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tome 4, Chapitre 11 tome 4, Chapitre 11

Après avoir pris le temps de déambuler dans la capitale pour mieux s'en imprégner, le musicien prend la décision de s'y établir. Il aime se promener aux alentours du château bâti par le roi précédent et s'approcher autant que possible pour voir par-delà les grilles du palais. Son cœur bondit dans sa poitrine et sans qu'il s'en explique, ce lieu ne lui est pas étranger. Libéré, Florentin se travaille d'arrache-pied durant de longues heures, sa confiance en lui revenue, il laisse libre cours à toutes ses fantaisies même s'il n'ose pas toujours les présenter au public. Il prend quelques élèves et il leur fait jouer ses compositions les plus simples pour voir l'accueil qui leur est fait. Il discute longuement avec eux de leurs impressions et il ne manque pas de relire ses notes, une fois revenu à la solitude. Cet argent bienvenu lui assure un revenu régulier et il se sent libéré des contraintes matérielles. Sans hésitation, il propose ses services pour une somme rondelette, profitant de sa notoriété naissante pour remplir son compte en banque dans l'espoir de se constituer une fortune avec le temps. Il se contraint à donner des cours durant une journée et demie par semaine, bien conscient que son manque de disponibilité lui permet de négocier ses services à sa guise et il consacre le reste à ses œuvres de commande qu'il crée sans entrain pour satisfaire son train de vie assortis de concerts privés qui l'ennuient. Ces contraintes nouvelles le forcent à adopter un rythme de vie plus régulier et à veiller à sa santé car il ne peut plus passer des nuits blanches à jouer du violon ou composer en grignotant rapidement de la soupe avec du pain et du fromage. Il embauche une femme pour faire le ménage et la cuisine ce qui le libère totalement de ces contraintes. Mieux nourri et parfois forcé d'aller se coucher sur l'insistance de son employée, il ne peut que constater les bénéfices d'une vie plus régulière.

L'idée d'indépendance ne le quitte pas et il se met à la recherche de mécènes qu'il visite les uns après les autres durant de longues journées où il passe la majorité de son temps à attendre dans des antichambres bien conscient qu'il perd son temps. Néanmoins, il trouve quelques bourgeois qui se donnent bonne conscience en favorisant l'expression de son art en échange de quelques concerts privés dans l'année. Plus libre que jamais, Florentin ose enfin exprimer la musique qui l'anime sans se soucier des attentes du public. Même si ses œuvres sont régulièrement boudées car pas au goût du jour, il remarque qu'au fil du temps, elles sont de mieux en mieux acceptées. L'idée de voyager en Europe pour dévoiler ses compositions à un nouveau public commence à faire son chemin, mais un autre projet lui tient à cœur et justifie à ses yeux tous les sacrifices. Un matin, il loue un cheval et il s'élance sur les routes jusqu'à une petite ville qu'il connaît bien. Intimidé, son chapeau à la main dont il triture le bord avec nervosité durant de longues minutes, il se force à toquer à la porte, le cœur battant.

- Bonjour, je... je suis l'ancien professeur de musique de mademoiselle Victoire et je passais par ici, je me suis dit que cette visite lui ferait plaisir. Nous nous écrivons parfois.

Le domestique l'observe un moment avec suspicien avant de lui faire signe d'entrer puis d'attendre dans le hall. Des bruits de pas lui font lever les yeux et il sourit en voyant Victoire qui lui paraît éblouissante dans une sobre robe violette ornée de dentelle blanche. D'un signe, elle le fait entrer dans un petit salon.

- Mon mari est absent, il gère ses affaires, je ne vous savais pas ici. dit-elle d'un ton sec en refermant la porte.

- Je voulais prendre de vos nouvelles. dit le jeune homme en rougissant. Mais si ma présence vous dérange ou vous met dans une position délicate, je peux partir.

La jeune femme sourit et elle lui sert un verre de vin d'une carafe posée sur un guéridon en lui faisant signe de s'asseoir.

- Je vous reçois en qualité d'ami et non de domestique. Néanmoins, ma position est délicate. Mon époux sait que nous correspondons régulièrement et il lit nos courriers, comme vous vous en doutez mais je ne voudrais pas risquer que des ragots se répandent sur notre compte. Revenez vous dans la région?

Le violoniste sourit et il s'assied sur le fauteuil en acceptant le verre de vin que la jeune femme lui tend. Ils s'échangent quelques nouvelles et ils évitent de se regarder, conscients de n'être pas seuls dans la maison. Il rougit lorsque la domestique leur apporte du thé et des pâtisseries mais il masque sa gêne en tournant son regard vers la fenêtre.

- Avez-vous fait bonne fortune ? interroge la jeune femme en les servant.

- Je fais mon chemin dans le monde. répond le violoniste. Lentement.

- Vous comptez toujours faire carrière dans la musique ?

- Oui, j'ai essayé d'exercer d'autres métiers mais je ne suis pas fait pour cela. répond le jeune homme en évitant son regard.

- Je m'étais dit que si... commence-t'elle sans achever sa phrase, peu certaine des intentions du musicien à son égard qui lui répond par un sourire navré.

- Vous n'avez pas d'enfants?

- Pas encore mais cela ne saurait tarder. dit-elle en le regardant avec intensité.

Florentin sait qu'il ne peut pas l'enlever et qu'il n'a rien à lui offrir même s'il tente de faire son chemin.

-Puis-je vous écrire ? demande le jeune homme en étudiant du regard la claveciniste. Je veux dire en tant que professeur de musique et ami ? Je voyage beaucoup mais j'aurais plaisir à parler musique avec vous et à...à avoir de vos nouvelles.

- Ne s'agit-il que de cela ? questionne la jeune femme.Vos promesses passées, cette visite impromptue...

- Non, je vous aime, je n'ai pas aimé d'autre femme depuis votre mariage et mon départ mais nous savons tous deux que vous êtes mariée et que je n'ai rien à vous offrir, je n'ai pas de situation et mes finances sont précaires. Mais si jamais la vie faisait que vous soyez libre, promettez-moi, si vous pensez encore à moi de temps en temps de m'en informer et d'attendre la réponse. Je voyage beaucoup et si les choses vont comme je le souhaite, je voyagerais à l'étranger et longtemps, la réponse pourrait tarder à venir. dit le violoniste en la regardant, empli d'espoir.

- J'attendrai. En attendant, soyons seulement bons amis et si le destin doit nous réunir, il le fera. Ne m'attendez pas, vivez votre vie et stabilisez votre situation. Vous... vous avez du talent et je sais que si vous vous obstinez vous deviendrez un violoniste reconnu. Je vous ai observé travailler et vous avez la capacité de travail, une solide formation musicale du moins, je le crois et les qualités nécessaires pour y arriver. Ne baissez jamais les bras, me le promettez-vous ? Je sais que si vous m'enlevez, nous serons retrouvés et que je briserai votre carrière et jetterai l’opprobre sur ma famille.Nous ne pouvons pas faire cela même si j'en ai rêvé maintes fois.

- Bien sûr. dit-il, les larmes aux yeux. Je pense très souvent à vous, je ne devrais pas vous le dire.

- Gardez ceci en souvenir de moi, c'est un cadeau de ma mère que je ne porte jamais. Chaque fois que vous le verrez, vous penserez à moi qui vous attend et vous vous souviendrez de ne pas abandonner vos rêves.

La jeune fille lui épingle une petite broche en argent représentant une clé de sol au ruban de son chapeau qu'il accepte avec reconnaissance. Elle sait que si Florentin avait préféré chercher une place fixe comme professeur de musique, il serait reconnu pour son talent car il aurait eu assez de revenus pour jouer et travailler ce qu'il aime dans sa maison. Et sa position sociale aidant, il aurait pu peu à peu voir reconnaître ses idées et confiant en ses capacités, il se serait autorisé les fantaisies dont il rêve ; il n'aurait pas à vivre cette vie de vagabond qui ne convient pas à son talent.

- Si d'aventure, je repassais par cette ville, puis-je venir vous voir ? J'ai craint que ma visite soit malvenue mais vous savoir si près était un supplice. Si votre mari est là, me reprocherez-vous de souhaiter vous voir.

- Non, mais nous nous verrons comme deux amis chers. .

Le jeune homme acquiesce, il sait que c'est la décision la plus sage mais il ne peut s'empêcher de clore leurs adieux en lui volant un baiser qu'elle accepte en rougissant. Au fond de lui, il sait qu'il ne reviendra sans doute pas la voir mais il est heureux d'avoir laissé la porte ouverte à d'éventuelles retrouvailles. Il doit mettre de l'ordre dans sa carrière et être en mesure de subvenir aux besoins d'une famille avant d'envisager un avenir commun.

- Je suis certain que le destin nous réunira. Alors à quoi bon m'inquiéter, je ne peux tout de même pas l'enlever. songe-t'il en marchant à pas lents vers la sortie, les larmes aux yeux.

Victoire le regarde partir par la fenêtre, elle sait que dans l'immédiat, il ne peut l'enlever et qu'il n'a pas les moyens de les faire vivre. Elle pourrait éventuellement quitter son époux pour suivre le musicien mais elle sait que sa famille et sa belle-famille ne les laisseront pas faire. Elle soupire et elle regarde le musicien aussi longtemps qu'elle le peut, elle le voit lui faire un dernier signe d'adieu. La jeune femme sait que leur amour était sans espoir dès le début mais en son for intérieur, elle reproche à Florentin de ne pas avoir eu le courage de l'enlever.

Cette nuit-là, Florentin rêve qu'il est chassé de la maison de Victoire pour une raison qui lui est inconnue. Il ressent la douleur de cet instant mais ce souvenir d'une autre vie se délite et il n'en a pas de souvenir au matin. Il s'est réveillé avec une mélodie en tête qu'il retranscrit rapidement sur papier, il cherche avec fièvre dans sa mémoire d'où elle peut lui venir.

- On dirait l'écho d'un bal populaire mais je ne sais pas où je l'ai entendu mais qu'importe, je vais finir par en faire quelque chose, je n'en doute pas.

Il repense aux longues heures de marche qui l'ont menées jusqu'à cette auberge anonyme, une de plus sur sa route, les larmes aux yeux et le cœur douloureux, perdu dans ses souvenirs. Puis il se force à se lever pour rassembler ses affaires et chasser la tentation de revenir voir la jeune femme. Ce jour-là, il se dirige vers une grande ville où il espère gagner de quoi poursuivre sa route ; le voyage lui prend deux jours et lorsqu'il part en reconnaissance dans les rues, il remarque un petit opéra où il se dit qu'il pourrait se faire embaucher. Après avoir trouvé un logement bon marché, il se rend dans l'établissement où il propose ses services.

- Un violon ? Pourquoi pas ? En fait, j'ai besoin de quelqu'un pour distraire les spectateurs avant la représentation et aux entractes. J'avais un cracheur de feu mais il est a eu un accident professionnel, il n'est pas prêt de revenir, croyez-moi. Le salaire n'est pas élevé mais si cela vous convient nous pourrons nous entendre. Vous devez voir avec la troupe pour vous intégrer dans le spectable.

Florentin sourit à l'homme fluet aux longues moustaches rousses qui lui fait face et il acquiesce. Le directeur de l'établissement le conduit dans une grande salle basse où il lui explique que tous prennent leurs repas en commun avant les spectacles et fêtent la fin de leur représentation.

- Je vous présente Florentin, il joue du violon et il jouera aux entractes. Les clients auront l'impression d'en avoir pour leur argent. Venusia, voit si tu peux en faire quelque chose pour tes numéros. Bien, je vous laisse. Si vous voulez être payés, je dois finir la comptabilité.

- Je suis Venusia, la danseuse de la troupe, orientale ou indienne selon mes humeurs. Si tu peux t'adapter à ma danse, nous devrions nous entendre. dit une voix derrière le violoniste.

- Comment es-tu arrivée ici? interroge le jeune homme en se retournant pour faire face à l'inconnue.

- Je voulais être chanteuse d'opéra mais je ne vais pas t'apprendre que les places sont rares même avec une jolie voix. Surtout avec une formation limitée, mais tu sais ce que c'est, avoir un don mais des parents pauvres qui font ce qu'ils peuvent mais ce n'est jamais assez.

- Je le sais fort bien mais il ne faut jamais perdre espoir. Si quelqu'un te remarque, ta vie peut changer. Pour m'adapter, il faudrait que tu me fasses une démonstration de tes danses. Il y a des partitions?

- Des partitions? Dans ce petit théâtre, tu es sérieux? répond la jeune fille d'une voix moqueuse. Les partitions écrites sont rares et fort chère, tu devrais le savoir si tu es musicien. Mais tu fais ce que tu veux, j'improviserai, j'ai l'habitude, ne t'inquiète pas.

Florentin sourit avec gêne, bien conscient de sa chance d'avoir pu étudier sur des notes écrites et il écoute la belle danseuse fredonner les airs qu'elle chorégraphie pour s'en imprégner. Les musiques se veulent orientales et il hausse les épaules en commençant à jouer maladroitement l'air plutôt simple qu'elle lui propose.

- Je suis prêt. Il me semble du moins.

- Joue, qu'est-ce que tu attends ? dit la jeune fille en souriant avant de froncer les sourcils. Ne me fais pas perdre mon temps, tu veux? Joue ce que tu veux, ce qui m'importe avant tout, c'est le rythme qui doit toujours rester identique pour que je m'y retrouve.

Agacé, le violoniste tente de se justifier tout en sortant de quoi écrire pour y griffonner le refrain qu'il pense avoir reconnu.

- Ce sont toujours des mesures à quatre temps, ça devrait aller. Pour être honnête, je joue surtout des airs classiques et baroques dans des salons et des airs populaires dans les bals villageois je n'ai pas l'habitude des musiques plus exotiques. Je vous promets de faire ce que je peux si vous me laissez un peu de temps pour travailler. Mais ce ne sont que des suites de notes, n'est-ce pas ? répond-il mal à l'aise avant de se remettre à jouer en suivant ses notes qu'il corrige au fur et à mesure.

La cinquième fois qu'il reprend le morceau, il regarde Venusia danser en jetant de temps à autre un œil à la partition.

- Bon, je pense qu'on va pouvoir travailler ensemble. déclare la jeune femme en cessant de danser pour revenir vers lui. Il faut te trouver un costume, tu ne va pas porter ces vêtements. Ce costume bleu foncé est élégant mais trop pour un endroit comme ici. Tiens, ça devrait t'aller. Il appartenait à mon ancien partenaire qui devait faire ta taille, tu le feras ajuster par la couturière du théâtre si nécessaire.

Elle lui tend un costume turquoise brodé au fil d'or et bordé de dentelle argentée qui le fait grimacer mais n'ose pas protester. Il se change rapidement derrière un paravent et lorsqu'il se regarde dans le miroir, il se doit de reconnaître que le costume lui donne fière allure.

- Je dois avouer que j'étais sceptique mais ce costume est fort seyant. s'étonne-t'il en s'admirant dans le miroir.

- Ta cravate est mal nouée. dit la jeune fille en s'approchant pour la remettre en place.

Florentin sent son parfum capiteux qui envahit ses narines et ses yeux s'attarde sur ses lèvres entrouvertes.

- Là, c'est mieux.décrète la jeune fille en souriant.

- C'est trop serré, je ne peux pas respirer. se plaint-il en dénouant légèrement le foulard de dentelle. Je me sens vite oppressé, mais merci.

- Je vais aller dire au directeur que je te prends comme partenaire pour mon numéro, le temps de t'installer. Demain, répétition en début d'après-midi. dit la jeune fille en lui désignant la sortie.

- Tu dois te rendre indispensable si tu veux rester. dit Venusia en rangeant ses affaires. La répétition a été fructueuse, je te prends avec moi dans mon numéro si tu es d'accord. On sera sur scène ce soir, je t'avertis.

- Cela me convient. acquiesce Florentin, soulagé. Trois jours de répétition, c'est fort peu, il me semble.

La danseuse hausse les épaules en jetant un châle rose sur ses épaules.

- Tu seras face à un parterre d'amateurs qui n'y connaissent rien. C'est un petit théâtre de quartier, pas un opéra renommé. Tu rêves trop grand, mon petit. J'y vais, à ce soir. dit-elle en déposant un léger baiser sur sa joue avant de quitter la pièce.

Resté seul, Florentin se met en quête du directeur qui supervise l'installation des décors.

- J'ai écrit une chanson, je me demandais si elle vous intéresserait.

- Avec de la musique ? Vous pouvez jouer et chanter en même temps ?

- Oui, je crois... Mais je ne sais pas si je peux me permettre de soumettre mes propositions artistiques et à qui le faire. souffle le violoniste en sentant ses joues s'empourprer.

- Suivez-moi, que je vous explique comment nous fonctionnons.

En quelques pas, ils rejoignent le petit bureau encombré et les deux hommes s'installent aussi confortablement que les mauvaises chaises le leur permettent.

- Je m'occupe de l'administratif et surtout des comptes; pour que le théâtre tourne et me permettent de payer vos salaires. Pour le reste, les artistes se débrouillent entre eux. Tu sais qu'il y a une répétition hebdomadaire qui déroule le spectacle? C'est à ce moment-là que les artistes discutent et se calent les uns avec les autres. Tu es un artiste de ma troupe, tu te débrouilles avec les autres artistes pour ne pas vous gêner les uns les autres. Vu? Je n'ai pas le temps pour ça! Pour les costumes, les accessoires, le maquillage, tu vois avec les couturiers en gardant en tête que c'est moi qui paie les factures, si elles sont trop élevées, elles sont déduites de ton salaire. Vu?

- Merci, cela me convient parfaitement. A ce soir... dit le jeune homme en s'inclinant.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 20 avril 2021 à 10h32
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