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Hormis ses yeux plissés, le visage de Taëdyl demeurait indéchiffrable. Elle observa ainsi Féhnaël un long moment avant de bondir pour se planter devant lui, poing sur les hanches.

– Donc tu es un bâtard indéfini qui sait distinguer les Espions des guerriers ou mercenaires Elfvars.

La remarque fit tiquer le jeune homme, mais il n'en montra rien ; rien de sarcastique dans le ton de Taëdyl, elle exposait des faits, rien de plus, rien de moins. Alors, il crut bon se préciser, pour donner le change :

– Elfgrims aussi en fait.

– Voilà qui est peu courant. Non, en fait, ça n'arrive même jamais, personne d'autre que les Espions eux-mêmes ne peut être catégorique à ce point.

Elle marqua une pause, les yeux écarquillés de stupeur.

– Attends, tu n'es tout de même pas...

Féhnaël se mordit l'intérieur des joues. Peut-être aurait-il dû s'abstenir, finalement. La moindre parole de trop et elle devinerait qu'il n'avait rien d'un Espion. Il s'étonnait même que la mercenaire ne l'ait pas encore compris ;  feu l'Empereur n'avait jamais embauché le moindre hybride, et son petit-fils n'avait pas encore eu l'occasion de se lancer dans le moindre recrutement. Taëdyl possédait une bonne dose de jugeote, tôt ou tard, elle réaliserait que le métis ne pouvait en aucun cas être un de ces fameux Espions. En attendant, mieux valait entretenir le doute :

– Tu dois bien te douter que dans aucun cas je ne pourrais, ni ne voudrais, l'infirmer ou le confirmer. Et puis, on a tous des secrets à cacher, non ?

– Certes, mais...

– Même toi, la coupa-t-il. 

Féhnaël darda sur elle un regard inquisiteur qu'elle soutint quelques secondes avant de détourner les yeux et de se rasseoir sur la couchette. Pour autant, elle ne montrait pas la moindre gêne. Au contraire, elle souriait, impossible de savoir si les doutes qui commençaient à germer dans l'esprit du jeune homme étaient fondés.

Un silence agréable s'installa entre eux. Les minutes passèrent sans que rien ne troublât le calme des lieux. Assis en tailleur à l'opposé de la pièce, Régoël leur lançait des œillades à intervalles réguliers tandis que Kessa faisait les cent pas sur la pointe des pieds. De temps à autre, elle tirait sur les bracelets noirs ceints à ses poignets. Des bracelets anti-magie, voilà comment ils parvenaient à garder cette mage sous contrôle. L'Humain, toujours au même endroit, avait tout de même fini par relever la tête. Elle observait les alentours à travers le rideau formé par ses cheveux. 

À ses côtés, Taëdyl ne bougeait pas, ne prononçait pas le moindre mot. Penché en arrière, les mains posées à plat sur le matelas dur et les yeux mi-clos, Féhnaël profitait de ce moment de quiétude. Son métissage lui valait la haine gratuite des personnes qu'il croisait, et même si l'animosité se révélait moins virulente depuis qu'il était retourné vivre chez les Elfvars, il restait la cible d'attaques verbales régulières. La seule solution qui se présentait ? Rester chez lui, bien à l'abri. Une solution encore imparfaite : quand Saëdann partait en mission pendant des semaines, Féhnaël n'avait pas le choix, il devait sortir. Si seulement il avait existé un autre moyen que le marché pour s'approvisionner, il aurait pu éviter la plupart des crachats et insultes ! Malgré les années, ces sorties l'usaient et lui pesaient toujours.

À présent qu'il y songeait, ces sorties solitaires devaient avoir laissé penser aux scientifiques qu'il n'était qu'un hybride isolé, sans la moindre attache. S'il avait osé se montrer en compagnie de Saëdann, peut-être que ces gens ne se seraient jamais intéressés à lui... il serait encore cloîtré dans leur petit appartement, à réfléchir au meilleur moyen légal de rassembler l'argent dont ils avaient besoin.

Il secoua la tête avant de grommeler :

– Avec des "si"les Zévrins ne gouverneraient pas le monde. 

Sa phrase claqua dans le silence, lui attirant l'attention de tous les occupants de la pièce. Son regard croisa celui de Régoël, il y décela quelque chose de malsain qui lui fit froid dans le dos. Il devait vraiment se méfier de cet homme. 

– Il t'arrive souvent de parler tout seul à voix haute ?

– C'est la solitude qui veut ça. Quand tu restes des semaines sans voir personne d'amical, tu finis par parler tout seul.

– Je vois... enfin, je pense, je ne suis jamais totalement seule, il y a toujours un visage ami ou amant dans le coin. Mais alors... tu n'as plus de famille ? Pas de frère et sœur ?

– Je pensais qu'une femme comme toi savait que les Elfes Noirs ne gardent jamais plus d'un enfant, railla-t-il.

– Faux.

Le corps de Taëdyl se tendit, le sujet semblait la toucher de près. 

– Parfois, ils gardent les deux plus robustes de la portée pour vendre le cadet à l'empereur.

– Certes, mais dans mon cas, jamais l'empereur n'achèterait un hybride.

– Exact, les hybrides... n'intègrent jamais les rangs des Espions ou des Assassins.

Il frissonna. Il en avait trop dit, encore une fois. En théorie, suivre les bons conseils de son Espion était facile, en pratique... Féhnaël ne cessait de faire des bourdes. Le silence revint, plus pesant cette fois jusqu'à ce que Taëdyl toussote.

– En fait, je voulais savoir si tu en avais eu, je... disons que j'ignore si les grossesses interespèces ont six ou sept elfillons comme les " sangs purs".

– Je l'ignore, souffla l'hybride, soulagé de changer de sujet. Je n'ai jamais posé la question à ma mère. Tout comme je ne lui ai jamais demandé l'identité de mon père.

– Donc, aucune chance de savoir s'il a eu d'autres enfants.

– Aucune.

Le mensonge n'était pas gros, mais il lui permettrait au moins d'éviter de revenir sur ses origines. Féhnaël ne pouvait parler de son père, Tannéel, sans évoquer le peuple de celui-ci, chose qu'il voulait éviter à tout prix.  Et puis, la dernière fois qu'il avait vu l'homme, des années auparavant, celui-ci vivait encore seul. Sa mère et lui lui rendaient visite une fois par mois, mais un beau jour, l'Elfgrimm avait coupé les ponts sans fournir d'explications. Si son père l'avait cherché par la suite, Féhnaël n'avait jamais été au courant.

– Tu es bien la première personne à me demander ça.

Encore un pieux mensonge, Saëdann connaissait tout de sa vie. Néanmoins, l'Espion avait de bonnes raisons, il voulait protéger le métis, et pour cela, il avait décortiqué chaque instant de son existence. Les raisons de Taëdyl demeuraient obscures... se pouvait-il qu'elle ait eu une liaison avec un mâle d'une autre espèce ? Après tout, il savait déjà qu'elle était...

– Je suis juste curieuse. 

– Moi aussi, mais pas à ce sujet. Et puis, ça ne m'intéresse pas, ce n'est pas comme si lui ou ses rejetons officiels m'accepteraient. Je ne suis même pas sûr qu'il ait su pour la grossesse.

Maintenant qu'il avait commencé à enrober la vérité, autant continuer...

– Moi non plus je ne voudrais pas me découvrir un frère... comme ça, ricana la mage. Ce serait pire que d'être renié par ma famille ! Une tare qui entacherait notre honneur pour l'éternité ! Je ne comprends pas que certaines mères épargnent encore ces monstres à qui elles donnent naissance.

– Ce n'est pas comme si tu étais en capacité de comprendre, cracha la mercenaire.

– Je me demande aussi pourquoi on laisse les Elfes noirs s'accoupler. Faudrait tous vous stériliser à la naissance.

– Il paraît que les esclaves sexuels le sont, remarqua Régoël. Ça évite que les prostitués perpétuent leur engeance. 

– Et ça permet aux guerriers tels que toi de les sauter sans problème, c'est ça ? s'enquit Taëdyl, un sourire narquois aux lèvres. À moins que tu ne préfères...

– Ferme-là, la charbonneuse.

Le guerrier lui tourna ostensiblement le dos. Pour lui, la conversation était close. De cet échange, Féhnaël n'avait pas perdu une miette. Kessa lui avait, sans le savoir, confirmé un fait qu'il soupçonnait déjà —elle avait fait la Une d'un fait divers sur une chaîne de la visio zévrine. La remarque de Taëdyl avait attiré son attention sur l'Elfe ; elle savait quelque chose à son sujet, c'était évident.

L'Espion apprenti se focalisa donc sur Régoël : occupé à écouter les insanités que balançait la mage sur les Hybrides, il l'imitait en jetant des regards appuyés à Féhnaël. Mais tandis que ceux de la jeune femme se chargeaient de haine et de dégoût, ceux du guerrier gardaient cette lueur malsaine, cette étincelle mauvaise des prédateurs face à leur future proie. Le geste maladroit que fit Régoël pour éviter de toucher la main de Kessa confirma ses derniers doutes : lui aussi possédait un secret honteux, inavouable pour le Guerrier Impérial qu'il était.

Kessa, Régoël, lui. Tous trois parias aux yeux de la société zévrine. Coïncidence ? Non, aucune chance. Les chercheurs avaient choisi leur proie avec soin, des êtres que personne ne rechercherait. Ils avaient sans doute étudié, traqué chacun d'entre eux pendant des semaines avant de se décider. Mais alors, pourquoi Taëdyl ? Si elle était enceinte comme il le supposait, elle serait plutôt dans la catégorie "ne pas toucher". À moins qu'ils ignorent sa grossesse —Féhnaël ne doutait pas d'avoir raison sur ce point.

Soudain, une des réactions de Taëdyl lui revint. Elle s'était tendu à l'évocation des fratries.

– Tu es une illégale, réalisa-t-il.


Texte publié par Carazachiel, 24 mai 2018 à 09h37
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