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Altitude des Songes Tome 1-La voie de l'espoir
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tome 1, Chapitre 2 « 2-LE JEU DES ROIS » tome 1, Chapitre 2

J'approchai de notre capitale par le nord à travers la forêt dense qui recouvrait les dernières pentes de nos montagnes, tous les grands sentiers n'étaient plus entretenus depuis un long moment. Je donnais quelqu'un coup avec mon épée pour trancher les plantes qui avaient poussé depuis mon dernier passage. Mon peuple avait quasi abandonné cette partie de notre royaume, les villages à l'ouest s'étaient progressivement transformés en garnison qui servait de point relai pour nos patrouilles frontalières.

Je marchai avec une foulée rapide pour hâter mon arrivée, la lumière peinait à trouver son chemin à travers cette armée de végétal, mais je n'avais pas besoin de voir l'astre solaire pour me diriger. Je passai en revue mes prochains déplacements, nous étions séparés avec le capitaine Oskar dans la matinée, il avait obliqué sa route vers le sud-ouest pour préparer mon arrivée à la cité d'Haltica. Je sentais les animaux se pousser devant mon passage, les grands prédateurs connaissaient mon odeur et celle de mon frère qui était hautement respecté.

Je sortais enfin de la forêt, son aspect sauvage s'arrêtait net en vue de la muraille nord de Lastlantia, la main de mon peuple avait maintenu un espace parfaitement symétrique avec les fortifications. La distance n'était pas due au hasard, elle correspondait à la distance de nos grandes armes de jet, cet espace à découvert entourait toute notre capitale, elle permettait aussi de faciliter le travail de nos guetteurs. Le soleil basculait lentement sous la ligne d'horizon sur ma droite, ses derniers rayons glissaient du sol vers les nuages, j'arrivais seule. Il n'y avait aucune grande porte au nord de la cité, la seule route qui montait vers nos montagnes, était fluvial par notre grand fleuve l'Oberfluss qui se jetait dans le grand Océan au sud.

Un petit bras d'eau avait été détourné pour alimenter les grandes douves qui entouraient les parties ouest et nord de Lastlantia qui était traversée par le plus grand fleuve du continent. Quatre cavaliers surgirent par un des petits pont levis, ils fondirent sur moi au grand galop pour m'entourer, j'avais déjà aperçu les sentinelles au sommet des fortifications brandirent leur arc dans ma direction. Je ne portai aucun uniforme ce qui venait de déclencher la procédure de contrôle, je revenais du royaume d'Itaq par le chemin le plus court qui n'avait croisé aucune garnison me permettant de récupérer un uniforme de Chevalier. Je brandissais mon laisser passer que j'avais dissimuler sur mon itinéraire de retour.

Halte-là étrangère, me dit le sergent de cavalerie.

Tenez sergent, voici mon autorisation, dis-je en tendant le document.

Il le tendit à son subordonnée en gardant sa lance dans ma direction.

- Notre roi a interdit l'accès à cette partie du royaume à tous les Lanthians qui ne sont pas dans notre armée, poursuivit le sergent.

- Pardon Sergent, il s'agit du Chevalier Douce, intervint le jeune soldat.

- Tous les chevaliers connaissent les directives …

- Je n'ai pas de temps à perdre, ni d'explications à vous fournir, dis-je sur un ton ferme.

J'étais fatiguée par cet excès de zèle, je rentrai d'une longue mission d'infiltration dans les royaumes du centre. Cela faisait presque trois années entières que je n'étais pas retourné à notre capitale. Les quatre cavaliers m'escortèrent jusqu'à l'intérieur des fortifications, un acolyte vint rapidement authentifier mon laisser passer. Je m'étais occupé d'entretenir et de créer mon réseau de renseignement. J'entrais dans ma quarante-sixième année, je me dirigeai vers le gigantesque bastion qui se trouvait à l'est de la cité, j'avais débuté ma formation en son sein.

J'avais passé quasiment les trente dernières à l'ouest depuis la fermeture de nos frontières, suite à ce qui semblait être un simple litige commercial, lorsque je n'étais encore qu'un jeune acolyte sous les ordres du Chevalier Clarté. Nous étions chargés de guider et de protéger la grande caravane annuelle, elle partait à la fonte des glaces de la chaîne de montagnes d’Ithor. Nous échangions nos tissus, nos laines et nos outils forgés contre de la nourriture, des semences et des vaches laitières à la frontière des royaumes d'Itaq et de Neustrasi. J'appris plus tard que ce commerce n'était pas vital pour notre peuple. Notre façon de vivre était tellement éloignée des autres royaumes que nous tenions à conserver des liens par des échanges honnêtes avec les pays voisins.

Notre refus de mettre en place un système de monnaie pour valoriser les échanges et notre refus de toute forme de violence était très mal compris par l'extérieur. Nous détenions un pouvoir extrêmement convoité par certain dirigeant des royaumes voisins. La tension montante avait progressivement restreint la fréquence de nos caravanes de marchandises. Je vivais depuis avec le poids des événements qui avait déclenché cette guerre froide, j'approchai de la grande porte de la Kasteel, ses murs étaient moins larges que ceux de l'enceinte extérieure, mais leur hauteur n'avait aucune commune mesure. Il était le cœur de notre magie, cet imposant assemblage de pierre protégeait les meilleurs mages de notre civilisation.

J'éprouvais toujours une certaine fierté en ces lieux, je regardai la gigantesque tour d'observation qui trônait au milieu du bastion, mon mentor avait la chance d'avoir ses appartements à son sommet. Je rentrais dans les entrailles de la Kasteel, son univers austère et dénué de décoration contrastait avec tous les châteaux que je connaissais. Je m'enfonçai dans les souterrains, les couloirs étaient déserts, des petits braséros illuminaient d'un faible halo les pierres. Je descendais vers le vestiaire réservé aux femmes dans le bastion, j'avais hâte de me prélasser dans l'eau chaude des thermes. J'actionnai le mécanisme qui libérait l'accès à ce havre de paix, je rentrai dans mon véritable chez moi.

La pièce était recouverte du sol au plafond par du bois, il s'agissait des rares travaux des artistes de notre royaume. La couleur, les dessins, les runes gravées imprégnaient le vestiaire d'une forte ambiance de confort, il formait un carré de trente mètres de côté. Je me dirigeai devant mon casier et m'installai sur le banc qui lui faisait face. Je me séparais lentement de toutes mes affaires de voyage en les rangeant soigneusement dans un des sacs en tissu portant mon nom, je me dirigeai entièrement nu vers l'autre extrémité des vestiaires. Je le posai mes vêtements sales dans le chariot qui montait jusqu'au rez-de-chaussée où se trouvaient les lavandières qui s'occupaient de nettoyer et réparer nos affaires.

Je rentrai dans la pièce des thermes adjacents au vestiaire, je me lavais rapidement et pénétrais dans un des trois bassins d’eau fumante, deux femmes se tenaient dans le bassin tournant le dos à l’entrée

- Bonjour, Chevalier Douce, dis-je en rentrant avec précaution dans l’eau.

- Bonjour Douce.

- Bonjour Douce contente que tu sois de retour, dit une voix que je connaissais bien. Ne soit pas étonnée, je peux toujours détecter les esprits de mes anciens élèves.

- Maitre Prescia, Mère, je suis ravie de constater que vous m'attendiez.

- Tu ne viens pas souvent à la capitale rendre visite à ta vieille mère. Maitre Prescia s'est dit que j'aimerais te voir. Tu es ravissante, je suis heureuse que tu sois en forme. Ton père souhaite aussi te voir avant que tu ne repartes.

Je n'avais jamais croisé ma mère dans les thermes, le Maitre Prescia ne descendait pas souvent de sa tour. Elles s’écartèrent pour m’inviter à me placer entre elles.

- Je suis très honoré de votre accueil, mais je rentre juste le temps d'écrire mes rapports, de faire affûter mes armes et raccommoder mes tenues.

- Je suis ravie de constater que les combats qui ont usé tes lames ne t’ont pas blessé, dit le Maître Prescia.

Ma mère posa une main sur mes cheveux et l’autre sur mon épaule. Je sentais la chaleur agréable que dégageait son pouvoir spirituel.

- Tu es en pleine forme, tu m’en vois rassurer. Toutefois une chose m’intrigue. À quoi peut bien te servir toute cette énergie ? Demanda ma mère.

- Je vous le concède Maitre que cela peut paraître étrange. Je suis convaincue que cette graine plantée par notre mentor protégera notre peuple de l’extinction.

- Maitre Prescia m’expliquera plus tard en quoi consiste cette idée pendant le repas. Maintenant détends-toi ma petite Douce, tu auras besoin de toute ton énergie pour affronter ton père.

Je laissai la chaleur de l’eau détendre mon corps. Je n’avais pas fait une toilette complète depuis trois mois. Je me doutais que mon père m’attendait de pied ferme pour me reprocher ma longue absence. Après un long moment, je décidai de quitter le bassin. Je saisissais une serviette et entreprenais de me sécher.

J’avais toujours aimé les vestiaires de la Kasteel. Tout le mobilier était en bois d’Ithor marron chocolat, il était orné de gravures et de runes. Il recouvrait tous les murs de la pièce. Une sensation de simplicité et d’élégance s’emparait de moi dans ce lieu. Je remettais une buche dans le braséro qui chauffait les conduites d’eau qui alimentaient les trois bassins des thermes.

Je sortais de mon casier mon uniforme de cérémonie soigneusement plié. Un haut et un pantalon bleu clair, au niveau de la poitrine était tissé de fil noir l’emblème de mon peuple sur un cercle au fond blanc délimité par du fil doré. Je mettais la fine écharpe de cuir marron de l’épaule droite à la hanche gauche sur laquelle étaient épinglées trois fleurs de lys en argent représentant mon niveau dans l’ordre de la chevalerie. J’avais obtenu ce grade au retour de ma mission d’escorte de la dernière grande caravane commerciale. Nous avions avec l’aide de mon maitre permis à nos marchands et à nos soldats de rentrer aux pays en vie. J’avais en deux années seulement obtenu ma première fleur de lys. J’avais décroché la deuxième au bout de cinq années et la troisième sept ans plus tard. Cela faisait seize ans que j’étais au dernier niveau de mon rang.

La tradition aurait voulu que je prenne un élève dès mon accession au premier niveau de Chevalier. J’avais toujours été candidate pour les missions d’infiltrations et de renseignements les plus dangereuses. Je trouvai plus aisé de mener ces tâches seules. Je mettais mes sabres Lanthians qui ne sortaient jamais du royaume. Ils étaient bien trop reconnaissables que cela soit par la finition exceptionnelle de la lame, son poids ou le travail de sculpture sur la poignée.

J'étais plus une espionne qu'une guerrière. Mon bouclier le plus efficace était mes secrets et mon arme la souplesse de mon esprit. Une fois en tenue complète, je prenais le passage secret dans la salle des armes pour accéder au souterrain et ouvrir une porte masquée en actionnant un levier caché derrière un râtelier.

Mon père devait sans doute m'attendre dans sa salle de classe. Je marchai dans les couloirs secrets sous la forteresse qui devait m'emmener à travers un dédalle d'escaliers et de passages obscurs et venteux. Des fausses portes étaient installées sur les murs n'ouvrant sur aucune pièce, seuls quatre d'entre elles menaient à la surface. Maitre Prescia m'avait conduit la première fois dans le labyrinthe lorsque j’avais réussi le test pour devenir Acolyte, les vraies portes avaient toute des mécanismes d'ouvertures dissimulés, il n’existait pas de serrure conventionnelle dans notre royaume.

La connaissance était la clé, toute personne s'aventurant sans elle, resterait un long moment dans l'obscurité. Je débouchai dans l’aile du palais où se trouvaient la bibliothèque officielle, les salles de cours et la salle du conseil des Maîtres. A ma connaissance, il n'existait pas d'autre point d'entrée à cet univers fermé.

J'arrivai devant la salle du Maitre Synergie. Je frappai à la porte et entrais dans la pièce. Mon père était à son bureau sur l'estrade au centre d'une pièce rectangulaire qui était entourée de petites tables et de chaises. Quasiment tous les murs étaient couverts de bibliothèques remplies de livres. La lumière rentrait par quatre orifices et par un jeu de petits miroirs. La pièce se trouvait globalement bien illuminée. Il leva les yeux de son parchemin et l’enroula dans son étui sans me quitter du regard.

- Bienvenue Chevalier Douce cela fait un long moment que vos pieds ne vous ont pas ramené à la capitale. J'espère que tout ce temps passé loin de notre peuple lui servira à terme.

- Mon roi, répondis-je précipitamment.

Il s'adressait à moi en tant que Roi et non en tant que père. Mère m'avait joué un tour qui devait fortement l'amuser.

- Je n'ai pas encore eu le temps de rédiger mon rapport, me rattrapai-je.

- Je suppose que s’il y avait eu des choses importantes, vous seriez venue m'en faire le rapport immédiatement n'est-ce pas Chevalier ?

Je me contentai de me redresser et de lui adresser un hochement de tête.

- Bien nous avons beaucoup de choses à nous dire, commençons par une petite partie.

D'un simple coup d'œil il m'invitait à prendre un plateau et les pièces du jeu des rois dans une armoire. J’installais les seize pièces noires et blanches de part et d’autre du plateau sur le bureau. Il avait installé une feuille et une plume de chaque côté de la table. Nous notions les coups pour les réexaminer plus tard et rejouer les différentes variantes. Il s’agissait d’un test. Le jeu des rois permettait de travailler et d’améliorer les notions de tactique et de stratégie. Un grand Maitre avait une phrase que je trouvai très pertinente.

« La Tactique consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il y a quelque chose à faire.

La Stratégie consiste à savoir ce qu'il faut faire quand il n'y a rien à faire »

La partie commença dans un silence troublé uniquement par nos plumes grattant la surface du papier. Je me retrouvai vite dans une ancienne et inconfortable position. Mes pièces fortes protégeaient chèrement une chaine de pion au milieu de jeu. Ils étaient la clé de toute ma défense interdisant toute la grande diagonale gauche ainsi que les cases noires du centre à mon adversaire.

Déjà à trois reprises, j'avais tenté cette ouverture. La première fois j'avais perdu par manque d'initiative, la deuxième fois trop offensive et la troisième j'avais tenté de contourner sa défense. Je me souviens encore de ses mots, " tu étais plus près de l'idée de cette ouverture la dernière fois".

J’avais rejoué ses parties dans ma tête de nombreuses fois durant ses quinze dernières années. Je m'arrêtai pour réfléchir, la partie était à un moment charnière de cette ouverture « la défense Lanthiane ». Je ne savais pas comment mais quelque chose était différent. Je regardai les pièces en me remémorant les parties précédentes. Mon regard avait changé là où je ne voyais que des mauvais coups, j'imaginai un enchaînement de coup intéressant. Par le passé, je ne regardai le jeu qu'en termes de matériel, de force offensive et défensive.

J'avançai un de mes cavaliers en sacrifice forcé, il ne pouvait ne pas le prendre. Je continuai mon attaque en offrant mon second cavalier après trois échanges j'avais perdu deux cavaliers et un fou contre un pion et un fou. Je venais de créer une brèche dans sa défense tout en plaçant ma reine et ma tour en position de menacer son roi. Malgré sa supériorité matérielle. L’avantage positionnel me permettrait dans moins de trois coups de prendre sa dame et de prendre un avantage certain. D’un regard rapide il se résolut à coucher son roi en signe de défaite.

- Félicitation Douce, tu es le premier Chevalier de ta génération à me battre.

- C'est la quatrième partie et tu as joué la même ouverture à chaque fois, je n'ai aucun mérite.

- J'ai peut-être joué la même ouverture, mais j'ai joué pour gagner. Tu n’as pas eu le loisir comme moi de t'entrainer pendant près d'un demi-siècle en temps de paix. C’est à peine ton âge. Tu es une enfant douée, ne sous estime pas ton exploit avec aussi peu d'entraînement.

Il marqua une pause en se levant et en rangeant les pièces dans l'armoire.

- Comptes-tu continuer longtemps cette mascarade de patrouiller sous l'allure d'un simple soldat ?

- La devise de notre peuple est « le temps est notre alliée ».

- Tu es très brillante, tu peux m'interdire ton esprit, mais je peux toujours déceler l'ombre d'un mensonge ou d'une demi-vérité depuis que tu es haute comme ça. D’un geste de la main il me montra la taille que je devais avoir quand j'étais Acolyte.

- J’aime bien savoir ce que pensent mes hommes.

- Même si tu es très jeune. Au regard de tes capacités et ton expérience, tu devrais déjà être Maitre et tu devrais déjà avoir un élève à qui transmettre ce que tu as appris.

J'étais acculé devant un mur d’argument que je ne pouvais franchir. Je voyais clairement sa tactique, mais je ne tenais pas vraiment à toutes ses responsabilités. Les négociations entre le royaume de Vituri et de Vasconi que j'avais aidé en sous-main ne devraient pas tarder à échouer.

Le Prince Villyann était en charge des pourparlers. J'espérais qu’il profiterait de ce rapprochement pour me rejoindre. Je l'avais approché il y a vingt ans de cela. Il n’était encore qu'un enfant et moi une jeune femme. J’avais commencé à le chercher près de dix ans après ma première vision dans les montagnes d’Ithor. L’homme que je voyais toutes les nuits maitrisait le vent et portait des armes façonnées par mon peuple. Je le cherchais tel qu'il était dans mes songes, pour réaliser après quatre ans de vaine recherche qu'il n'avait que six ans.

Il n’était pas le plus doué dans la maitrise du vent, mais il était malin. J'avais décidé de l'observer avant de prendre contact. Il semblait ouvert, gentil et amical. Au bout de trois jours, j'avais décidé de l'approcher et de me présenter. Je restai douze jours en sa compagnie. J’avais été présenté au roi qui n’était pas encore son père en ce temps-là. Beaucoup de gens du cercle restreint du souverain ne voyaient pas d’un bon œil ma présence. Je m'étais présenté sous le nom du Chevalier Protège qui était le nom de la sœur du mentor de mon maitre.

De leur point de vue, les Lanthians formaient un peuple très renfermé sur lui et pas très accueillant surtout au niveau alimentaire. Nous ne consommions aucune viande. Nous faisions d'excellents fromages de toutes sortes avec du lait de brebis, de chèvre et de vache. La présence d'un Chevalier Lanthian sur leur terre était déjà très rare avant la fermeture de nos frontières. Après dix années d’une guerre froide où régnait une méfiance extrême entre tous les royaumes, ma présence devenait très atypique. Je vivais, mangeais, m'entrainais et conversais avec eux. Beaucoup pensaient que j'espionnais, mais cela n'avait pas d'importance. Le vieux roi croyait en moi comme je croyais en Villyann qui était le fils unique d'un cousin éloigné du Roi. Je l’observais longuement et discutais avec lui.

Je le comparai avec l’homme de mes visions qui portait la couronne du Royaume de Vituri. Il portait aussi des armes de conception Lanthianes avec un emblème sur la poitrine que je n’arrivais pas à discerner correctement un oiseau bleu sur fond blanc sur la partie supérieure et un cheval blanc sur fond bleu sur la partie inférieure.

Son épée était courte et à double tranchant. La lame était large à la garde et se finissait en pointe de flèche à son extrémité. La forme était de style typique des guerriers du royaume du vent, mais les runes y figurant étaient celles du premier clan Lanthian. Le bouclier était de forme ovoïdale portant l’emblème de peuple Lanthian. La finition de la gravure était exceptionnelle. Sur les trois branches se trouvaient les runes de l’amour, de la compassion et de la sagesse.

Avant de le quitter, je plaçai sur lui deux sceaux. Le premier me servirait à observer ses progrès et le second à le localiser quand il viendrait à moi. Je lui avais fait la promesse que mon peuple aiderait le sien en cas de difficulté, mais qu’il devrait venir à nous.

Ces missions de patrouille étaient importantes pour moi. Je me faisais passer pour un soldat dans notre propre armée. Je n’attachais aucune importance au respect dû à mon grade. Je tenais beaucoup à voir la vraie nature des hommes que je commandais. j’arrivai à en remettre un grand nombre sur le bon chemin et écartais ceux qui représentaient un réel danger aux combats pour eux et surtout pour tous les autres.

- Je trouve très paradoxale ta victoire. Elle me montre que tu as compris l’intérêt d’un sacrifice pour le bien d’un plus grand nombre. Mais dans le même temps j’ai l’impression que tu t’attaches à tous les individus que tu croises. Est-ce pour cela que tu ne formes pas d’élève ?

- Je comprends la nécessite. Si la situation l'exige, je veux connaitre au mieux la valeur d'une vie avant de la sacrifier au nom de notre peuple. Notre société est très élitiste. Je veux être sûre de ne pas être coupé des gens que je m’attèle à protéger.

- Tu ne veux pas diriger, pourtant tu en as la capacité. C'est justement le fait que tu ne sois pas attirée par le pouvoir qui fait de toi une excellente candidate à ma succession.

Je savais reconnaitre une provocation. Il voulait voir ce qui comptait le plus pour moi.

- Je pense qu'il n'est pas encore le moment pour moi de diriger. Je vous demande humblement de me faire confiance. Le moment approche où les pièces vont s’imbriquer et nous mener à la fin de cette guerre froide et au début d’un conflit ouvert. L’ennemi se prépare depuis près de trente ans. Il se regroupe et s’apprêter à nous frapper de toutes leurs forces.

- Je croyais que tous nos espions ne faisaient leurs rapports qu’à moi, leur Roi. Je sais que tu as tissé ton réseau d’informateurs pendant tes missions d’infiltration dans les royaumes du centre. Je suis au courant qu’une personne morte aux yeux de notre peuple est toujours vivante et t’aide dans ta tâche. Je suppose que tu as envoyé le Capitaine Oskar à la frontière sud pour préparer l’exfiltration des membres de la délégation du royaume de Vituri. Je sais aussi comme toi que ces négociations sont vouées à l’échec. Si je ne me trompe pas tu espères qu’ils viendront nous demander de l’aide contre l’unification des royaumes du centre.

Il marque une pause en me regardant droit dans les yeux, j’étais sûre qu’il n’avait pas traversé mes barrières mentales pour obtenir ses informations. J’essayai à mon tour de deviner quels étaient ses sources, mais je ne tentais pas de les chercher dans son esprit. Il était notre souverain et quelque part cela me rassurer qu’il en sache plus que moi. Je ne pouvais m’empêcher de me demander depuis combien de temps possédé-t-il toutes ces informations.

Surtout celle concernant cette personne qui voulait rester morte aux yeux de notre peuple. Je devais me faire une raison, je n’étais qu’une des pièces du jeu des Rois. Je voulais être une pièce qui ferait la différence, pour cela je devrais endosser les responsabilités qui allaient avec.

Je me concentrai sur la vue de Vent d'Ithor. Il volait au-dessus du Prince Villyann. Il marchait seul dans le crépuscule, trois hommes le suivaient à bonne distance. <Continue de le suivre Frère et aide le si besoin.>. Sans se retourner, il venait de saisir l'arc dissimulé sous sa cape et venait d'y encocher une flèche. il me montra un de ses souvenirs où Villyann n'étant encore qu'un enfant.

Quand je suis devenu Acolyte, mon Maitre le Chevalier Clarté m'avait mené dans la grande chaine de Montagne d'Ithor. Elle m'initiait en même temps aux techniques de combat au bouclier. Je n'avais que onze ans. Malgré mes capacités au-dessus de la moyenne dans les voies de la lumière et de la vérité, j'étais coincé dans le corps d'une enfant.

Mon faible poids et ma souplesse me permettaient de gravir des chemins extrêmement abrupts avec une incroyable facilité. Quand mon Maitre était trop occupé ou simplement absent. Je partais dans des randonnées de ma propre initiative. Lors d'une de mes ascensions sur le Mont Perdu. Il était juste très loin des sommets les plus fréquentés. J’assistai à ce que je croyais au début à un vol nuptial d'aigle royal. Je m’apercevais rapidement qu'il s'agissait d'une bataille de territoire entre un adulte et un jeune mâle. Le jeune piquait au ras des crêtes et enroulait les cimes en battant de toute la puissance de ces ailes. Je sentais que le combat ne durerait pas longtemps, car l'adulte avait plus d'expérience et connaissait mieux le terrain. Il se servait mieux des courants ascendants laissant le jeune aigle s'épuiser pour regagner de l'altitude.

Après deux esquives désespérées, l'adulte planta ses serres dans le dos du jeune qui poussa un long et puissant cri aigu de douleur. Une fois bien agrippé, il l’entraina dans un piquet rapide vers un aplomb rocheux et le lâcha au dernier moment sur les rochers avant d’ouvrir ses grandes ailes. Le jeune essaya en vain d’ouvrir les siennes pour freiner sa rapide descente et éviter un atterrissage brutal. Après avoir rasé le sol, l’adulte reprenait de l’altitude en piaillant à tous, sa victoire.

Je vis avec horreur la jeune immobile sur cette estrade naturelle surplombant toute la vallée, il avait lui aussi ouvert ses ailes, sans pouvoir éviter le rude atterrissage. Je le regardais un moment, il n'était pas mort, mais je ne voyais qu'une aile bougée. L'autre devait être très endommagé. Sans prendre le temps de la réflexion, j'entamais la longue descente pour le rejoindre. J’avais découvert quelques mois auparavant que je pouvais accélérer la guérison des blessures. Je m'occupais surtout des plaies et des ampoules des soldats qui étaient sous notre commandement.

Je voulais essayer de le soigner même si je n'avais aucune connaissance de la biologie de ce grand rapace. Je ne pouvais le laisser ainsi. Après une rapide descente, je pris pied derrière lui. Il me fit face en pivotant douloureusement sur lui. Il ne pouvait pas remmener sur son flanc l'aile droite cassée. L’adulte nous tournait autour en pérorant (3) son triomphe, à qui pouvait l’entendre. Son plan était de laisser le jeune mourir de faim. Les blessures n’étaient pas mortelles. J’éprouvais beaucoup de compassion pour le jeune. Tout comme moi, il essayait de trouver sa place dans ce monde.

Je m'approchai lentement les paumes vers le ciel en signe de paix. Il hurlait de terreur. J’étais pour lui un prédateur et sans sa capacité à prendre de l'altitude, il était aussi fragile qu'un oisillon. Avant d'établir le contact, je m'arrêtai à moins d’un mètre de lui. Le regard dans ses yeux, je concentrai toute mon énergie dans mes mains. Je repérai les blessures causées par les serres dans son dos.

Je ne pouvais le soigner sans son accord, mais je ne pouvais pas non plus le laisser perdre son sang et s'évanouir pour commencer à essayer de le soigner. La solution était simple, je tendis ma main gauche le poing ferme sous sa tête. Sans hésitation, il me la mordit. La douleur fut immédiate, ses petites dents étaient placés à l'avant de son bec et faisaient surgir un petit ruisseau de sang. Je me forçai à l'immobilité tout en gardant mon regard braque sur le sien.

En l'absence de réaction hostile de ma part, il lâcha prise et me laissa approcher. Je posai directement mes mains sur les deux plaies dans son dos. La blessure n'était pas nette. Je mis un certain moment à réparer les veines touchées et à refermer la peau. Il n'avait pas beaucoup de réserve après de longs jours de jeûne. Je décidai de puiser dans les miennes pour alimenter la guérison. Au moment où je remis l'os de son aile en place et hâtai la calcification, je perdis connaissance.

Je me réveillai en pleine nuit. Il était là sur moi me protégeant du froid de toute l’amplitude de ses ailes,. Je venais de gagner un frère et un ami à la fidélité inébranlable. Au fur et à mesure du temps nous apprîmes à communiquer ensemble. J’appris à voir par ses yeux et à voler au-dessus des nuages.

Soudain une main robuste me secoua vigoureusement par l'épaule

- Douce qu'est-ce qui peut bien te faire rêver les yeux ouverts ?

- Le souvenir d'une rencontre avec un très bon ami.

- J'espère que tu me présenteras cet ami avec qui je te sens communiquer, me dit-il d'un ton impérieux. Je le sentis se concentrer sur moi sans franchir mes barrières mentales. Je sens ce lien mais je n'arrive pas à l'attraper

Jusqu'à ce moment, personne n'avait perçu notre relation hors normes.

- Oui, mon Roi. À mon retour, je vous le présenterais. Je vous prie d'être le plus ouvert possible. Ce lien n'est pas conventionnel et n'a été voulu par aucun de nous. C'est juste arrivé.

- Je te fais confiance pour me le présenter. Vous pouvez disposer Chevalier Douce

Je tournai les talons et quittai la pièce à grands pas. Je devais préparer deux chevaux et me hâter de regagner la cité d’Haltica. Le Capitaine Oskar m'attendait. Je devais mener rapidement la patrouille jusqu'à la frontière. Sans mon aide je doutais sérieusement des chances du Prince Villyann.

Je tournai et retournais tous les mots de cette conversation pendant le chemin de retour vers le cœur du Kasteel. Je récupérai un uniforme de Chevalier propre dans mon casier que je rangeai au fond de mon sac. Je revêtais un uniforme de simple soldat en repliant soigneusement celui que je venais d’enlever. Je me présentai aux écuries en simple soldat.

À l’entrée je fus arrêté par deux gardes auxquels je tendais le parchemin que je m’étais préparé à l’intention du soldat Althéa.

- Je ne sais pas si tu arriveras à convaincre ne serait-ce qu’un seul de te suivre.

Je ne prenais même pas la peine de répondre, car je comprenais leurs doutes. Je m’étais autorisé à prendre deux montures. Mais les chevaux étaient libres de refuser de me porter moi et mes affaires. Je sentais Villyann se rapprocher de moi. Ils étaient éparpillés dans un grand champ. J’en repérais une dizaine sous l’abri. Je n’avais eu par le passé que très peu recours à ses fantastiques créatures pour me déplacer. J’avançai lentement en pleine nuit, éclairé seulement par les rayons du croissant de lune. Une grande jument avança vers moi avec son jeune poulain à ses côtés.

- Je ne veux pas te séparer de ton jeune enfant, je glissai une main sur ses flancs. Je n’ai pas besoin de tant de puissance mon amie. Je ne suis pas très grande et mon chemin n’est pas très long.

Elle poussa un long hennissement. Soudain je sentis un museau me pousser dans le dos. Instinctivement je glissai ma main dessus. En me retournant, je découvrais un majestueux étalon suivi d’une petite jument. Je sellai le grand étalon et attachais toutes mes affaires sur la jument.

J'alternais le grand galop, le pas et le repos. Je couvrais les cent quatre-vingt-trois kilomètres de route côtière qui séparait les deux cités en un peu moins d’une journée. Ces montures étaient exceptionnelles. A l'approche de la cité, je les délestais de mes affaires.

- Merci de m'avoir porté aussi vite à destination. Je vous rends à votre liberté.

Nous n'utilisions que très rarement les chevaux. Je n'aimais pas particulièrement soumettre n'importe quel être vivant à ma volonté. Ils m'avaient choisi pour me prouver leur vitesse et leur reconnaissance envers mon peuple. C'était toujours une expérience étonnante de se déplacer à une telle vitesse que je ne pourrais suivre plus de trois cents mètres avec mes courtes jambes. Je rentrai dans la cité à l'heure du diner avec le paquetage complet de tous soldats. Le camp servait de point central aux patrouilles qui interdisaient l'accès à notre royaume par la forêt de Sirk et par le golf de Visalitin. Il était établi au pied des murailles qui se trouvaient à près de cinquante kilomètres en retrait de la frontière sur un grand bras du fleuve Girn. La cité possédait de grandes fortifications.

Trois murs d’enceinte, vingt et un tours de garde et trois énormes herses successives avaient été érigés pour résister à un grand siège. Une cinquantaine de balistes étaient disposées sur le premier rempart. Six grosses catapultes et deux grands trébuchets montaient à l'intérieur de l’enceinte du bastion permettaient de repousser des assauts de masse et de détruire les armes de sièges adverses sur une portée de plus de trois cents mètres.

Elle s’interposait sur le chemin le plus rapide pour envahir notre royaume. Toutes les grandes routes dans les montagnes d’Ithor avaient été sans exception toute détruite empêchant la traversée des montagnes aux chevaux et aux carrioles. Jadis elles permettaient aux grandes caravanes de commercer avec les royaumes voisins. Notre territoire s’étendait sur toute la chaine d’Ithor. Nos sentinelles empêchaient tout intrus d’accéder ne seraient ce qu’aux premières pentes.

Nos grands guides quant à eux avaient la connaissance de tous cols et de leurs pièges. Ce secret faisait de cet obstacle naturel, une muraille infranchissable. La voie maritime était gardée par nos navires qui n’avaient jamais connu la défaite depuis l’unification des clans, il y a de cela 1012 années.

Je présentai mon laissez-passer nominatif aux gardes à l'entrée de la tente de commandement. J'avais pris cette décision depuis que j'étais devenue Chevalier. Je ne pouvais commander des unités et partir en éclaireur laissant mes hommes sans chef. Je patrouillais en tant que soldat éclaireur et soigneur. Cela me permettait de partir en avant ou de rester loin en arrière. Pendant ces trente dernières années, j'avais beaucoup voyagé lors de mes pérégrinations. Le Capitaine était occupé à étudier une carte et des rapports de patrouilles. Un Sergent-chef et un caporal étaient à ses côtés. Il me laissa un petit moment sans me répondre.

- Soldat Althéa le caporal Willem va vous montrer votre lit, ranger y vos affaires et préparer votre sac pour trois jours de marche. Nous partirons en patrouille demain matin à la première heure.

- À vos ordres Capitaine.

d'un regard de tête, il me fit signe qu'il avait bien compris. Je connaissais depuis longtemps le Capitaine Oskar. Il était un excellent pisteur, un excellent chasseur et une personne de confiance. S’il survivait à ce conflit, il avait ma parole que je l'appuierais sa candidature dans une affectation dès plus tranquilles. Sa femme pourrait le rejoindre pour y commencer une nouvelle vie.


Texte publié par Lâhm, 15 avril 2018 à 07h29
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