phrase, le métis avait bondi sur elle pour la propulser contre le mur. Son corps la compressait, une de ses mains écrasait sa trachée. Elle suffoquait sans pour autant cesser de se débattre. Un coup reçu dans les côtes lui tira une grimace, elle tentait de le poignarder avec son stylo ! Il devait en finir. Pourtant, au moment de la frapper à la gorge, Féhnaël hésita. Peut-être pouvait-il se contenter de la blesser suffisamment pour l'empêcher de le suivre ? Cet instant d'inattention causa sa perte. Ses doigts libérèrent leur prisonnière, juste assez pour lui permettre beugler derechef.

– DORÉAN ! À L'AIDE !

Une course rapide dans le couloir. La porte qui s'ouvrit à la volée. Un choc à couper le souffle dans le bas du dos.

Les deux hommes roulèrent au sol. En désespoir de cause, Féhnaël frappa et frappa encore. Plus aucune hésitation dans ses gestes à présent. Aucune précision non plus, il plantait son arme à l'aveuglette, guidé par une panique sans nom, gêné par la drogue qui courait toujours dans ses veines, persuadé que l'infirmier l'exécuterait. La poigne de son adversaire se referma soudain sur ses cheveux. Féhnaël crut mourir lorsque son crâne heurta le carrelage froid de la pièce. Une fois. Deux fois. Alors que sa tête repartait en arrière une troisième fois, la voix autoritaire et éraillée de la médecin s'abattit sur eux.

– Ne le tue pas de suite, j'ai encore besoin de lui vivant !

La main le relâcha.

– Ce fils de putain Elfgrim m'a labouré la cuisse !

Le corps parcouru de spasmes, Féhnaël rampa jusqu'à un coin pour s'y recroqueviller. Voilà des années qu'une telle violence n'avait déferlé sur lui, il en avait oublié la douleur physique tant que morale, ce sentiment d'impuissance face à ses agresseurs. Et surtout, cette peur dévastatrice de mourir sous les coups.

Son esprit se replia sur lui-même, coupa les sons, les images, les pulsations lancinantes de son crâne et de ses côtes. Le noir complet l'entoura, c'est à peine si Féhnaël percevait encore sa propre respiration. Là, dans ce cocon protecteur, il chercha son visage. Celui de Saëdann, son mari, seule ancre au monde tangible. Au vrai monde, à sa vraie vie.

Peu à peu l'image d'un homme se forma. Un Elfvar que Féhnaël trouvait magnifique. Des yeux en amandes aux teintes écarlates, un nez qu'un mauvais coup avait laissé de guingois, des cheveux argentés, attachés en catogan. Une peau d'ébène, marquée par endroit par les nombreux combats menés par l'Espion. Sur une pommette, une vilaine cicatrice. Barrant son front, une autre, plus récente, en cours de cicatrisation. Un tatouage à l'encre dorée, fait d'épines et de chaînes. Il partait du menton, longeait la mâchoire, serpentait sur la clavicule, puis descendait sur son épaule et s'enroulait autour de son bras. Et enfin, une bouche aux lèvres fines, tordues en un rictus que seul Féhnaël trouvait rassurant.

Lorsque la vision eut suffisamment apaisé son esprit, le jeune homme ouvrit les yeux... pour se retrouver face à l'expression triomphante et mielleuse de la médecin. Féhnaël n'eut qu'à baisser le regard pour comprendre pourquoi. Entre ses doigts, elle tenait une lentille de contact. Une lentille teintée de brun. Une de ses lentilles, à lui.

– Ainsi donc, ton père était un Elfe. C'est aussi fâcheux que répugnant. Dans tous les cas, je perds du temps. Soit pour récupérer un autre hybride, soit pour récupérer une Elfe. Parce que je n'ai plus de quoi créer la "gestation bi-génome deux-tiers".

Dans un grognement, l'infirmier remarqua :

– Enlever une Elfe sera plus difficile mais l'avantage, c'est que les analyses du guerrier sont finies et complètes. On pourra directement passer au programme d'insémination pour la "Gestation bigénome deux-tiers". Dans l'autre cas, il faudra refaire tous les prélèvements et tout recalibrer. On ne savait pas qu'il était... comme ça, mais au moins, les machines sont réglées en fonction de son ADN.

Malgré son état de prostration, malgré l'étau autour de son crâne, malgré ses côtes endolories, Féhnaël se concentra sur le dialogue. Les deux soignants l'ignoraient, sans doute persuadés qu'il ne comprendrait pas ou ne s'y intéresserait pas. Le pauvre métis ne saisissait pas la moitié des informations, pourtant, il persistait à les imprimer autant que la douleur le lui permettait.

– Hm, exact. Du coup, tu me reportes la Haute-Zévrine pour la "Gestation tri-génomes", l'Elfvar, tu laisses avec l'Elfe et tu lui ajoutes l'Humaine pour des "Gestations bi-génomes égaux". Les inhibiteurs sont prêts ?

Féhnaël ne comprenait pas.

– C'est prêt.

– Bien, vous me commencerez les injections pour la cellule F ce soir.

Leurs ravisseurs menaient des expériences sur des hybrides, mais dans quel but ? Qui voudrait en créer davantage ? D'une voix cassée, il ne put s'empêcher de questionner la médecin.

– Mais... pourquoi ?

Deux figures hostiles le dévisagèrent soudain. Il se tassa un peu plus sur lui-même.

– Rien que pour le plaisir de voir l'horreur agrandir tes grands yeux d'Elfes, je vais te le révéler. Nous voulons éradiquer les hybrides. Définitivement. Depuis des années, je cherche un moyen d'endormir la moitié des gênes du fœtus pour qu'il n'en reste qu'un individu pur et normal.

Comme la femme l'avait prévu, la révélation l'horrifia. Néanmoins, pour se donner une contenance, le jeune homme bredouilla une autre question :

– Mais alors, le Renard, que fait-il là ?

– Oh, lui ? C'est juste un service que nous rendons à notre mécène. Il n'a rien à voir avec nos expérimentations. Trêve de bavardages, j'ai d'autres choses à faire à présent. Doréan ?

– Madame ?

– Tu as carte blanche pour récupérer sa semence. Je la veux sur mon bureau dans une heure.


Texte publié par Carazachiel, 4 juillet 2018 à 09h31
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