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tome 4, Chapitre 1 « Une rencontre inattendue » tome 4, Chapitre 1

La vision était magique… Une aurore boréale étendait ses grands voiles lumineux au-dessus d’un paysage d’une blancheur irréelle ; même les hauts sapins semblaient changés en étranges châteaux glacés et scintillants couverts de sculptures, comme si de délicates fées du givre étaient venues les décorer à l’insu des hommes.

Mais celui qui marchait sur la piste ondoyant à travers la forêt lapone ne prêtait aucune attention à la beauté presque surnaturelle de ce qui l’entourait. Jeune, grand, large d’épaules et bâti comme un colosse, il avançait sur des raquettes en s’aidant d’un bâton ferré, avec une persévérance qui tenait de l’entêtement. Il portait dans son dos un volumineux paquetage. Il ne s’arrêta que lorsqu’il eut trouvé ce qu’il cherchait…

Il s’immobilisa alors, contemplant un spectacle de désolation. Les arbres avaient tous été fracassés dans un vaste périmètre, ne laissant plus que des chicots irréguliers qui pointaient dans la neige piétinée, et des fûts abattus comme des cadavres sur un champ de bataille.

L’homme avait une bonne idée de ce qui avait causé ce désastre… et c’était justement ce qu’il traquait.

Soudain, un bruit inattendu lui fit relever la tête ; le cognement d’une hache. Il décida de s’approcher discrètement pour vérifier qu’il n’y avait aucun danger avant d’aborder l’inconnu. Non qu’il eût peur – peu de choses pouvaient l’effrayer –, mais il préférait conserver toutes ses forces pour ce qui allait suivre.

Il tira un robuste couteau de chasse et s’avança avec lenteur ; à travers un enchevêtrement de banches brisées, il aperçut un homme vêtu d’une épaisse veste de fourrure, en train de se construire un abri de fortune. Il devait s’être mis à la tâche une bonne heure auparavant, au moins, car son ouvrage commençait à ressembler à une hutte grossière.

Le chasseur, qui portait le nom singulier d’Erasmus Dolovian, apprécia l’ardeur de l’inconnu… mais, hélas pour lui, il n’allait pas pouvoir rester en ces lieux s’il tenait à la vie !

Et surtout pas s’il continuait à se servir de cette hache ! Erasmus fut tenté de laisser l’homme à son sort, mais sa décence profonde lui interdisait de l’abandonner à un danger dont il n’avait même pas conscience.

« Ohé ! »

Le travailleur releva la tête et le salua de ma main. En se rapprochant, Erasmus rencontra un sourire accueillant :

« Ah ! Cela fait bien plaisir de voir un autre visage humain, même si j’attendais quelqu’un d’autre ! Soyez le bienvenu dans mon humble pied-à-terre ! »

L’homme ne s’exprimait pas en finnois, mais dans un anglais fort correct, avec un accent qui ne pouvait passer inaperçu. Celui d’un Français de France, probablement, même, de Paris. Par chance, Erasmus parlait sa langue natale à la perfection, en plus d’une dizaine d’autres. Il s’approcha en rengainant son couteau. L’inconnu lui semblait un peu original, mais pas menaçant.

« Qu’est-ce qu’un citoyen parisien au vocubulaire aussi choisi vient faire au cœur de la forêt lapone ? »

L’inconnu, sa hache toujours en main, le fixa d’un regard ravi :

« Vous parlez français ? Quelle bonne surprise ! Eh bien, c’est une longue histoire… »

Il s’assit sur l’un des troncs effondrés. Erasmus en profita pour le détailler : c’était un homme d’une dizaine d’années de plus de lui, environ – ce qui le plaçait en milieu de trentaine. Il possédait un physique plaisant, avec des traits spirituels et une silhouette vigoureuse, celle d’un individu actif, même si son teint clair montrait qu’il ne devait pas souvent s’exposer aux éléments. Des yeux gris brillant d’intelligence le fixaient avec franchise.

« Je me trouvais chez l’une de mes relations à Helsinki. Connaissant mon attrait pour les légendes et les traditions, il avait invité un de ses amis, qui me parla avec enthousiasme de certaines légendes et tradition des peuples de Laponie – ou des Sames, comme ils se nomment eux-mêmes. Il proposa même de me mener auprès d’eux, comme guide et interprète. J’acceptai avec joie ! »

Sa physionomie s’assombrit :

« Je dois avouer que je ne suis pas un habitué de ce genre d’expédition. Tout ce que je connais des environnements hivernaux, ce sont mes séjours annuels dans mon chalet familial, dans les Alpes françaises… Mais tout au moins ai-je deux ou trois notions des précautions à observer. Notamment, quand on est perdu, ne surtout pas bouger de l’endroit où l’on se trouve ! »

Certes, il ne semblait pas trop décontenancé pour un oisif… Erasmus devait au moins lui reconnaître des nerfs d’acier – ou une inconscience totale.

« Alors que nous cheminions sur cette piste, sur un trajet qui devait nous prendre environ quatre heures de marche, nous avons entendu un immense fracas. Les arbres se sont mis à s’effondrer tout autour de nous. Même les plus grands sapins s’écroulaient d’un bloc, et c’est un véritable miracle si nous n’avons pas été tués, ni même blessés… »

Il observa un silence pensif, avant d’ajouter :

« Du moins, je l’espère… Dans ce véritable chaos, chacun d’entre nous a tenté de sauver sa peau. Si vous me permettez ce vieux calembour, cela commençait à sentir le sapin… »

Même si Erasmus connaissait cette expression, elle ne lui était pas assez familière pour qu’il l’apprécie pleinement. Quand bien même une odeur résineuse emplissait tout l’espace, au point d’en devenir presque écœurante.

Mais plaisanterie ou pas, l’étranger ne croyait pas si bien dire…

« En évitant les troncs qui s’effondraient, nous sommes partis chacun de notre côté, et nous nous sommes perdus de vue… Une fois que ce désastre s’est calmé, j’ai cherché mon compagnon dans les alentours, mais, hélas, je n’ai pu le repérer nulle part. J’ai alors décidé que le plus sûr moyen de le retrouver était de rester sur les lieux… tout en essayant de déterminer la cause d’un tel désastre ! »

Erasmus regarda autour de lui, aux aguets : pour le moment, tout restait calme… De toute évidence, les animaux avaient fui les environs. Même si leur activité se faisait discrète, il parvenait toujours à déceler leur présence… ou leur absence. Et cette dernière n’était jamais bon signe.

« Votre raisonnement avait du bon, répondit-il abruptement, mais pas dans ce cas. Avez-vous entendu un bruit particulier avant que tout se déchaîne ?

— Oui, bien sûr… Un grincement… un peu comme celui d’une vieille porte ou d’une marche fatiguée, si vous voyez ce que je veux dire. Mais en bien plus puissant !

— Alors, aucun doute possible. En restant ici, vous courez un danger mortel ! Il en veut aux humains, précisément… il a ravagé plusieurs villages et des campements sames… Ce n’est pas une bonne idée de rester dans ses parages. Cela dit, concéda-t-il, vous ne pouviez pas savoir…

— Ne pas savoir quoi ? » demanda le Français en regardant autour de lui avec inquiétude.

Erasmus déplia sa haute carcasse, ôta ses raquettes puis déposa dans la neige son paquetage. Arrachant la toile huilée qui le recouvrait, il dévoila une large arbalète.

« Voyez-vous, je suis un chasseur… que l’on emploie pour se débarrasser de ce genre de créature.

— Créatures ? Mais de quoi parlez-vous ? »

L’homme semblait aussi interloqué que curieux…

« Seriez par hasard l’un de ces chasseurs qui parcourent le monde pour débarrasser ceux qui les engagent des abominations qui les menacent ? »

Ses yeux gris du Français s’étaient mis à briller de fascination et d’expectative. Il ne manquait plus que cela…

Un amateur.

Erasmus jura en silence… Il fallait qu’il trouve un moyen tout à la fois de détruire la créature et d’écarter la curiosité malvenue du Français. Ce qui signifiait… soit l’assommer pour ne pas l’avoir dans les pattes, soit en faire un allié.

« Nous en parlerons après, grommela-t-il. Est-ce que vous sentez capable de me seconder ? »

L’homme se redressa avec une dignité presque militaire :

« Mais… monsieur… ce sera un honneur !

— Bien. Vous allez vous tenir derrière moi et faire tout ce que je vous dirai. C’est compris ?

— Bien sûr ! »

Le regard de son nouveau compagnon brillait un peu trop à son gré. Cet enthousiasme ne lui disait rien qui vaille !

« Vous devez m’obéir en toute chose ! insista-t-il.

— J’en suis conscient ! »

Il allait devoir se fier à cette promesse. Quelque chose au fond de lui le portait à faire confiance au Français, mais son tempérament profondément solitaire persistait à attiser sa méfiance.

« Maintenant, ramassez votre paquetage, et suivez-moi, en silence ! »

L’homme acquiesça. Passant sa hache à sa ceinture, il réunit rapidement les affaires qu’il avait sorties pour les remettre dans son sac à dos, avant de le charger sur ses épaules. Erasmus apprécia le fait qu’il avait conservé l’outil à portée de la main. Il serait peut-être utile…

Le Français lança un regard où demeurait un certain regret vers la hutte qu’il laissait derrière lui, avant d’emboîter le pas au chasseur de monstres.


Texte publié par Beatrix, 26 décembre 2018 à 20h25
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