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tome 3, Chapitre 9 tome 3, Chapitre 9

Un matin que la jeune femme rentre du conservatoire où elle s'est entraînée durant deux heures solitaires dans une petite salle à tenter d'apprivoiser un nouveau morceau, un homme de haute taille vêtu de noir l'aborde alors qu'elle attend le métropolitain aérien. En ce jour de grève, elle se maudit d'avoir omis de prendre de quoi lire ou s'occuper pour passer le temps.

- Bonjour, vous travaillez au conservatoire ?

- Oui, je suis violoniste là-bas.

- Je me disais bien que nous nous connaissions. dit-il en la détaillant du regard. C'est vous qui avez un instrument... particulier.

- Oui, un violon d'ébène, lourd et capricieux mais unique en son genre.

L'homme observe à la dérobée l'étui à violon que la jeune femme a posé à terre et il sourit d'un air entendu. Puis il fixe un point derrière Apollonia avec intensité ; mal à l'aise, elle se retourne, la main passé autour de la lanière de l'étui pour qu'il ne profite pas de sa distraction pour lui voler son instrument. Mais il se contente de la regarder avec un air mi-figue mi-raisin qui la met mal à l'aise.

- Je connais bien cet instrument. Nous sommes liés en quelque sorte si je puis m'exprimer ainsi.

- Comment cela ? questionne Apollonia. J'ignore tout de cet instrument, je ne sais pas d'où il vient ni qui l'a fabriqué. Pourtant, il est reconnaissable et je doute qu'un tel instrument soit doté d'un frère jumeau.

- Vous devriez faire des recherches, vous pourriez trouver des choses intéressantes à raconter à vos petits-enfants le moment venu. Qui sait si ce violon ne se révélera pas distrayant à plus d'un titre ? dit-il en souriant le regard fixé derrière la jeune femme. Je vous souhaite une bonne journée, mademoiselle Baron.

Apollonia ne se fait la réflexion qu'elle ne lui a pas donné son nom alors qu'il est déjà loin. Mais elle oublie bientôt l'incident et elle se dépêche de rentrer chez elle, elle a faim et elle a prévu de ne pas travailler sa musique le reste de la journée qu'elle veut consacrer à du ménage profitant de l'absence de son compagnon qui est aussi laxiste qu'elle sur ce sujet. Elle met de la musique pour danser après avoir avalé un sandwich au fromage et au saucisson et elle se met à la tâche. A un moment donné, alors qu'elle allait faire la poussière dans la chambre, il lui semble entendre son violon jouer derrière la porte. Avec prudence, elle l'entrouvre et dans sa hâte de satisfaire sa curiosité, elle a oublié qu'elle a tendance à grincer depuis quelques jours. Un couinement annonce son intention et avant qu'elle ait pu entrevoir quoi que ce soit, le violon est posé dans son étui ouvert.

- Qui est là ? demande-t'elle d'une voix mal assurée mais personne ne lui répond et la fenêtre est fermée.

Par acquis de conscience, elle vérifie sous le lit et dans les placards mais personne ne s'y cache.

- J'ai rêvé, ce ne peut être rien d'autre qu'un rêve ! dit-elle à haute voix plus pour se rassurer qu'autre chose. Oui, Saturne a dû miauler ou un voisin a mis de la musique. D'ailleurs, il me semblait avoir posé l'étui sur le canapé en rentrant. Bon, j'ai du ménage à faire.

Quelques minutes plus tard, alors qu'elle secoue un tapis par la fenêtre, elle voit les champs au loin et elle songe qu'elle regrette de faire partie de la minorité de la population qui vit en ville.

- Au moins, ils sont proches des sources de nourriture que nos ancêtres ont eu tant de mal à récupérer sur l'espace des villes. Et ces terres cultivables ou revenues à l'état sauvage sont plus précieuses que tout le reste.

Un peu inquiète, la jeune femme se pose des questions, elle se demande ce qui ne va pas avec son instrument. Si quelque chose le suit sans être dangereux, pourquoi ne la laisse-t'on pas tranquille ? Elle oublie bien souvent que son instrument est hanté ou quelque chose d'approchant qu'elle ne parvient pas à définir. Mais tout au fond d'elle, elle n'y croit pas, elle pense que la voyante s'est jouée d'elle ou qu'elle croit ses mensonges. Son problème est peut-être mental tout simplement. Elle se demande si elle devrait en parler à Giuseppe mais il ne semble pas avoir remarqué quoi que ce soit. Toutefois, l'idée d'aller voir un psychiatre ne lui paraît pas saugrenue et elle se demande pourquoi elle n'y a pas pensé plus tôt.

Elle prend rendez-vous chez le psychiatre le plus proche qui lui donne rendez-vous dans la journée. Soulagée d'entrevoir une solution à son problème, elle se prépare en chantonnant. En chemin, la jeune femme se fait la réflexion qu'il est étrange qu'au siècle précédent et même durant celui d'avant la médecine mentale soit si mal considérée du grand public. Au fond, ce n'est jamais qu'un médecin et elle ne parvient pas à se figurer la honte ou le secret qui pourrait entourer ce genre de consultations.

- Il est soumis au secret professionnel alors je ne comprends pas pourquoi les gens auraient eu peur d'aller voir ce genre de médecin. D'autant plus que ce sont des spécialistes.

Dans le cabinet, elle feuillette les magazines électroniques à sa disposition en chantonnant et lorsque le médecin vient à sa rencontre, elle se lève, sûre de trouver une solution à son problème.

- Bonjour, depuis plusieurs semaines ou mois peut-être, j'entends et je vois des choses. J'entends mon nouveau violon jouer tout seul, je crois entendre des bruits derrière moi ou une présence, il m'est arrivé de voir une silhouette derrière un rideau et parfois, je me sens observée ou j'ai l'impression qu'il y a une présence dans la pièce.

- Vous êtes surmenée ou stressée ? lui demande le vieux praticien en rajustant ses lunettes.

- J'ai effectué une tournée durant laquelle j'ai beaucoup voyagé, ce fut une source de stress ces derniers mois entre les morceaux à préparer, apprendre, mon nouvel instrument à apprivoiser.

- Le violon dont vous m'avez parlé ?

- Oui, il me fait parfois peur pour être honnête.

L'homme mince à la paire de petites lunettes rondes cerclées de fer se cale dans son fauteuil en réfléchissant.

- Vous étiez surmenée et vous avez sans nul doute projeté vos angoisses sur votre instrument d'où vos hallucinations. Il n'y a rien de grave à cela, ce sont des choses qui arrivent. Je vous conseille seulement du repos et pourquoi pas de prendre des compléments alimentaires, des vitamines. Et de profiter autant que possible du soleil tant qu'il y en a ou d'aller vous promener au grand air, l'exercice physique vous fera sans nul doute du bien. Et de vous coucher tôt autant que nécessaire.

Ces conseils de bon sens font acquiescer la jeune femme qui reconnaît avoir oublié ces règles élémentaires ces derniers mois et elle sort du cabinet apaisée et pleine d'espoir. Elle en profite pour faire ses courses et elle récupère les achats qu'elle a fait sur internet par la même occasion.

Les jours suivants, elle dort beaucoup et elle profite de son temps libre pour lire et sortir en laissant son instrument de côté ce qui lui arrive rarement. Désœuvrée, elle va se promener et elle lit les livres qui lui tombent sous la main. Mais la musique l'appelle et elle ne tient que deux jours sans jouer avant de prendre avec délectation son instrument pour jouer des morceaux qu'elle connaît bien et faire des gammes. Retravailler des airs simples lui fait du bien et elle en profiter pour travailler sa technique et jouer des morceaux qu'elle aime. Il lui semble bien entendre des pas près d'elle mais elle met cela sur le compte de son imagination.

- Quelqu'un sur le palier. Ou dans les logements d'à côté. se dit-elle, même si elle sait qu'elle se raconte des mensonges car les appartements sont parfaitement insonorisés, ce qui était un critère essentiel pour des musiciens professionnels.

Une chaise grince mais elle n'y prête pas vraiment garde, attentive à la musique qu'elle joue sur une partition difficile qu'elle travaillait avant de partir en tournée qui est restée à prendre la poussière.

Le violon se met à ronronner sous son archet et Apollonia n'y prend pas garde dans un premier temps absorbée dans ses pensées. Lorsqu'elle s'en rend compte, elle manque faire tomber l'instrument en le lâchant brusquement.

- Mon dieu, j'ai failli détruire ou tout au moins fortement abîmer mon instrument de travail alors qu'il n'est pas à moi, qu'on me l'a prêté et qu'il vaut très cher.

Blême à l'idée de ce qui aurait pu arriver, elle range l'instrument d'une main tremblante avant de se forcer à prendre l'air, certaine que cette promenade improvisée lui fera du bien et l'aidera à passer outre l'incident. C'est en chantonnant qu'elle prend l'ascenseur et elle oublie totalement le travail qui l'attend durant sa longue promenade sur les bords de Seine à regarder les péniches solaires et à voile passer à vitesse réduite. Elle sourit en entendant un marin jouer de la guitare sur l'une d'elle. Elle lui adresse un signe de la main auquel il répond avec un éclat de rire avant de se remettre à jouer une ballade populaire.

Giuseppe est rentré tôt et lorsqu'elle franchit la porte de l'appartement, elle l'entend chanter à tue-tête dans la cuisine d'où s'échappe une odeur alléchante.

- Bonjour, tu es rentré tôt ! dit-elle en l'embrassant.

- Un élève a annulé son cours au dernier moment. Et toi ?

- Je suis allée me promener un peu, j'ai eu du mal à jouer. D'ailleurs, j'ai du mal à m'entraîner ces temps-ci.

- Il y a un problème ? demande l'homme en fronçant les sourcils.

- Je crois que je suis surmenée, fatiguée plus le stress de la tournée dont je crois que je ne me remets pas.

- Je vois, ça finira par passer. Tu n'as rien de prévu cette semaine, je crois ?

La jeune femme secoue la tête en se servant un verre d'eau.

- Tu devrais en profiter pour te reposer voire ne pas jouer durant tout ce temps. Qu'est-ce que quelques jours en regard des années d'entraînement quotidien que tu as fait ?

- Pas grand chose, tu as peut-être raison, je vais y réfléchir.

Le jeune homme n'ose pas lui dire qu'il a cru percevoir de la musique et que le son s'est arrêté au moment où le déclic de sa clé dans la serrure s'est fait entendre.

- Nous sommes invités chez les Dumont ce soir.

- J'avais totalement oublié.

Ce soir-là, la musicienne discute dans un coin de la pièce à l'abri des oreilles indiscrètes.

- Je ne sais pas, j'entends le violon jouer lorsque je me lève la nuit. Pas toujours mais ça arrive et souvent j'entends un bruit quand j'approche comme si quelqu'un le reposait en hâte mais la porte est toujours fermée. Je ne sais quoi en penser.

Apollonia chuchote pour ne pas être entendue de Giuseppe qui discute avec Abelia un peu plus loin. Laurent réfléchit un moment avant de se pencher vers son amie et de reprendre leur discussion à voix basse.

- Tu as songé que ce n'était peut-être que ton imagination ?

- Oui, bien sûr mais je suis convaincue que non. Enfin presque. Un fou sait-il qu'il est fou à ton avis ?

- C'est une bonne question...Tu as tenté de l'enregistrer ? Si ça se passe chez vous, tu peux laisser ton sac à main ouvert avec un enregistreur à l'intérieur pour voir ce que ça donne, l'air de rien, comme si tu l'avais oublié allumé dans ton sac après une séance de travail. Puis tu ressors pour chercher quelque chose.

- Je pourrais toujours tenter...

- Au fait, il y a des habits dont je ne veux plus. Des robes, des pantalons, des hauts. Si tu les veux, on pourra les faire retoucher, sinon, je les donne. dit son ami.

- J'ai largement ce qu'il me faut et vu ta taille, ils conviendront mieux à Giuseppe sauf s'il n'en veut pas et que quelque chose m'intéresse. Tu as fait des achats récemment ?

- Non, mais un ami m'a donné de vieux vêtements dont il ne veut plus alors je fais du vide dans mes placards et je cherche donc à donner ce qui est en bon état.

- Oui, tout se recycle comme le gouvernement nous le serine à longueur d'année. soupire la jeune femme. D'ailleurs, j'ai lu quelque part que des scientifiques avant réussi à rendre l'inox plus facile à recycler sans entamer ses propriétés. Comme le délai de retraitement de ces déchets sera plus court, le volume de métal en réserve sera plus grand. Ca va demander des espaces de stockage mais ils semblaient fiers d'eux.

Le lendemain, Apollonia allume l'appareil d'enregistrement et elle pose son sac dans la pièce où se trouve le violon qui est glacée en cette journée ensoleillée de septembre.

- Je préfère ne pas savoir sinon, je l'aurais fait depuis longtemps.

Pourtant, elle ressort un long moment après avoir murmuré qu'elle a oublié d'acheter du pain et pris son porte-monnaie dans son sac d'un geste empressé, laissant l'appareil auprès de l'instrument, caché au fond de son sac à main. Elle prend son temps puis elle rentre de nouveau et elle se précipite sur son sac qui n'a pas bougé.

- Saturne ! Où es-tu ?

Elle retrouve le chat tremblant sous leur lit et elle se demande ce qui a bien pu se passer. Le chat noir sur les genoux, elle s'installe dans la cuisine avec un thé.

- Je suis désolée, j'ai besoin de savoir... dit-elle à la présence qu'elle sent autour d'elle depuis quelques temps. Je ne vous veux pas de mal. ajoute-t'elle en se versant du thé. Je veux juste savoir ce que vous êtes et ce que vous attendez de moi.

Puis elle actionne l'enregistrement. Tout d'abord, rien ne se passe et elle sourit de sa stupidité, au fond, soulagée. Puis le violon se met à jouer un air qu'elle ne connaît pas. Glacée, elle écoute l'air qu'elle trouve technique et parfaitement exécuté, adapté au timbre de l'instrument guettant le moment où la porte va s'ouvrir. Les minutes passent et elle entend la chose ranger précipitamment le violon lorsque la clé tourne dans la cellule.

- Il y a donc vraiment quelque chose ? La voyante avait raison ou c'est une blague ou mon inconscient me joue des tours ? Et comment chasse-t'on un fantôme ? Je vais devoir retourner voir la voyante... Et Giuseppe, dois-je lui en parler au risque de l'inquiéter ou porter ce fardeau seule ? Et si cette chose était maléfique et n'appréciait pas qu'on essaie de la chasser ? Si elle devenait vraiment dangereuse en représailles ? Puis-je impliquer l'homme qui partage ma vie là-dedans ?

Les pensées s'entrecroisent dans son esprit et elle prend la soucoupe qui contient sa tasse de thé d'une main qui tremble faisant s'entrechoquer la fine porcelaine de Chine ornée de paons et de fleurs de lotus.

Indécise, elle se ressert une tasse de thé tout en réfléchissant. Elle sent une présence auprès d'elle et elle sursaute en poussant un cri. Ce n'est que Saturne qui vient lui dire bonjour. Elle caresse le chat et elle le pose sur ses genoux pour se sentir moins seule tout en se questionnant. Doit-elle tenter de communiquer avec la chose ? Elle ne sait pas et elle se mordille l'ongle en réfléchissant en silence.

Puis, elle se lève pour se rendre à la cuisine, le chat dans les bras. Lasse de toujours manger la même chose, elle a envie de tenter une préparation plus complexe et elle s'acharne à suivre la recette pas à pas tout en songeant que les habitants d'autrefois avaient bien de la chance de pouvoir acheter des préparations toutes prêtes et juste à réchauffer.

- Mais c'est en partie ce qui a perdu l'humanité car beaucoup d'aliments étaient jetés ce qui n'est plus le cas désormais car la nourriture est moins abondante ; sans oublier les emballages. Si nous avons moins de choix, nous avons quand même récupéré plein de beaux endroits où se promener, des forêts, du bocage, de la côté, des zones rurales. Même s'il faut aller jusque là.

Lorsqu'elle rejoint le salon, elle trouve la fenêtre ouverte et elle s'empresse de la refermer. Perdue dans ses pensées, elle ne remarque pas qu'elle ne l'a jamais ouverte.

xXxXx

Dans ses enfers, Satan a suivi toute la scène, un sourire béat aux lèvres. Les choses prennent une tournure intéressante et il ne manquera pas de suivre la suite. Son violon a encore de beaux jours de désordre devant lui.

Il se sert lui aussi un thé et il se rassied dans son fauteuil pour savourer sa boisson chaude, il a encore quelques minutes devant lui puis il devra se mettre au travail. Quelque part, un démon en fait un peu trop dans un faubourg de New Delhi et il doit le rappeler à l'ordre pour ne pas effrayer la population. Le pacte avec Dieu stipule que les mauvais esprits peuvent agir selon leur nature mais sans excès pour que les hommes ne vivent plus dans la peur comme ce fut le cas dans des époques reculées. Avec un soupir de découragement, le Diable se lève pour se débarrasser de cette corvée qu'il a préféré régler lui-même bien qu'il se dit en cet instant qu'un de ses subalternes aurait pu s'en charger mais ce n'est l'affaire que de quelques minutes et il s'enveloppe dans sa cape noire pour en finir au plus vite avec cette fâcheuse histoire.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 2 avril 2019 à 10h42
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