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tome 1, Chapitre 8 tome 1, Chapitre 8

Après une mauvaise nuit à tousser et délirer de fièvre et de douleur morale, Florentin se force à reprendre sa route malgré son état. Il n'a pas d'autre choix s'il ne veut pas mourir seul sous un pont ou se voir dépouiller ou tuer par des malandrins. Il joue pour gagner de quoi survivre et la pitié des passants face à son état lui permet tout juste de manger à sa faim. Lorsque la santé lui revient enfin, il quitte la ville, laissant derrière lui les souvenirs douloureux de son séjour en ce lieu. Les semaines suivantes se passent à errer de village en village dans le printemps naissant. Le temps s'est enfin adouci et le jeune musicien prend du plaisir à ce voyage improvisé en pleine nature. Ses pieds le font souffrir mais il trouve souvent une carriole se rendant à une foire ou un marché pour le rapprocher du prochain village où il joue pour gagner quelques piécettes qui lui paient le gîte et le couvert. Cette vie d'errance au soleil et au grand air plaît au jeune homme qui savoure cette liberté retrouvée même s'il souffre dès que ses pensées se tournent vers la jeune Victoire. Au début, Florentin pleurait son absence tous les soirs et peu à peu, son souvenir douloureux s'est mué en nostalgie. Il compose des airs en songeant à elle qu'il joue dans les bals dont la saison commence doucement dans les villes rurales qu'il traverse. Un violoniste de plus n'est jamais refusé dans les orchestres improvisés des fêtes de village et il gagne correctement sa vie même si le répertoire populaire n'est pas ce qui lui plaît le plus et si les rétributions sont faibles, toutefois il gagne souvent un repas en fin de soirée. Néanmoins, le violoniste prend le temps de recopier les airs ou les suites de notes qu'il trouve dignes d'intérêt pendant que l'orchestre du jour se restaure ; il retravaille ces airs le soir venu, en réarrangeant les sonorités et les accords qui lui plaisent. Plusieurs fois, la pensée lui vient d'envoyer une copie de sa musique à la belle de son cœur mais il sait que c'est une pensée ridicule, elle a dû oublier leur amourette dans les bras de son fiancé.

Malgré la petite fortune qu'il parvient à accumuler par moments, le jeune garçon n'est guère prévoyant et il n'est pas rare qu'il laisse les dettes s'accumuler. Honteux, il rougit et bafouille à l'aubergiste chez qui il loge qu'il a trouvé sa bourse vide et qu'il le paiera dans quelques jours lorsqu'il aura gagné quelques piécettes s'il accepte de continuer à le loger. Les aubergistes qui ont l'habitude de ce genre d'énergumènes ne bronchent pas et le laissent jouer à portée d'oreille de l'auberge jusqu'à avoir obtenu leur dû qui ne se fait pas attendre. En effet, Florentin a grandement amélioré son jeu en accompagnant la jeune fille de son cœur au piano, il a dû s'attaquer à des partitions difficiles pour la satisfaire ce qui lui a fait travailler sa technique. Moins timoré et plus confiant en sa capacité de jeu, le jeune homme se risque à des envolées musicales audacieuses dans le secret des chambres d'auberge où il loge. Lors de ses déplacements, par beau temps, il arrive qu'il s'allonge dans l'herbe, adossé à un talus et qu'il joue des notes simples juste pour le plaisir d'entendre les mélodies s'écouler de son violon. Bouleversé par les émotions nées de son instrument, il n'est pas rare que le jeune homme laisse échapper une larme, empli de souvenirs qui l'assaillent. Alors il met de côté les airs mélancoliques pour jouer des musiques plus joyeuses qui peu à peu lui redonnent le sourire. Le cœur plus léger, il repart écoutant le bruit du vent et la nature alentour. Le printemps a enfin fait pleinement son apparition et le voyage est souvent plaisant ; loin de la civilisation, l'artiste trouve le temps de rêver et il laisse son imagination vagabonder à sa guise.

Toutefois, à ces jours d'insouciance succèdent des jours plus difficiles, il arrive que le violoniste se montre mélancolique et qu'il s'inquiète de sa condition et de sa vie d'errance. Il lui semble que dès que la situation s'arrange quelque chose fait en sorte que cela ne dure pas et il doute de pouvoir vivre de sa passion. Dans ces périodes, il travaille peu et son jeu s'en ressent, il dort mal et la fatigue le rend irritable et peu patient. Lorsqu'il se sent mieux, il doit travailler deux fois plus pour retrouver son niveau de jeu ce qui l'énerve en conséquence. Il songe avec nostalgie et envie aux conditions de travail qu'il a connues jusqu'à la ruine de sa famille et le début de son long voyage. Mais il s'interdit d'y penser, il finirait par perdre tout courage s'il se laissait aller à ces rêverie.



Un matin de début avril, alors que l'aube se lève, Florentin a la surprise de se retrouver face à une grande ville. Incapable de dormir, il a marché toute la nuit dans le noir et perdu dans ses souvenirs, il n'a pas vu les lumières de la ville ni entendu les murmures des habitants qui s'éveillent. Epuisé, il trouve une boulangerie où il achète de quoi se restaurer en attendant de rejoindre une auberge où loger. Assis au fond de la salle dans une taverne bon marché, ses muscles douloureux après des jours de marche, il regrette le confort de sa vie d'avant. Rassasié, le musicien s'enquiert auprès de l'aubergiste d'un lieu où il pourrait se loger à bon marché. L'homme l'informe qu'il a des chambres libres s'il le souhaite, les moins chères sont vraiment petites mais après avoir visité les lieux, perplexe, Florentin décide de loger sur place, s'évitant ainsi une longue errance dans la ville inconnue où il est arrivé. Epuisé, le jeune homme s'endort aussitôt la porte fermée. A son réveil, alors que dix heures sonnent, il s'étonne de se trouver dans une pièce inconnue, il observe les murs blanchis à la chaux et le simple mobilier de bois. Il hume les draps frais sentant légèrement la lavande, ce qui le fait sourire. Satisfait, il se rendort pour s'éveiller une heure plus tard, d'un peu meilleure humeur. Puis sur les coups de midi, il descend dans la salle principale se restaurer, la nourriture est simple et revigorante mais il apprécie le repas chaud. En remontant dans sa chambre, il demande qu'on lui monte un baquet d'eau chaude qui ne tarde pas à arriver. Plongé dans l'eau chaude, le violoniste laisse ses muscles et ses articulations se détendre. Il savoure cette joie simple qui lui avait tant manqué et il sent la douleur quitter peu à peu son corps. Epuisé, il se couche et il s'endort immédiatement, heureux d'avoir trouvé un toit pour la nuit. Il se réveille de nouveau deux heures plus tard, les muscles douloureux un faux mouvement en se retournant lui a déchiré le dos de douleur et il a réprimé un cri, il se masse longuement les épaules, les doigts phalange par phalange et les poignets ainsi que le dos. Terrassé de fatigue mais incapable de dormir, gagné par la mélancolie, il prend délicatement son violon pour jouer durant deux heures, il le repose en lui murmurant :

- Désolé, compagnon, j'ai eu peu de temps à te consacrer ces derniers jours, j'espère que nous aurons plus souvent l'occasion de jouer ensemble à l'avenir.

Insatisfait de son jeu, il referme les rideaux et il se laisse aller à sa douleur. Les larmes coulent de ses yeux ouverts dans le noir, il ne voit rien et il sent sa poitrine se soulever sous l'effet des sanglots. Un peu soulagé, Florentin se couvre la tête des couvertures et il s'endort de nouveau, protégé par son cocon de laine. Une demi-heure plus tard, le jeune homme décide d'aller prendre l'air, il marche dans les rues et il se retrouve devant une pâtisserie, il regarde les beignets en vitrine mais il passe son chemin, triste de ne pouvoir se payer une friandise, il a tout juste de quoi s'offrir le gîte et le couvert pour cette nuit. D'un pas décidé, il retrouve l'auberge non sans s'être perdu un moment et il prend son instrument. Puis il trouve une place et il se met à jouer les yeux fermés. Jusqu'au soir, il s'obstine malgré ses membres douloureux et les protestations de ses muscles sous l'effort qu'il leur impose. Ses doigts se crispent sur le manche et sur l'archet, ses épaules se contractent jusque dans son dos, il grimace et il serre les dents avant de poursuivre inlassablement. Ereinté, il s'arrête lorsqu'il remarque que la nuit est tombée. Triste, le musicien se rend compte que personne ne l'a écouté, même quelques minutes et c'est d'un geste las qu'il ramasse son chapeau qu'il trouve garni de menue monnaie. Parmi elles, il trouve une pièce de valeur qui le fait rire, seul au milieu de la rue, accroupi son chapeau à la main. Il s'empresse de se rendre à la banque la plus proche. L'employé qui s'apprêtait à fermer la porte regarde cet homme hagard entrer un chapeau à la main et en déverser le contenu sur le comptoir. Avec un soupir, l'homme en costume noir se résigne et tous deux passent une demi-heure à compter les pièces. Florentin hurle et danse de joie, son violon est payé, il remercie l'employé et il lui demande de faire parvenir la lettre de change au plus vite avec son adresse avant de quitter les lieux en lui disant de garder la monnaie.

Quelques jours plus tard, le musicien reçoit un courrier lui disant que sa dette est payée et que le violon lui appartient désormais. Il sourit et il danse, seul dans la chambre qu'il occupe et il plie bagage, une nouvelle fois. Hésitant, il dépose son sac sur le sol et il sort jouer dans une rue passante. Florentin décide d'improviser un air qui lui trotte dans la tête depuis deux jours, il réfléchit et après quelques essais, il trouve les notes qu'il a en tête. Pris d'une inspiration, il répète plusieurs fois sa mesure avant d'improviser la suite du morceau, une musique entraînante idéale pour faire danser dans les bals, une musique sautillante et fraîche comme un jour d'été. Tout d'abord, le jeune homme ne prête pas garde au silence mais lorsque les premiers rires fusent, il reste stoïque et il reprend son morceau inachevé au début, espérant gagner son public. Les yeux fermés, il ne veut pas voir les visages hilares autour de lui matérialiser sa défaite mais il s'y résigne et il écourte son improvisation. Le rouge aux joues, il salue et il se force à sourire pour garder contenance. Mais au fond de lui, son cœur se brise. Depuis des mois qu'il joue dans les rues, il a patiemment attendu le succès et il est resté fidèle à lui-même, travaillant dur pour s'en sortir mais ce jour de la fin mai, son cœur est en miette et c'est les épaules basses qu'il quitte la ville après avoir récupéré ses affaires et payé son dû à l'auberge.

En ce jour d'avril, le diable se penche sur le sort de Florentin, intéressé et il rit à gorge déployée avec la foule, il s'est beaucoup amusé de voir la confusion de l'artiste. Sur le chemin qui quitte l'endroit, il voit le jeune homme pleurer et jouer distraitement avec les cordes du violon du bout des doigts. Le son s'est fait doux et caressant comme pour mieux le consoler. Mais du crachin commence à tomber du ciel comme s'il compatissait au sort du pauvre musicien qui range son instrument pour le protéger de l'eau qui pourrait lui causer du tort. Il cherche un refuge mais il ne voit nul abri à l'horizon. L'envie de faire demi-tour se fait pressante sous la froide pluie mais par fierté, il s'y refuse et il marche jusqu'à trouver une forêt, il s'abrite sous les arbres en espérant que la pluie ne se transformera pas en orage.

Lorsque la pluie cesse enfin, le musicien reprend sa route solitaire. En sortant du bois, il se retrouve nez-à-nez avec cinq brigands qui le menacent de leurs couteaux. Fauves souriant de voir leur proie prise au piège, ils le détaillent de la tête aux pieds avant de lui demander s'il possède quelque chose de valeur. Florentin, effrayé, fait non de la tête mais les brigands le fouillent rapidement avant de décréter qu'hormis son violon, invendable par ailleurs, il ne possède rien. Ils le délestent des quelques pièces que contient sa bourse avant de le saluer, ravis d'avoir fait affaire avec lui. Le musicien, éprouvé, marche sur le chemin aussi vite que possible jusqu'à épuisement. Assis dans l'herbe, il ne peut retenir ses larmes. Il fouille sa bourse vide sans trouver la moindre pièce de monnaie et c'est d'un pas las qu'il reprend sa route. Le dos courbé sous le poids du destin, il ne sait pas comment il va vivre dans les jours à venir. L'après-midi est bien avancé et en premier lieu, il décide de quitter la forêt et de retrouver la relative sécurité d'une ville. Perdu, il suit le chemin, inquiet de s'enfoncer dans la forêt ou de rencontrer des loups. Au bout d'une heure de marche, il commence à s'inquiéter, incapable de décider de la route à suivre. Il boit un peu d'eau et il s'assied quelques minutes au pied d'un arbre avant de reprendre sa route, il marche aussi vite que possible mais bientôt, ses jambes fatiguées ne le portent plus et il trébuche sur une racine. Les poings serrés, allongé sur le sol, il frappe l'herbe alentour pour expulser sa rage. Plus calme, le musicien continue sa route, inquiet à l'idée de dormir dans la forêt. Le soleil se couche lorsqu'il parvient enfin à l'orée de la forêt et il trouve la force de courir dans l'espoir de rejoindre rapidement le prochain village. Il marche longtemps sur le chemin et c'est à la nuit tombée qu'il pénètre dans la ville. Il cherche un lieu où s'abriter mais il ne remarque pas d'hospice et il n'ose pas jouer pour ne pas déranger les habitants au risque de recevoir le contenu d'un pot de chambre sur la tête. Il ne supporte pas l'idée de passer une nuit supplémentaire dehors d'autant plus qu'il craint le retour de la pluie aussi, il continue sa route d'un pas traînant d'avoir trop marché. Il ne trouve pas ce qu'il cherche et il s'effondre en larmes dans l'église, âme solitaire en souffrance. Il sort son violon qui joue une musique déchirante à laquelle il ne prend pas garde, trop triste pour s'en inquiéter. Il entend quelqu'un racler sa gorge derrière lui et il se retourne après avoir rapidement séché ses larmes du revers de sa manche.

- Bonjour, je suis le curé de la ville et je vous ai entendu jouer alors que je rentrais au presbytère. Je suppose que vous ne comptez pas passer la nuit ici ?

- Si je n'ai pas le choix et que vous ne m'en chassez pas, j'avais pensé dormir ici, faute de mieux.

L'homme l'observe attentivement et il sourit avant de reprendre la parole.

- Venez avec moi, vous ne me semblez pas un brigand.

- Non et je le regrette. Ils se sont chargés de me dépouiller en arrivant ici dans la forêt. Si j'avais été de leur espèce, ils m'auraient certainement laissé passer mon chemin après les salutations d'usage, on ne se dépouille pas entre collègues, j'imagine. ajoute-t'il pour ne pas inquiéter son interlocuteur.

Ils ressortent sous la pluie et l'homme dans la fleur de l'âge le conduit à une bâtisse située juste derrière l'église. Le logement est petit et sobre mais il indique à Florentin une pièce qui sert de bureau où il pose ses affaires, heureux de dormir au chaud. Des couvertures à la main, l’ecclésiastique installe un lit sommaire au musicien avant de lui ramener le nécessaire à ses ablutions en s'excusant de ne pouvoir mieux le recevoir. Le musicien l'assure qu'il a plus qu'il n'en espérait et il s'empresse de se laver. Changé, il fait une rapide lessive dans l'eau restante et il suspend ses vêtements essorés au mieux où il peut. Il termine à peine que son hôte vient le chercher pour le repas du soir, il remarque les vêtements humides et il l'invite à les mettre à sécher dans la petite buanderie. Le souper servi par une servante se compose d'une soupe nourrissante, de pain, de charcuterie et de vin. Le repas est chaleureux et le curé se montre fort intéressé par le périple du musicien. Les deux hommes parlent longuement et après le dîner et une partie de dé, Florentin propose de jouer un air à son hôte qui accepte avec joie. Le jeune homme court dans le couloir, heureux de pouvoir jouer au chaud et dans de bonnes conditions, le ventre plein. Dans sa course, il manque de glisser en entrant dans la petite pièce et il empoigne son instrument avant de rejoindre le curé qui l'attend, assis dans un fauteuil confortable. Intimidé, le violoniste apprête son instrument sous les questions de l'homme. Florentin dit ce qu'il sait du violon et il réfléchit aux airs qu'il pourrait jouer, il hésite avec des airs religieux ou des chansons populaires avant de se décider à jouer des airs de sa composition après deux courts airs religieux qu'il connaît bien. Le violon sur l'épaule, le musicien se met à jouer mais l'instrument d'ébène proteste et Florentin soupire avant de recommencer son interprétation, ayant totalement oublié son public du jour. Les cordes grincent sous l'archet et les couinements qui emplissent la pièce achèvent d'énerver le musicien qui relâche cordes et archet avant de les remettre en place puis de rajouter de la colophane mais le phénomène se produit à nouveau. Le jeune homme soupire et il se décide à abandonner, il s'excuse auprès de l’ecclésiastique qui le rassure. Blotti entre les draps, il s'interroge sur ses capacités de jeu ; s'il ne parvient pas à tirer un son de son instrument, comment peut-il un jour rêver faire carrière ?

Le jour suivant est froid et pluvieux et le jeune homme qui voudrait reprendre sa route, hésite. La perspective de marcher de nouveau sous la pluie, transi de froid et trempé le décourage. Il n'ose pas demander s'il peut rester quelques jours et il vient timidement prendre congé du curé juste avant midi. L'homme l'invite à rester déjeuner ce qu'il accepte et il s'enquiert de ses projets pour la suite. Florentin lui répond qu'il ne sait pas où il ira, sans doute qu'il rejoindra la première grande ville sur sa route pour jouer de nouveau dans la rue pour gagner le gîte et le couvert. Il tourne son regard vers la fenêtre pour masquer sa tristesse et sa mâchoire se crispe malgré lui se faisant douloureuse. Le curé l'observe et il note la crispation de son corps tout entier, il comprend que le jeune homme ne sait pas où aller. Il réfléchit en se demandant s'il ne pourrait pas l'aider à trouver une place mais il ne lui semble pas en avoir entendu parler. Toutefois, il pourrait toujours faire son enquête. Florentin se lève pour masquer son malaise et il répond qu'il est temps pour lui de partir. Au fond, sa vie d'errance ne lui déplaît pas et il espère que le beau temps fera son apparition lui permettant de trouver un public. Le prêtre n'insiste pas et il glisse dans son sac quelques provisions pour la route que Florentin accepte avec reconnaissance.

Sitôt la porte passée, le violoniste regrette d'avoir refusé mais il n'ose pas le dire au curé à qui il fait ses adieux, le cœur lourd. D'un pas de plus en plus traînant, Florentin reprend sa marche sans but, il s'interroge sur son avenir, combien de temps durera sa vie vagabonde ? Tiendra-t'il un hiver supplémentaire bravant le froid et la pluie ? Il n'est pas certain que son corps fatigué et son esprit le supportera. Le soir venu, il dort dans une auberge à bon marché, les provisions offertes par son hôte du jour lui permettent d'économiser un repas sur sa maigre bourse. Les draps grossiers lui entaillent la peau et le grattent, il les rejette mais le froid l'oblige à se couvrir de nouveau. Incapable de dormir, le musicien croise les bras derrière sa tête et il réfléchit à son avenir. Il s'imagine errant des années durant, ses compositions rejetées et moquées par le public. Il se voit terminant sa vie mourant de froid sous un pont dans l'indifférence générale. Des larmes coulent sur ses joues qu'il ne prend pas la peine d'essuyer. Il s'interroge, l'amour de la musique est plus puissant que tout et il ne s'imagine pas prendre un emploi fixe pour assurer sa situation financière. Il sait qu'il ne pourra s'intéresser bien longtemps à autre chose et que sa place est là, sous le signe de la musique, son instrument à la main, jouant dans la rue ou dans des salons. Il doit continuer d'y croire et espérer un jour trouver son public. Incapable de dormir, il allume une chandelle et se met à écrire quelques bribes de mélodie sur un morceau de papier. Il fredonne durant de longues minutes avant de se décider à tenter de dormir, la tête emplie de sa musique.

Il repart le lendemain matin et il reprend sa route. De ville en ville, il joue sa musique pour survivre et il regrette de ne pouvoir travailler autant qu'il le souhaiterait. Le mois d'avril pluvieux le mène de maladie en maladie et il n'est pas rare que la mélancolie le gagne face à sa fatigue physique qui l'empêche de faire la seule chose qu'il aime : jouer de la musique.

xXxXx

Toutefois, au début du mois suivant, il apprend qu'un musicien recherche un secrétaire après avoir joué un morceau dans une taverne. Une jeune fille l'a accosté pour l'informer qu'il pourrait tenter sa chance. Ravi et plein d'espoir, Florentin s'y rend vêtu de son plus bel habit et l'homme de dix ans son aîné le reçoit fort civilement. L'homme petit et maigrelet avec son teint hâlé, ses yeux bleus rêveurs et ses longs cheveux bruns raides et mal coupés lui donnent un air de poète perdu dans ses rêves d'autant plus qu'il semble se vêtir sans réfléchir avec les premiers habits qui lui tombent sous la main. Les deux hommes parlent longuement musique et le pianiste qui est fort aimable au demeurant lui apprend qu'il a besoin d'aide pour mettre au propre ses partitions. Il donne de nombreux cours en cette saison et il lui est difficile de trouver le loisir de faire ce travail fastidieux mais nécessaire. La paie est maigre en regard du travail à fournir mais il sera logé et nourri. Florentin, heureux de voir la chance lui sourire, accepte cet emploi bienvenu après avoir observé la petite maison de bois charmante mais modeste. Le bureau que son employeur lui montre est une pièce à peine meublée de deux bureaux et de chaises bon marché et la chambre où il est supposé dormir au fond d'un couloir tient plus du réduit que de la chambre. La petite pièce n'est éclairée que d'une lucarne sale et seuls un lit, une table et une grande malle pour ses affaires meublent la chambre. Florentin hésite, déçu mais il sera payé, nourri et logé, il ne peut espérer mieux dans sa situation. Une bonne vient quelques heures par jour pour l'entretien de la maison, du linge, les courses et la confection des repas, les deux hommes seront seuls la majeure partie du temps. Il espère avoir le temps de parler musique avec son employeur et peut-être au gré de ses corrections découvrir de nouvelles mélodies qui l'inspireront.

Au fil des jours, le jeune homme déchante ; durant des heures, chaque jour, il s'abîme les yeux à recopier des partitions tracées d'un trait de plume vif et audacieux émaillé de taches d'encre et de gras, de ratures et de corrections qu'il a parfois bien du mal à déchiffrer. Il soupire, la mâchoire crispée, les doigts raidis sur sa plume, en tentant d'ignorer ses articulations douloureuses et son dos qui semble ne plus le soutenir. Dans la maison bourgeoise, il se perd souvent en rêveries avant de se replonger dans le travail pressé d'en finir pour recevoir enfin ses gages et repartir loin de cette torture quotidienne. Mieux nourri et à l'abri, Florentin retrouve entrain et énergie, il compose jusque tard dans la nuit, habité d'idées nouvelles, nourri par les partitions qu'il recopie à longueur de journée. Parfois alors qu'il se rend au cabinet d'aisance, il entend son maître donner ses cours et il s'arrête, écoutant à la porte la musique qui lui parvient étouffée à travers l'épaisse porte de bois. Il ne reste jamais longtemps de crainte de se voir découvert. Enfin, au bout d'un mois de dur labeur, le violoniste quitte la maison, la bourse pleine, heureux de quitter cet emploi. Il regrette que son confrère n'ait jamais daigné parler musique avec lui, le considérant visiblement comme un simple employé, il est certain que leurs échanges auraient été riches d'enseignement pour chacun. Debout sur le perron de la maison bourgeoise, Florentin hésite sur la route à suivre, las de sa condition de musicien errant. La tête basse, il quitte la ville, triste silhouette solitaire alors que le mois de juin se profile à l'horizon. Tout au fond de lui, l’indifférence de son confrère a brisé quelque chose en lui. Lui, le musicien admiré dans les salons depuis son plus jeune âge n'est plus qu'un domestique, fantôme invisible sous-payé et mal nourri à la merci de ses employeurs. Il comprend que sa déchéance sociale l'a isolé des cercles qu'il fréquentait par le passé, il n'est plus rien, au mieux, un domestique et au pire un vagabond. Il se rend alors compte que, de dégoût, il ne s'est penché sur ses compositions en cours que le minimum. Il devra travailler d'arrache-pied pour rattraper le retard accumulé mais dans l'immédiat, il souhaite s'éloigner de ces lieux au plus vite.

Sur la route qui s'éloigne de la ville, Florentin hésite. Autour de lui, il ne voit que des collines et la campagne à perte de vue. Où aller ? Il s'interroge ; est-il plus judicieux de rejoindre une auberge à bas prix pour composer ou tenter de trouver un emploi voire se remettre à jouer dans les rues. Il observe le paysage, il note le beau mois mai qui se termine sous un soleil radieux, il remarque au loin les petits villages nichés dans les collines entourées de champs et de troupeaux.

- La saison des bals va reprendre ! Un été, un nouvel été commence au grand air et à jouer ce qui te plaît ! Ensuite, tu tenteras de te fixer encore et encore.

Il prend son instrument et il le serre contre son cœur avant de reprendre :

- Compagnon, nous allons faire danser dans les bals joyeux de la campagne et ensuite nous verrons. Mais je te promets qu'un jour, toi et moi, nous serons riches et célèbres !


Texte publié par Bleuenn ar moana, 3 juillet 2018 à 21h47
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