Féhnaël
Alarmé, le jeune homme se fit violence pour ne pas bondir hors de la couchette ; l'Elfvar peinait à sortir de sa torpeur et n'avait pas encore libéré ses genoux.
– Taëdyl, bouge-toi ! Que se passe-t-il ?
– Je ne sais pas exactement. Tout ce que je peux te dire, c'est que ce soir, un détenu d'une autre cellule aura sans doute disparu.
– Ce serait plus simple de les endormir pour se débarrasser d'eux, non ?
La mercenaire se redressa enfin, haussa les épaules. Libéré, Féhnaël se précipita vers la grille dans l'espoir d'apercevoir quelque chose. Ces hurlements l'intriguaient. Les suppliques un peu rauques s'élevaient dans une langue inconnue. Jamais il n'avait entendu de telles sonorités. Il comprit au mouvement dans son dos que Taëdyl lui avait emboîté le pas et la questionna :
– Il y a d'autres Terriens dans cette prison ? Cette langue...
– C'est la langue des Renards.
Le cœur du métis se figea tandis qu'il se retournait d'un bloc : Régoël se tenait derrière lui, un sourire narquois aux lèvres. Féhnaël se sentit piéger, les barreaux froids collés contre son dos, cet homme menaçant à quelques centimètres de lui. Affolé, il chercha Taëdyl des yeux, aussitôt soulagé de la voir approcher, nonchalante.
– Il n'y a bien que les déchets dans ton genre pour ne pas reconnaître la langue de nos plus vieux ennemis. Tu as sérieusement confondu Renards et Terriens ? C'est à se demander comment tu as pu...
La langue du guerrier émit un claquement dédaigneux alors que son propriétaire avançait d'un pas. Hors de question de se laisser intimider. Même s'il faisait une bonne tête de moins que le Citadin, Féhnaël bomba le torse et se campa sur ses jambes avant de se pencher en avant, juste assez pour murmurer une phrase que seul Régoël entendrait.
– Ne cherche pas à savoir comment, je le sais, c'est tout. Et si tu veux que Kessa continue de l'ignorer, tu devrais songer à ne pas trop m'approcher. Un homme qui approche un hybride, c'est forcément suspect. Ou alors tu es prêt à t'afficher au bras d'une chose telle que moi ? Quitte à devenir un déchet aux yeux de tous ?
Horrifié, le guerrier bondit en arrière.
– C'est bien ce qu'il me semblait, ricana Féhnaël.
– Et la prochaine fois que tu approches mon petit ami, je te prierai de ne pas le draguer devant moi, susurra la voix traînante de la mercenaire. Et je le ferai d'une voix si forte que même si elle se trouve dans les toilettes, cette chère mage entendra.
– Vous êtes...
En position de faiblesse, le guerrier ne trouvait pas ses mots. Ses yeux exorbités fixés sur Kessa transpiraient sa peur d'être découvert.
– Les seuls ici qui ne te regarderont jamais avec dégoût. Enfin, pas pour ça. Tu restes un Citadin tout de même, conclut Féhnaël. Dommage que tu préfères fréquenter cette Haute-Zévrine. Pour quoi au final ? Sans doute rien puisqu'on ne sortira jamais d'ici. Mais à toi de voir si tu veux passer tes derniers moments dans le plus gros mensonge de ta vie.
– Ferme-là.
Enhardi, le jeune homme faillit répliquer, mais se retint de justesse. Le doute se mêlait à la fureur dans les yeux de l'Elfe, mieux valait en rester là et le laisser cogiter.
– J'ignore si tu l'as fait exprès, mais remettre son allégeance en cause est plutôt malin. Si l'occasion se présente de mettre le feu aux poudres, on peut se le mettre dans la poche pour l'évasion.
– Je ne l'ai pas vraiment fait exprès, pour être honnête. J'ai juste joué les braves...
– Ça se voit, tu es tout gris.
– Je suis toujours gris, c'est ma couleur de peau, souffla-t-il.
– Oui, mais là, tu es gris cadavre, pas gris Elgrim. Et tes pupilles sont complètement dilatées.
– UN ZOMBIE ! C'est un zombie, je le savais !
Le brusque hurlement de l'Humaine vrilla les tympans sensibles de Féhnaël. Éberlué, il constata qu'elle se tenait debout, les yeux exorbités, l'index pointé sur lui. Après quelques secondes de flottement, où tous considérèrent la jeune femme comme si elle avait sombré dans la folie, celle-ci hurla derechef et courut jusqu'aux toilettes. Le silence plana encore quelques instants, personne ne bougea. Au vu de leurs mines perplexes, les autres ne comprenaient pas plus que lui.
Enfin, l'un d'eux se racla la gorge et osa la question que tous se posaient :
– Qu'est-ce qu'un "Zombie" ? Une nouvelle insulte pour les hybrides ?
Ni Taëdyl ni Féhnaël ne prirent la peine de répondre : Kessa ne s'adressait pas à eux.
– Aucune idée, grogna Régoël. Je ne suis pas expert en civilisation humaine.
– On va dire que c'est une insulte alors. Dorénavant, si j'ai besoin de parler à ce... à cette chose, j'aboierai : zombie !
– Ce n'est pas un canidé, s'irrita le guerrier.
– Tu as un canin ? Si c'est le cas, pardon, je ne voulais pas l'insulter...
La conversation se poursuivit, perdant un peu plus d'attrait chaque seconde. Le duo infernal tombait dans un schéma classique : ils cherchaient l'animal qui qualifierait au mieux les mâtinés. Aucun intérêt. Mieux valait se concentrer sur les beuglements qui résonnaient toujours.
Provenaient-ils réellement d'un Renard ou bien le Citadin s'était-il payé sa tête ? Féhnaël lorgna du côté de la mercenaire. Assise à même le sol, elle fixait un point droit devant elle. Peut-être les toilettes où avaient disparue l'Humaine, il n'aurait su le dire.
Après s'être laissé tomber à ses côtés, il la questionna à voix basse.
– C'est vraiment la langue des Renards ?
– Je n'en suis pas sûre. Un dialecte qui s'en approche, sans doute ?
Avec lenteur, elle tendit l'oreille. Le pavillon de l'appendice auditif pivota vers la droite, vers la gauche, s'orienta en bas puis en haut tandis que la pointe semblait danser.
– Une version plus évoluée de la langue en fait. Soit c'est un langage codé, soit il fait partie de la Noblesse Renarde.
– Tu as vu beaucoup de races différentes ici, non ?
Elle hocha la tête, il poursuivit :
– C'est peut-être bien un Renard alors. Je pense qu'ils font des expériences génétiques sur nous. Ça expliquerait qu'il y ait pas deux membres de la même race ou espèce ici. Et ça expliquerait la présence d'un Renard. Sauf que tu n'as pas vu de Renard. Il était peut-être gardé dans une cellule à part ?
– Oui, sans doute.
Quelque chose perturbait l'Elfvar. Ses oreilles ne cessaient de gigoter tandis qu'elle tordait ses mains et se mordillait la lèvre. Aussi subitement qu'ils avaient déchiré le silence, les hurlements cessèrent. S'ensuivit des bruits de lutte, des grognements étouffés, puis plus rien. Le calme revint. Taëdyl lâcha un sifflement contrarié.
– Les disparitions ne se déroulent jamais comme ça, devina-t-il.
– Non. Absolument pas. Les cris ne durent pas plus de deux minutes, ils sont bien plus... torturés. Ils suintent la souffrance. Ici la victime... je crois qu'elle les insultait. En fait...
Le menton de la mercenaire point vers Kessa.
– Le discours était assez similaire aux jérémiades de celle-là. Il parlait de son rang, de son Père qui enverrait l'armada des Hachéris pour le récupérer. Tu sais ce que c'est ?
À son tour, Féhnaël hocha la tête.
– De puissants guerriers Renards armés de haches. Mais je vois surtout qu'il ne s'agit en aucun cas d'une suppression de cobaye ici. C'est une arrivée. Et une arrivée tout à fait anormale.
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