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Féhnaël

La question lui envoya un coup de poing à l'estomac. Il n'avait pas encore recouvré tous ses esprits qu'on le harcelait déjà. Que feraient ces médecins pour obtenir ses aveux ? Il ne voulait pas le savoir, mais il comptait bien leur résister aussi longtemps qu'il le pourrait. Tant qu'ils ne sauraient pas, ils le garderaient en vie. Peut-être le tortureraient-ils, mais jamais au point de l'empêcher de parler. S'il tenait assez longtemps, ça permettrait à Saëdan de venir le chercher... si celui-ci parvenait à le localiser.

Péniblement, il se redressa... et manqua de vomir sur la jeune femme accroupie à ses côtés. Si sa tête ne martelait plus, ses yeux le brûlaient, il voyait flou tandis que son estomac, lui, protestait à grand renfort de gargouillis. Il ne distinguait à ses côtés qu'une vague silhouette bleue et noire. Sans doute une Elfvar. Depuis quand les Elfvars exerçaient-ils des métiers scientifiques ?

– Pour sûr, t'es pas Zévrin. Ni Humain. Mais alors qu'es-tu ? Vraiment, ça m'intrigue !

– Je ne vois pas de quoi vous parlez, gémit-il, les deux mains pressées sur son ventre.

– Les différences sont infimes, c'est certain, mais elles sont bel et bien là. La pointe de tes oreilles, par exemple. Celles des hybrides Elfe Noire et Humain sont légèrement arrondies alors que les tiennes sont effilées, comme les sangs purs. Alors, oui, ça pourrait venir du fait que tu sois en partie Zévrin, la couleur de tes yeux a failli me leurrer. Mais tu as des lentilles enchantées qui les font paraître marron. Pourquoi de telles lentilles si tu es Zévrin ?

Voilà pourquoi ils avaient embauché une Elfe Noire. Ses capacités d'observations et d'analyse devaient dépasser de loin celles de ses collègues. Après tout, un homme avait déjà vérifié ses yeux, et cet homme n'avait rien détecté malgré un examen approfondi. Et cette fille venait de le percer à jour en un coup d’œil !

La terreur eut raison de la douleur. Il bondit sur ses pieds, tant pis s'il vomissait, chancela. L'elfvar le rattrapa aussitôt. Le simple contact de sa main sur son avant-bras éveilla le souvenir d'heures entières passées à s’entraîner avec son Espion.

– Par Eden, laissez-moi tranquille ! Qu'est-ce que vous me voulez à la fin ?

Peu importe que son cri alertât tout le bâtiment, il voulait juste détourner l'attention de son agresseuse et gagner du temps pour se débarrasser d'elle. L'instant d'après, il balançait son talon gauche dans les côtes de son adversaire. Elle esquiva d'un mouvement de bassin les mains nouées devant son abdomen. Féhnaël en profita pour reculer de quelques pas. Ses lentilles parvinrent enfin à faire une mise au point correcte, et il put la discerner : elle appartenait bien à la branche des Elfvars, sa peau d'ébène ne laissait aucun doute à ce sujet.

– Tu jures et tu bouges comme un vrai Elfgrim en tout cas, s'amusa la jeune femme. Et ne panique pas, je ne te veux aucun mal.

– Tu n'es pas l'un d'eux.

– L'une d'elles, rectifia-t-elle aussitôt. Et en effet, je mets pas cette tunique bleue parce qu'elle me va au teint. Je suis prisonnière, tout comme toi. On dirait que tu vas tourner de l’œil, viens donc t'asseoir sur une des couchettes. Et puis, il vaut mieux t'éloigner des autres pour le moment.

Les autres ? Oui, il pouvait les entendre murmurer dans son dos. Il distinguait même des insultes : « immonde mâtiné » « bâtard putride », des joyeusetés qu'il avait l'habitude d'entendre... mais qui ne l'en meurtrissaient pas moins. Et il n'était pas en état de les affronter, il n'avait même pas la force de les regarder.

Face à son manque de réponse, l'Elfe Noire le saisit sous l'aisselle et l'appuya sur sa propre épaule avant de l'entraîner vers le fond de la pièce. Féhnaël avait deux choix : la repousser et se débrouiller seul ou profiter honteusement de sa béquille. Il opta pour la seconde solution. Si les autres le pensaient faible, il aurait un avantage certain quand l'un d'eux s'en prendrait à lui. Nul doute que ce moment arriverait, il était un hybride. Il n'était rien à leurs yeux. Au mieux, il serait un défouloir. Sauf peut-être pour l'Elfvar à ses côtés, elle ne devait guère être appréciée elle aussi. En cas de fuite, elle pouvait aussi s'avérer une alliée de poids, au contraire des autres.

Tandis qu'il clopinait, avachi sur la jeune femme, il trouva le courage d'observer ses colocataires pour s'en assurer... et grimaça. Un Elfe Citadin et une Haute-Zévrine, la pire combinaison possible. Féhnaël n'appréciait aucune de ces deux races : imbues d'elles-mêmes, hautaines, désagréables, elles avaient une fâcheuse tendance à considérer que tout leur était acquis et que les autres devaient forcément les servir. Bien sûr, il y avait certaines exceptions. Dont le Premier Dignitaire de l'Empereur, bien connu pour imposer de nouvelles lois progressistes. Mais elles restaient trop rares pour pouvoir influer le jugement du jeune métis.

Inutile de compter sur eux s'il fuyait un jour. L'Elfe Citadin ne servirait en aucune façon, il risquait plutôt de l'égorger à la première occasion ou de se servir de lui comme d'un bouclier. La mage, moins dangereuse n'en demeurait pas plus digne de confiance. Elle préférerait sans doute mourir que de l'aider. Non, décidément, l'Elfe Noire était sa seule option.

Envoûtante avec ses cheveux courts argentés, ses yeux d'or liquides. Bon, en réalité, même si elle était plutôt jolie, son charme le laissait indifférent, mais il connaissait le potentiel d'un tel regard. Sa propre mère possédait le même et lui avait mainte fois sauvé la vie en battant des cils. Même si bien souvent, on retrouvait un cadavre quelques heures plus tard. Jusqu'à ce jour où... il ne voulait pas y penser.

Pour se changer les idées, il étudia les lieux : une pièce rectangulaire, désuète avec son papier peint gris et son sol en vinyle façon bois. Une grille, dernier cri en termes de sécurité, courait sur tout un côté, bordée par un couloir assez large. Le mur du fond, celui vers lequel ils se dirigeaient, s'ornait de huit lits superposés, et une ouverture crevait celui de gauche. Des toilettes, sans doute, Féhnaël ne voyait pas à quoi d'autre une petite pièce carrelée attenante pourrait être destinée. Une ampoule nue pendue au bout d'un fil électrique éclairait les lieux. Le jeune homme s'attendait à la voir clignoter, à l'entendre grésiller, ou autre chose qui aurait donné un air lugubre au lieu, mais elle ne faillit pas.

Alors qu'elle l'installait sur une couchette basse, elle se présenta :

– Taëdyl, et toi ?

– Féhnaël.

– Ta mère est donc de ces Elgrims-là, grinça-t-elle.

– ... pardon ?

– Ceux qui préfèrent renier leurs racines et donner des noms de palots à leur enfant. Jamais je ne ferai ça, cracha-t-elle en regardant ses mains.

Soudain inquiet à l'idée qu'elle découvre un de ses secrets, il contre-attaqua.

– Tu es donc de ces Elfvars-là. De ceux qui ne supportent pas le changement et l'évolution. De ceux qui jugent sans savoir, sans connaître. Qui te dit que ma mère était Elfgrim ? Qui te dit que mon prénom vient d'elle ? Que j'ai été élevé par elle même ? Parce que « d'habitude, les hybrides restent avec leur génitrice » ? Excuse-moi, mais j'ai encore mal au ventre, je vais me reposer maintenant, si tu pouvais me laisser.

Ébahie, Taëdyl secoua la tête avant de se hisser sur la couchette supérieure. Féhnaël se laissa tomber en arrière, contrarié. Le pire : elle avait en partie raison. En partie seulement. Sa mère était bel et bien Elfgrim. Elle lui avait également donné son prénom, un prénom aux sonorités Citadines. Elle était toute jeune, elle avait cru bien faire. Lorsqu'elle avait réalisé son erreur... encore un souvenir malheureux auquel il refusait de penser.

– Féhnaël ? Je suis désolée, je n'aurais pas dû, susurra une voix toute proche.

Maîtrisant à grand-peine un frisson, le jeune homme se redressa pour la dévisager ; il ne l'avait pas vu redescendre.

– Je peux m'asseoir ?

Il hocha la tête, sans la quitter des yeux. Maintenant que sa frayeur était retombée, il se rendait compte qu'il avait été injuste. Injuste et irréfléchi : il devait se mettre Taëdyl dans la poche, pas en faire une ennemie. L'Espion qu'il fréquentait lui avait enseigné à tirer profit de tout ce qui s'offrait à lui. Rien ne devait être laissé au hasard. Il fallait scruter, analyser, décortiquer chaque indice. Tout pouvait servir à manipuler et parvenir à ses fins. Et il avait déjà relevé quelques détails intéressants dans le comportement de l'Elfvar.

Féhnaël se racla la gorge :

– C'est moi qui suis désolé. Et sinon... tu sais où on est ?

À cette question, la langue de Taëdyl se délia. Elle lui raconta en détail tout ce qu'elle savait sur les lieux, sur les gardiens, sur leur routine. Ce dernier point en particulier retint l'attention de Féhnaël : ils n'auraient qu'une chance par jour de s'évader. Le matin, bien trop aléatoire, ne devait pas être pris en compte. La jeune femme parla ensuite de son passé de mercenaire, très rapidement avant de s'intéresser à leurs co-détenus. Une Humaine que l'hybride n'avait pas encore remarquée et les deux autres : le soldat impérial, Régoël et la mage, Barossa. Devant sa mine surprise — il n'avait jamais entendu ce prénom auparavant — elle lui avoua qu'il s'agissait d'un petit surnom secret.

Pour la première fois depuis des années, Féhnaël se laissa aller en présence d'une inconnue. Il se prit même à trouver leur conversation agréable, réconfortante. Les yeux pétillants de son interlocutrice lui rappelaient ceux de sa mère, lorsqu'elle le voyait revenir, les soirs. Tout à ses rêveries, il ne s'aperçut pas immédiatement qu'elle avait cessé de parler.

– Tu m'observes avec un air bien pensif.

– Tu as presque les mêmes yeux que ma mère, répondit-il en toute honnêteté.

La surprise marque les traits de la mercenaire.

– Tu... évoques ta mère d'un ton très tendre, sans parler de la manière dont tu l'as défendu tout à l'heure... Tu ne la hais donc pas ?

La question le prit au dépourvu. Il détourna les prunelles, gêné, ne sachant que répondre.

– D'habitude les hybrides... comment dire... en général ils...

– Ils en veulent à ceux qui les forcent à venir au monde, ils les haïssent au point de souhaiter leur mort, c'est ça ?

– Pardon, j'aurais dû tenir ma langue, encore une fois. Mais tu es tellement différent des autres ! Tu aimes ta mère, tu es un hybride... indéfini, tu...

Hors de question qu'il s'engage sur ce sujet. Si cette Elfe Noire, la seule qui aurait pus e douter de quelque chose, n'avait pas réussi à déterminer la race de son père, il n'allait certainement pas se trahir. Pas tant qu'il ne savait rien sur elle. Avoir une monnaie d'échange, voilà qui le mettrait à l'abri d'un coup bas. Pour le moment, il devait juste changer de sujet :

– Tu es tellement curieuse, tu aurais dû tenter l'académie des Espions Impériaux.

– J'en sors peut-être, rétorqua-t-elle du tac au tac.

– Et moi, je peux affirmer sans me tromper que non. Mercenaire n'est pas ta couverture. Tu n'es pas une Espionne.


Texte publié par Carazachiel, 17 mai 2018 à 21h53
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